L’incendie criminel qui a ravagé cette semaine une partie de cathédrale rénovée à grands frais ces derniers temps a remis sur le tapis le débat sur nos réflexes d’autodestruction. D’un côté, les milieux conservateurs dénoncent les manifestations, trop souvent violentes, des forces du changement comme des actes irréfléchis d’autodestruction. Ce faisant, ils se déchargent de toute responsabilité dans les inégalités et le gâchis qu’ils ont créés et se donnent bonne conscience à très bon compte. Du côté du secteur populaire et de la société civile, on se contente, trop souvent également, de prendre acte de la violence de la rue et on ne préconise aucune solution pour redresser la barre. Résultat, la société semble tourner en rond, mais le problème est au fond beaucoup plus grave qu’il paraît. Elle est en fait engagée dans une spirale de violence dont personne ne peut prévoir la fin.
L’incendie criminel qui a ravagé cette semaine une partie de cathédrale rénovée à grands frais ces derniers temps a remis sur le tapis le débat sur nos réflexes d’autodestruction. D’un côté, les milieux conservateurs dénoncent les manifestations, trop souvent violentes, des forces du changement comme des actes irréfléchis d’autodestruction. Ce faisant, ils se déchargent de toute responsabilité dans les inégalités et le gâchis qu’ils ont créés et se donnent bonne conscience à très bon compte. Du côté du secteur populaire et de la société civile, on se contente, trop souvent également, de prendre acte de la violence de la rue et on ne préconise aucune solution pour redresser la barre. Résultat, la société semble tourner en rond, mais le problème est au fond beaucoup plus grave qu’il paraît. Elle est en fait engagée dans une spirale de violence dont personne ne peut prévoir la fin.
Parmi les nombreux problèmes qu’il convient de dévoiler dans le cadre du double examen de conscience qui s'impose, il y a le très néfaste comportement d’autodestruction, devenu à la longue une sorte de réflexe, des trois parties en cause : la classe politique, le patronat, les masses urbaines et rurales. Depuis que les détenteurs du capital, le patronat, se sont effacés de la scène politique pour diriger le pays par l’entremise de procurateurs issus de la classes dite moyenne, on peut prétendre, en extrapolant un peu, que la crise haïtienne met en présence deux catégories sociales aux visions et aux aspirations radicalement opposées et difficilement conciliables : les nantis et les démunis. Ballotées entre ces deux acteurs et réduites à une peau de chagrin, la classe moyenne n’est plus en mesure d’assumer le rôle de tampon ou d’arbitre qu’elle a joué dans des contextes similaires en Amérique latine. On pense notamment à l’Argentine, au Brésil, au Chili.
L’autodestruction comme arme de combat
Pratiquée depuis la traversée de l’Atlantique sur les négriers par les captifs africains qui préféraient se suicider plutôt que de continuer le voyage dans les conditions de l’heure, l’autodestruction devint une pratique courante sur la terre de Saint-Domingue. En témoigne notamment le cas des nombreuses esclaves enceintes qui préféraient sacrifier leurs enfants à la naissance pour leur épargner les misères de leur propre quotidien.
Dans le camp adverse, l’autodestruction a des racines tout aussi profondes. Elle commence avec les Espagnols qui ne laissent aux indigènes que le recours aux faibles moyens qu’ils ont à leur portée dans ce combat inégal : les flèches et l’incendie. Puis, elle se poursuit sous le régime colonial français qui, dans sa recherche effrénée du profit, pousse la société à l’éclatement. C’est ce qui se produit lorsque les dirigeants se refusent à toute concession au lieu de faire droit aux revendications légitimes des opprimés et des mécontents.
Si la royauté a été sauvée en France à l’époque des frondes du 17e siècle et si la monarchie s’est consolidée à la faveur de cette crise, c’est parce que les dirigeants ont eu la sagesse d’écouter les doléances des mécontents et d’y donner suite. En Angleterre, c’est sur la base des revendications d’Olivier Cromwell que l’ancienne monarchie a été réformée à la même époque pour donner naissance à la monarchie constitutionnelle qui existe encore aujourd’hui.
Pendant toute la période du marronnage et la guerre de l’indépendance, les insurgés ont posé un grand nombre d’actes assimilables à des comportements d'autodestruction, mais qui étaient plutôt des moyens de combattre un ordre colonial inacceptable pour eux. Le cas d’Henri Christophe qui a mis le feu à son propre palais en réponse à l’ultimatum de Leclerc de lui livrer le Cap en février 1802 est à cet égard un exemple éloquent. Pour écarter tout malentendu, commençons par clarifier le concept.
Le concept d’autodestruction
Sur le plan personnel, l’autodestruction se définit souvent comme le fait d’un état pathologique qui porte l’individu concerné à se faire du tort, à s’infliger par exemple des sévices corporels, sans nécessairement arriver au suicide. Les spécialistes s’accordent à dire que la somme des gains liés aux actes d’autodestruction est toujours inférieure à celle des pertes subies.
Sur le plan collectif ce terme désigne, dans la conjoncture actuelle d’Haïti, cette espèce d’impulsion irrésistible qui porte traditionnellement les parties en conflit à des affrontements violents susceptibles de conduire le pays à sa perte. Ainsi, on trouve, d’un côté, le gouvernement et ses alliés du statu quo qui se sont emmurés dans un conservatisme devenu indéfendable et, de l’autre, une majorité de citoyens aux abois portés à tout détruire sur leur passage pour survivre ou faire entendre leurs voix.
Les enjeux et les moyens d’action
Dans la lutte à finir engagée entre les nantis et les démunis, les partisans du statu quo et les protagonistes du changement, les enjeux sont clairs et peuvent se résumer comme suit : minimum vital décent pour les démunis; baisse du coût de la vie; lutte contre la corruption; bonne gouvernance; respect des libertés civiles; santé et éducation pour tous; protection de l’environnement, etc.
Si les cibles visées par les manifestants sont les édifices publics, les magasins, les véhicules publics, les écoles, la gamme des moyens d’action est relativement mince : manifestations violentes; incendies; pillages, casses. Autant de moyens radicaux comparables aux automutilations infligées dans les cas de déprime, mais dont les incidences peuvent être permanentes.
Les incidences à terme des actions menées
Prenons quelques exemples pour illustrer notre point de vue. L’embargo du début des années 1990, qui visait à mettre à genoux les militaires installés au pouvoir et qui a détruit la petite industrie haïtienne de la sous-traitance, est un exemple frappant d‘acte d’autodestruction. Les entreprises qui ont quitté le pays pour s’installer dans la république voisine ne sont jamais revenues au Parc industriel et le pays ne s’est jamais remis de cette ponction. De même, les déboires récents de l’industrie renaissante du tourisme, qui étaient imputables à la fois aux maladresses du pouvoir, aux erreurs des entreprises en cause et au ras-le-bol des démunis, ont fait un tort énorme à l’économie nationale.
On trouve un autre exemple de comportements d’autodestruction dans les émeutes de la faim de 2008, déclenchées sous les gouvernements Jacques Alexis-Préval en protestation contre la hausse du coût de la vie. Des deux côtés, on s’est fait mal et on a fait mal au pays. Bilan : une quinzaine de morts, des dizaines de blessés et des centaines de milliers de dollars en pertes effectives et manques à gagner pour les entreprises et l’économie dans son ensemble. Quant à l’opération Peyi Lòk des dernières années, elle apparaît après coup comme une épreuve de force entre deux parties portées toutes les deux à l’autodestruction et dont le principal perdant est le pays.
Historique
La pratique de l’autodestruction n’est pas du tout nouvelle dans l’histoire d’Haïti, sauf qu’elle a cessé d’être un comportement ponctuel pour devenir un réflexe. Durant la guerre d’indépendance, l’inégalité des forces en présence et le caractère désespéré de la lutte avaient contraint les indigènes à recourir à la stratégie de la terre brûlée et aux options les plus radicales imaginables, notamment la destruction des structures de production et autres mises en place par l’administration coloniale. À cela s’ajoutaient naturellement les empoisonnements, les assassinats, l’apologie et la pratique généralisée des incendies et du pillage sur laquelle nous reviendrons. On notera au passage que le suicide, l’infanticide et les automutilations étaient des pratiques assez courantes dans l’enfer colonial.
Depuis que le pouvoir est passé en Haïti aux mains d’une catégorie de dirigeants expérimentés, de mauvaise foi et arrogants s’identifiant eux-mêmes comme des « bandits légaux », l’autodestruction se pratique tant du côté du pouvoir que de l’opposition. Pour des raisons très sérieuses comme l’affaire PetroCaribe ou pour des stupidités comme la tenue du carnaval dans une ville ou dans l’autre, on déclenche une confrontation à l’issue incertaine pour le pays. Résultats : des morts et des blessés en nombre inconnu; la dislocation des organes de l’État; la faillite presque complète du secteur de l’importation; l’abandon total de l’agriculture et de ce qui restait des installations de production; la disparition du tourisme; la dégringolade continue de la gourde; l’effritement du tissu social. Et comme si cela ne suffisait pas, les avions en partance pour l’étranger sont pleins depuis la fin de février 2020, et les risques d’une guerre civile sont de plus en plus évidents.
C’est donc sous l’influence d’un réflexe aigu d’autodestruction que les parties en présence, y compris l’État qui a perdu le monopole de la violence armée, les gangs armés qui en prennent le relais, ce qui reste du Sénat après l’extinction de la Chambre des députés le 13 janvier 2020, les contestataires de tous bords et de toutes tendances contribuent à pousser irrémédiablement le pays vers un gouffre. Dans ce pays où les slogans tiennent souvent lieu de politique et de stratégie, il est temps d’en lancer un nouveau : HALTE À L’AUTODESTRUCTION!