Comme l'historien Michel Hector eut à le faire le 5 juillet 2006, quatorze ans plus tard, il importe de marquer d'une pierre la rencontre de Dessalines et de Geffrard au Camp Gérard le 5 juillet 1803. Ils ne sont pas légions les historiens professionnels à reconnaître cette contribution de Geffrard et du Sud dans la guerre de l’indépendance.
Comme l'historien Michel Hector eut à le faire le 5 juillet 2006, quatorze ans plus tard, il importe de marquer d'une pierre la rencontre de Dessalines et de Geffrard au Camp Gérard le 5 juillet 1803. Ils ne sont pas légion les historiens professionnels à reconnaître cette contribution de Geffrard et du Sud dans la guerre de l’indépendance. A propos du processus unitaire après la déportation de Toussaint Louverture le 7 juin 1802, Michel Hector est sans équivoque en écrivant ceci : «Il se consolide au Congrès de l'Arcahaie en mai 1803 et culmine avec la rencontre Dessalines - Geffrard au Camp-Gérard le 5 juillet où tous les combattants du Sud reconnaissent l'autorité de commandement du général en chef de l'armée libératrice.» En clair, il s’agit d’un changement radical de vues qui facilite une argumentation approfondie contre les versions mutilées de notre histoire.
En effet, ce tournant décisif reconnaît la contribution décisive du Sud, de l’Ouest comme du Nord, des anciens et des nouveaux libres, des noirs et des mulâtres, dans la guerre de l’indépendance pour l’hégémonie d’une société créole qui, malheureusement, consacra la marginalisation et l’exclusion des bossales. Ainsi, pour sortir de l’oubli cette rencontre historique entre le général en chef et les leaders militaires de la péninsule du Sud, il est de bon ton de mentionner le nom des principaux chefs de la rébellion des Platons, presque tous partis des plantations avoisinantes du Camp-Gérard dans la Plaine-du-Fond des Cayes dès la fin de Janvier 1791.
On pourrait même remonter à Plymouth, originaire de la Jamaïque comme Boukman, qui, dès 1730, organisait les premiers campements de marrons dans les Nippes et la Grande-Anse d’où la chaine de montagnes qui porte son nom. Pour une si grandiose circonstance, nous rappelons à la postérité les noms d’Armand Bérault, Martial Pemerle, Jacques Formon, Jean Panier, Félix, Barthélémy, Bertrand, Janvier Thomas, Nicolas Régnier, Jean-Baptiste Perrier (Goman) et Gilles (Ti Malice) Bénech. Ces trois derniers, dès novembre 1802, jouèrent un rôle significatif dans la campagne de 1803 dans le Sud.
Durant la période haïtienne, on retrouva encore une fois les leaders paysans de la Plaine-du-Fond des Cayes et du Sud profond à la tête de la contestation. En 1805, Germain Picot s’empara brièvement de la Citadelle des Platons. L’insurrection de Goman en 1811 restaura le royaume kikongo de la rébellion des Platons de 1791. Quant à Jean-Jacques Acaau, il fut le principal leader du mécontentement populaire lors de la grande crise de 1843 à 1848. Comme l’a si bien remarqué Michel Hector en reconnaissance de leur tenace combat pour la liberté et le droit à la propriété, « cette contestation maintenue pendant si longtemps dans tout ce département a contribué de manière décisive au façonnement du paysage agraire du pays. »
Sans détour ni bifurcation, il s’agit non seulement de lever le voile sur la culmination de la marche obligée des créoles lors de cette Grande Convocation mais également de reconnaitre le Camp-Gérard comme le sanctuaire de la mobilisation paysanne contre le contrat social louverturien reconduit par Dessalines, Christophe, Pétion et Boyer. A propos de la chute du régime de vingt-cinq ans de ce dernier, soulignons que la véritable opposition débuta avec le Manifeste de Praslin le 1er septembre 1842.
Ce fameux document qui devint l’évangile politique de la révolution de 1843 porte le nom de la plantation, dans la même région du Camp-Gérard et des Platons, où elle fut rédigée. Il importe de signaler que cette région est restée, pendant huit décennies au cours du 19e siècle, un foyer actif de l’agitation permanente et de la rébellion paysanne pour un meilleur contrat social. Il s’agit bien d’une tradition d’autodétermination marquée par deux scissions en 1810 et en 1868.
Une tradition de mobilisation
A l’arrivée de Colomb et des Espagnols, le déficit aurifère du Xaragua justifia la colonisation tardive de la péninsule méridionale. Au cours la période française, la proximité de la Jamaïque anglaise, constitua la toile de fond de cette préférence marquée envers les deux autres régions de Saint-Domingue, en l’occurrence le Nord et l’Ouest. Tout au long de la guerre quasi-permanente entre la France et l’Angleterre, la Jamaïque servait de base et l’Ile-à-Vache de lieu d’embuscades pour intercepter les navires de la marine marchande française. A ne pas sous-estimer la vivacité de la rivalité des catégories sociales dominantes de l’époque coloniale vers la fin du XVIII siècle. La défaite du Sud mulâtre dans l'affrontement avec le Nord noir scella le rôle respectif des classes dominantes créoles et des régions, les unes par rapport aux autres, jusqu’à date.
Cependant, au regard de l’histoire, foyer d’idées, de passions politiques et d’intolérance à l’absolutisme, le Sud fut le point de départ de la plupart des troubles révolutionnaires. Vers le début de Juillet 1802, les premiers signes apparents de conspiration armée se manifestèrent à Corail, près de Jérémie où cinq mois plus tôt le colonel Jean-Baptiste Rousselot dit Dommage avait tenté vainement de résister à l’arrivée de l’Expédition Leclerc. Pendant que les officiers créoles noirs et mulâtres collaboraient avec Leclerc et livraient les bandes de Congos de Petit-Noel-Prieur et de Caca-Poule aux Français, les forces révolutionnaires commencèrent à organiser effectivement la résistance dans le Sud. L’insurrection générale sur toutes les plantations de la péninsule du Sud et l’élimination de tous les blancs étaient imminentes.
Les Français découvrirent un vaste réseau de conspiration entre les ouvriers de ville et ceux des plantations. Toussaint Jean-Baptiste, boucher de profession, était à la tête du mouvement. Ses principaux complices étaient sa femme, Lazare, Malbrouk et Claude Chatain. Ce dernier était un déserteur de Jérémie. Aux interrogatoires musclés qui s’ensuivirent, ils répondirent qu’ils étaient à la solde d’André Rigaud. Malheureusement pour eux, Rigaud avait été déporté le 28 mars 1802. Huit autres présumés complices furent également arrêtés. Transportés aux Cayes, Toussaint Jean-Baptiste, sa femme, Malbrouk et Lazarre furent exécutés. En connexion avec ce projet de soulèvement, six autres travailleurs furent arrêtés. Parmi les détenus, Cupidon et Pierrot de la plantation Etienne. Ce dernier était considéré comme une menace pour la société tant les punitions le rendaient plus téméraire.
Le 6 juillet 1802, les conspirateurs de Corail au nombre de dix-neuf arrivèrent aux Cayes. Le 10, les Français découvrirent que l’insurrection s’était propagée dans toute la ville. La propagande et l’agitation avaient gagné les troupes coloniales noires au soulèvement et à la rébellion contre le gouvernement. Moins d’une semaine avant l’arrivée des prisonniers de Corail, deux noirs avaient déjà attaqué et bastonné le commandant de la milice des Cayes. Dès que la révolte éclaterait, leur but était, de libérer leurs acolytes de Jérémie, les autres prisonniers et d’incendier la ville.
Pendant ce temps, les noirs de la ville des Cayes s’étaient réunis et avaient élaboré un plan d’action qui anticipait une fusion avec la rébellion des troupes noires de la ville. Dans la nuit du 9 juillet, ils étaient à peu près une centaine à se réunir à la maison de Cofi, un des conspirateurs. Au milieu des discussions orageuses, ils ne réalisèrent pas qu’ils étaient encerclés par le commandant Berger. Ils se dispersèrent rapidement et lancèrent un appel aux armes. Immédiatement, on battit la générale dans toute la ville. La garnison coloniale noire tenta de se soulever mais fut neutralisée à temps par un bataillon européen.
Ces faits d’armes au lieu de faire l’objet de discussions sont relégués au profit de toutes sortes de divertissement.
Selon Noam Chosmky, la distraction des masses relève d’une stratégie subtile pour maintenir un état permanent de déréliction. Afin de paralyser les esprits, l’universalisme est systématiquement combattu au profit du particularisme aveugle qui martèle sans répit une interprétation erronée de notre histoire dans la tête des jeunes Haïtiens. Les dépositaires de la zombification des masses continuent allégrement la perversion de notre singularité pour ankyloser l’esprit de la jeunesse. Afin de dénaturer et liquider notre richesse patrimoniale, le statu quo dispose d’un ensemble de stratégies et d’une pléthore de marginaux, de malandrins et de saltimbanques pour désorienter les jeunes et les empêcher de connaitre leur histoire.
Or, pour construire le sentiment d’appartenance, la compréhension des fondamentaux historiques est indispensable. Alors comment élever le niveau de conscience d’une élite intellectuelle haïtienne au cerveau mal formaté dont le ramage ne se rapporte pas au plumage ? En écho à l’intuition qui fit germer les principes féconds de l’autodétermination des peuples, les Haïtiens se doivent trouver une réponse à cette question fondamentale. Aussi, importe-t-il de marteler que « la vitalité de la mémoire est l’une des conditions du progrès humain ».