Depuis quelques mois, pour ne pas dire quelques années, le gouvernement haïtien appelle à un dialogue entre les différents acteurs de la scène politique afin de trouver une issue à la situation qui perturbe notre cher pays à tous les niveaux.

Depuis quelques mois, pour ne pas dire quelques années, le gouvernement haïtien appelle à un dialogue entre les différents acteurs de la scène politique afin de trouver une issue à la situation qui perturbe notre cher pays à tous les niveaux.  Dialogue qui n’a ou n’aura jamais eu lieu finalement ! On dirait que, chez nous ou dans notre réalité, le dialogue réfère à quelque chose d’imaginaire, de virtuel, à quelque chose d’une complexité à nulle autre pareille, particulièrement chez nos politiciens.  Pourtant, une des définitions de ce vocable si souvent répété ces derniers temps, telle qu’elle apparaît dans le dictionnaire Larousse, se lit ainsi : « Discussion entre personnes, entre partenaires ou adversaires politiques, idéologiques, sociaux, économiques, en vue d'aboutir à un accord. »

En y réfléchissant bien, ce manque de volonté pour un dialogue constructif où les intérêts du pays passent avant ceux individuels peut être attribué à une carence au niveau de l’éducation reçue par la majorité de nos compatriotes, sans toutefois minimiser l’impact de leur égoïsme, de leur avidité et de leur désir de continuer à baigner dans la malversation. Si cette hypothèse s’avère juste, pouvons-nous nous attendre à ce que nos politiciens se résolvent à s’asseoir et à dialoguer puisque, au départ, ce sens de civisme et de civilité ne leur a jamais été inculqué ? Pouvoir dialoguer et coopérer, c’est un réflexe, une attitude, un automatisme qui s’apprend dès la petite enfance sur les bancs d’école.

Or, le contexte scolaire dans lequel évoluent les écoliers haïtiens jusqu’alors ne leur permet aucunement de développer cette attitude, car c’est plutôt un système individualiste et compétitif. Cette réalité a sans doute changé depuis, mais il reste que, pour celles et ceux qui étaient formés sous l’influence de cette approche biaisée, les séquelles sont probablement encore prédominantes.  Ce système, non fondé sur la coopération, est plutôt marqué par la suprématie de la compétition et du travail individuel. En effet, pendant tout notre cheminement académique, nous avons été plutôt exposés à des apprentissages axés sur la compétition plutôt que sur la collaboration. Pourtant, en toute logique, si l'on veut que la coopération soit valorisée dans la société, il faut s’assurer qu’elle est pratiquée dans les écoles. 

D’ailleurs, l’apprentissage compétitif n’est-il pas défini comme une recherche simultanée par plusieurs personnes d’un même avantage ou d’un même résultat ? Et une approche basée sur l’apprentissage coopératif par contre ne consiste-t- elle pas à faire travailler des groupes d’élèves ensemble pour atteindre un même but ? Forts de cela, dites-moi combien de fois, pendant tout notre parcours scolaire, nous avons eu l’occasion de mettre ensemble nos compétences et nos savoirs pour réaliser un quelconque projet en classe. Nous parlons ici de présentation en groupe sur un sujet donné, de travaux d’équipe, de débats où on vous apprend à argumenter, à émettre vos opinions ou à écouter le point de vue opposé; nous parlons de création d’œuvres d’art collectives, de comité d’élèves… et nous en passons...

La majorité des chercheurs considèrent, à juste titre, qu’il vaut mieux privilégier la coopération à la compétition dans le processus d’apprentissage. Pour ce faire, il faut s'assurer de recourir à des approches pédagogiques qui développent la capacité des jeunes de travailler ensemble. Comment y arriver, me direz-vous, dans nos écoles surpeuplées ?  Pourtant, cela peut se révéler très bénéfique. Le partage de buts mutuels, des responsabilités et des ressources, la valorisation du modèle basé sur la collaboration, la confiance mutuelle et un sentiment d’appartenance, favorisés par une démarche pédagogique privilégiant l’approche coopérative, offrent plusieurs avantages  dont une augmentation significative de l’appréciation réciproque. Nous apprenons ainsi à apprécier le travail des autres. Ce qui semble manquer cruellement chez nos compatriotes. 

La compétition, longtemps encouragée dans notre système scolaire, nous a menés tout droit à  la création d’une société dans laquelle la course pour s’imposer, la tricherie, la rivalité et les coups bas sont devenus la norme. Si, eu égard à notre histoire personnelle, nous ne sommes pas tous portés naturellement à entrer en compétition, nous y sommes tous soumis cependant dès l'enfance de manière objective, à travers nos activités sportives et à l'école, puis, plus tard et de façon plus insidieuse, dans la vie en général. Longtemps louée comme un puissant moteur de progression, la rivalité est de plus en plus remise en question et doit être découragée.

L'école est donc l'une des institutions les mieux placées pour insuffler aux jeunes le don de soi, la capacité de travailler avec d'autres dans le respect de la contribution de chacun et selon ses aptitudes. Amener les jeunes Haïtiens à surmonter l'égoïsme et l'individualisme exige de l'école une révision de certaines de ses façons de fonctionner de même qu'un personnel enseignant convaincu et engagé. Ce personnel doit être capable d'éveiller la conscience des jeunes à leur rôle de membres d'une communauté d'apprenantes et apprenants persuadés que le bien de l'un dépend du bien de l'autre, que le problème de l'un est le problème de l'ensemble, que les intérêts du groupe ou de la collectivité doivent parfois primer sur ceux de l’individu. Bref, ce personnel doit former des jeunes capables de se tendre la main. 
Sans la coopération de ses membres, une société ne peut survivre. La société des hommes a survécu parce que la coopération de ses membres a rendu la survie possible. Ce n'était pas un individu méritant ici et là qui l'a fait, mais le groupe. Voilà d’ailleurs la plus grande explication derrière notre existence de première République noire.