Il devait être dans les 20 heures. J’étais dans ce bar à Carrefour-Feuilles
où j’avais l’habitude de boire avec des potes quand j’ai reçu son appel.
Il devait être dans les 20 heures. J’étais dans ce bar à Carrefour-Feuilles où j’avais l’habitude de boire avec des potes quand j’ai reçu son appel.
_ Ey! Ma grande!
_ Samuel, t’aurais pas un flingue?
_ Quoi?
_ Y a pas d’arme chez toi? T’as pas d’ami qui en a?
Sa voix était..comment dire... bizarre?... Il y avait une touche de haine, de rage, de colère, de désespoir. J’ai tout de suite su qu’un truc clochait.
_ Qu’est-ce qui a? Pourquoi t’aurais besoin d’une arme?
_ Pourquoi il mériterait de vivre, hein? Il doit mourir. Et je veux m’en occuper personnellement.
_ Qui c’est ce “il”? Pourquoi il mériterait donc de mourir?
Et elle me raconta en pleurant qu’elle a été violée cet après midi par quelqu’un qu’elle connaissait. Et sa voix continuait à résonner dans ma tête: “pourquoi il mériterait de vivre, hein?” Pourquoi il mériterait de vivre? Je repensais à cette colère, cette rage et je me demandais comment l’apaiser? Qu’est-ce que je devais lui dire? Que dit-on à une fille/femme qu’on vient de violer?
_ Non, je n’en ai pas. Tu m’as dit que c’est comme s’il venait de detruire ta vie... je sais que des châteaux peuvent être construits sur des ruines. Tu peux encore être ce que tu veux. Personne ne peut t’enlever cela. Si tu le tues, tu risques la prison. Et sans t’en rendre compte, peut-être que ce sera dans ce cas précis qu’il t’aurait vraiment détruite. Je ne te demande pas de le pardonner. Je te dis que tu n’as pas à t’en vouloir. Ce n’est pas ta faute ce qui s’est passé. C’est sa faute à lui. Essaie de rester debout. Je suis là. Je serai toujours là.
J’aurais aimé être auprès d’elle en ce moment précis. Peut-être qu’un câlin l’aurait fait du bien. Peut-être que pleurer auprès de quelqu’un l’aurait fait du bien.
Il y eut ce long silence. Puis, elle me remercia. Je lui promis de l’appeler demain. Quand je suis revenu à la table, mon amie m’a regardé puis a dit: c’est quoi la mauvaise nouvelle?
_ Une amie vient d’être victime de viol.
_ Ah! Je suis désolée. Elle est en train de vivre les pires moments de sa vie. Reste auprès d’elle. Elle peut s’en remettre si elle s’accroche.
Elle savait de quoi elle parlait. Elle aussi, elle a été victime d’agression sexuelle. Elle m’en avait parlé. Elle en a eu un garçon, d’ailleurs.
Parfois, je me dis qu’on doit être super fort pour vivre tout ça, en survivre... J’ai déjà entendu parlé de Super-femme; Super-maman; je ne vois pas l’interêt de la redondance. Les femmes sont des Super-humains.
Le lendemain, j’appelle ma sœur. Elle est juriste. Elle est une femme. Elle doit pouvoir me dire quoi faire.
_ Joh! Ça va?
_ Ça va, toi?
_.... (Je lui raconte tout).
_ Merde!(Ça, c’est sûrement de moi. Cela doit faire un an, donc les mots ne sont pas exacts. Je ne vois pas ma sœur s’exclamait ainsi)... C’est horrible, tout ça! En fait, tu as des amies à qui il n’arrête pas d’arriver des trucs affreux.
Qu’est-ce qu’elle voulait dire par là? Je porte la poisse ou quoi? Oui, j’ai une amie qui vient d’être violée. Oui, j’en ai une autre qui l’a été à ses 6ans, c’est affreux(les hommes ça les arrive d’être affreux!). Oui, il y en a une autre qui a été victime d’agression sexuelle pendant toute une période de son enfance par un oncle qui vivait chez elle; c’est horriblement affreux(les hommes, ça les arrive d’être horriblement affreux). Je connais encore une autre victime à ses 16ans et qui a eu par la suite un garçon. Une autre. Une autre... J’en connais environ dix. Dix (10) femmes victimes d’agression sexuelle par des hommes. Et j’ai fini par comprendre que peut-être que j’en connaissais beaucoup plus. Parce que parmi ces dix (10)femmes, il y en avait que je connaissais depuis des lustres et je ne m’en avais jamais douté. 10 femmes m’ont parlé de leurs agressions. Combien se sont tues? Peut-être que ma sœur elle aussi avait des victimes dans son répertoire mais qu’elle n’en savait rien. Parmi ces dix (10) filles, au moins deux d’entres elles, victimes depuis leurs enfances m’ont dit que personne chez elles n’était au courant. Cela fait dix (10) ans, 15ans qu’elles vivent avec ce poids sur les épaules sans que leurs proches ne se rendent compte de rien. Elles étaient dépressives et leurs familles n’en savaient rien. (Pense donc à ta meilleure amie, à ta petite sœur...)
Ma sœur s’est vite rendu compte qu’elle venait de dire un truc qu’il fallait pas: Pardonne-moi, c’était con de dire ça. Je ne me rappelle plus très bien de tout ça. Ça va me demander de réviser mes notes, mes livres. Il serait mieux que tu appelles Me X.
Me X, était alors substitut du commissaire de gouvernement à Port-au-Prince. Me X, c’est un homme(je tiens à préciser). On le connaît. Joh me passe son numéro. Je l’appelle. Il me répond et je lui explique la raison de mon appel. Je ne comprends pas trop ce qu’il me dit mais ça me donne l’impression qu’il me demande est-ce que je suis sûr que c’est arrivé comme elle me l’a dit. Il remet en doute l’histoire de la fille. Comme s’il me demandait si elle n’avait pas une part de responsabilité dans ce qui lui était arrivé si vraiment c’était arrivé. Est-ce parce que c’est un homme? Puis il rajouta : de toute façon, elle doit aller dans une clinique pour faire des tests et avoir des preuves de l’agression et s’il y a traces d’ADN, ce serait mieux. Ensuite elle vient faire sa déposition au parquet.
Je le remercie et rappelle mon amie. Je lui explique tout. Elle ne veut pas porter plainte. Elle refuse que sa famille soit au courant. Elle a peur que cela salisse sa réputation. Mais bon Dieu, n’est-ce pas elle la victime? Je lui conseille d’aller quand même voir un médecin pour des raisons de santé.
Durant la même semaine, j’en parle à une dame. Elle a fait des études en sciences de l’éducation. Elle souhaite faire des études en psychologie.
_ T’es sûre que c’est arrivé ainsi?
Pourquoi personne ne veut croire une fille qui dit qu’elle est victime d’agressions sexuelles? Est-ce que tout le monde se dit que les hommes sont incapables de commettre de telles horreurs ou quoi? L’une de mes amies a été la victime d’un homme proche de la famille. Quand elle s’est enfin décidé à tout dire à ses parents, ils ne l’ont pas crue. Une autre m’a raconté que dire cela à son petit ami a été la cause de leur rupture...
_ Oui. J’en suis sûr. C’est elle qui m’a tout raconté.
_ Tu es sûr que c’est pas une façon à elle de t’amadouer, de t’amener à ses côtés genre pour prendre soin d’elle?
J’étais perdu là. C’était quoi l’histoire, bon sang! Devrais-je lui dire qu’elles seraient alors une dizaine à me faire le coup? Bon sang! C’est donc ça la connerie humaine? Des femmes, des fillettes se font violées par des hommes. Des hommes trouvent cela presque normal. Des femmes disent que c’est la faute aux femmes à qui c’est arrivé. Mais putain de merde! Quand est-ce que ça s’arrête? Quand j’y repense, parfois, je me dis que j’aurais dû avoir cette arme. J’aurais dû aller moi-même faire la peau à ce connard qui est resté veinard dans son coin. Peut-être qu’il a recommencé. Peut-être qu’il recommencera encore. Ce sera peut-être ta sœur la prochaine fois. Ou ta fille. Ou ta cousine. Ou ta meilleure amie. Ou toi. Est-ce que cela doit t’arriver, ou arriver à ta sœur, à ta nièce, à ta cousine, à ta meilleure amie pour que t’arrêtes de croire que c’est la faute à la victime?
Putain, toutes ces conneries de viol, d’accusations contre les victimes, les coupables impunis qui restent libres de récidiver, quand est-ce que ça s’arrête?
PS: si tu es une victime, parle. Si tu le connais, dénonce-le. Tu éviteras peut-être qu’il fasse d’autre victimes.
Courage, paix et amour à toutes les Femmes. Vous êtes des SuperHumains!