Il ne fait plus aucun doute. Si l'on veut catégoriser les êtres humains, on doit tous les réunir dans un

seul groupe, la race humaine. Vers les années 2000, les études scientifiques du génome humain

ayant conduit à son séquençage, menées à partir de plusieurs individus de phénotypes différents ont

abouti à cette conclusion.

Il ne fait plus aucun doute. Si l’on veut catégoriser les êtres humains, on doit tous les réunir dans un seul groupe, la race humaine. Vers les années 2000, les études scientifiques du génome humain ayant conduit à son séquençage, menées à partir de plusieurs individus de phénotypes différents ont abouti à cette conclusion. Ces recherches venaient ainsi corroborer les affirmations des ethnologues, qui à l’instar de Levi-Strauss niaient l’existence de plusieurs races humaines.

Deux faits incontestables ont été mis en évidence. Premièrement, les êtres humains étaient très proches malgré leur nombre important. Deuxièmement, ils sont tous au sens propre des Africains. Et moi, je suis tentée d’ajouter des Noirs avec des variations de teinte, allant de l’ébène au plus clair. On peut dire que des gens noirs existent réellement, mais existe-il vraiment des gens blancs ou jaunes au sens propre de ces termes ? L’espèce actuelle Homo sapiens sapiens apparut en Afrique depuis près de 300 000 ans.

Mais aujourd’hui encore, ce concept de races multiples, à l’origine du racisme, sévit dans notre monde. Beaucoup persistent à l’utiliser afin de parvenir à leurs fins. D’une part ils essaient de justifier l’exploitation de l’homme par l’homme. D’autre part, ils cherchent à satisfaire leur égo car beaucoup d’individus ont ce besoin permanent de se sentir plus importants, plus grands, plus puissants que l’autre, résultant en un besoin de le dominer. On comprend bien alors que le racisme (défini comme une idéologie postulant une hiérarchie des races ) n’est pas en voie de disparaître dans un proche avenir. Sa forme la plus criante se base sur la couleur de la peau. Ces adeptes vont jusqu’à prendre la Bible comme référence où il serait raconté qu’un fils soit disant noir (Cham) a été maudit par son père (Noé) laquelle malédiction aurait été que son fils à lui (Canaan) soit l’esclave des esclaves de ses frères et cette malédiction s’étendrait à sa postérité.

Ainsi, des sujets dits noirs sont considérés inférieurs par leur vis-à-vis dits blancs et jaunes, puisque punis à être réduits en esclavage. Mais, ne nous méprenons pas, le racisme anti-noir n’est pas l’apanage des Blancs, même si ces derniers l’affichent plus ouvertement. En est la preuve, l’attitude récente des Chinois envers les Africains qui pour une raison ou une autre se trouvaient sur leur territoire pendant cette nouvelle pandémie de Covid 19. Le mauvais traitement infligé aux Noirs par les Arabes en Lybie fait aujourd’hui encore la une de l’actualité.

Malheureusement, le racisme a engendré un monstre pire à mon avis : le colorisme. Ce terme assez récent né dans les années 80 a été rendu populaire par Alice Walker dans son recueil de poèmes, « In search of our mother’s garden. » Cependant, le colorisme a été esquissé déjà dans la Grèce antique. Des produits blanchissants à base de plomb ont été retrouvés dans les tombes des femmes aristocratiques de l’époque. Il se poursuivit un peu plus tard dans le monde occidental chez les Blancs et le monde oriental Asiatique. Déjà à la cour d’Angleterre sous le règne d’Elizabeth I, on s’acharnait à garder la peau la plus blanche possible. Le teint laiteux, mat était une marque de noblesse car le celui tanné, basané était l’attribut des classes ouvrières travaillant au grand air sous le soleil. De même, les femmes Japonaises dès le VIIIème se couvraient le visage d’une blanche poudre pour se doter d’un teint de porcelaine qui signifiait également un rang élevé dans leur société. Mais, le colorisme sous sa forme classique pure trouve ses origines à la période plus récente de l’esclavage.

En effet, les esclaves à la peau très foncée étaient plus durement traités que ceux dont la peau était un peu plus claire. Ils étaient d’office qualifiés pour les rudes travaux des champs tandis que les autres se voyaient confier la tâche moins pénible de servir dans la maison des maîtres. Cette même différence s’observait avec les enfants issus des relations entre maîtres blancs et esclaves noires. Plus la couleur de l’enfant se rapprochait de celle du père, plus cette progéniture recevait des faveurs de ce dernier. La petite histoire rapporte que le général Pétion, un des héros de notre indépendance souffrit de cette différence entre elle et sa sœur, tous deux nés d’un même père colon qui préféraitsa fille beaucoup plus claire que son frère.

Le colorisme ainsi défini est une discrimination interne, entre des individus appartenant à un même groupe basée sur les variations du teint. Plus la peau est claire, plus elle est jolie. Discriminés pendant des siècles, haïs, abusés, cet harcèlement psychologique a fini par faire son effet, venant à bout de l’estime de soi des peuples noirs. Ils se sont mis eux aussi à détester leur couleur voulant à tout prix se débarrasser de cet objet de leurs malheurs. Certains ont même développé un rapport de déni avec la couleur de leur peau. Je me rappelle toujours avec un sourire, cette amie de ma mère, sombre comme la nuit qui un jour la réprimanda de m’avoir qualifiée de noire. Elle m’a recommandé de ne jamais me laisser dire que je l’étais, m’apprenant par la même occasion que j’étais une jolie morena. Je n’ai su jusqu’à présent identifier cette supposée couleur qualifiant mieux la teinte de mon épiderme. Ça fait moins d’une semaine que j’ai du « sermonner » une jeune fille de 17 ans environ qui se réjouissait d'avoir regagné grâce au confinement sa « tikoulè » qu’elle avait perdue en jouant au volley-ball sur la cour ensoleillée de son école. Et mon Dieu, j’ai regardé la jeune fille avec un de pitié car je n’ai pas vu cette clarté de son épiderme dont elle était si fière. C’est quand même triste que le colorisme n’aie pas épargné le Premier Peuple Noir Libre et Indépendant de la terre. 
 

La question de couleurs, taboue dans notre société, agite donc notre vie quotidienne. Le phénomène de la dépigmentation cutanée volontaire est très répandu en Haïti malgré ses innombrables effets néfastes sur la santé physique et mentale de ceux qui la pratiquent. Péjorativement appelé «  douko ou bobistò », beaucoup d’individus s'y adonnent en dépit d’un certain niveau d’éducation. En effet, des femmes de tout âge et de plus en plus d’hommes se dépigmentent la peau pour diverses raisons. Quant à la gente féminine plus on a le teint clair, en d’autres termes, plus on est « grimèl», plus on est capable de séduire, plus on a de chances de se trouver un partenaire, de s’attirer un bon parti. J’ai entendu des hommes dont la peau était coulée dans l’encre noir dire que «  zafè fanm nwa yo pa ladan l. » D’autres s’enorgueillissent de posséder une belle « grimèl ». Des 2 côtés, on veut ajouter du lait à son café pour améliorer la race et garantir un meilleur avenir aux enfants qui vont naître et par la même occasion à toute la famille. En effet, un teint clair accorde bien des avantages socio-économiques particulièrement aux femmes. Elles sont plus prisées sur le marché du travail. A compétences égales, elles ont plus de chance d’obtenir un poste qu’une femme au teint foncé, surtout s’il s’agit d’une position où l’employée sera en contact avec beaucoup de clients. Il arrive que l’on discrimine les enfants les plus foncés à l’intérieur d’une même famille. Les tâches les plus pesantes leur sont confiées. 

Dans certaines contrées, ils sont chargés d’aller chercher de l’eau, les fillettes les plus noires sont vues plus souvent à la cuisine. On protège ceux à la peau plus claire, plus belle et donc plus délicate.

Un long chemin reste à parcourir pour effacer de nos profondeurs ces pensées auto-destructrices et renverser cet état de fait. Il nous faut réunir nos forces, retrouver celle d’Hercule pour casser nos solides et lourdes chaînes mentales qui entravent notre développement personnel et communautaire. Un pays ne peut nullement progresser avec tant de scissures, tant de divisions. Je remercie mes chers parents qui m’ont appris dès mon plus jeune âge que je n’avais rien à envier à quiconque. Ma feue mère n’avait de cesse d’admirer la jolie fillette que j’étais et qui commençait déjà à se transformer en une jolie jeune femme noire avant qu’elle ne fasse le grand saut dans l’au-delà. Aujourd’hui encore, mon père se vante de la beauté de sa fille. Grâce à eux, je sais que la couleur ne fait ni notre beauté, ni notre valeur. Pour ma part, on n’a pas à tirer un quelconque orgueil d’un trait physique lié au caprice de la nature qui nous en a doté. J’ai souvent imaginé notre planète peuplée de personnes identiques tantôt noires, tantôt blanches, tantôt jaunes. A chaque fois, je la trouvais monotone, morne, à la rigueur même, manquant de vie. J’en déduis que notre diversité, nos différences, font notre beauté.
 

Marie Johane Brinnius Banatte est née à Jacmel où se déroula sa petite enfance. Puis, elle vécut une grande partie de sa jeunesse à Port-au-Prince pour poursuivre ses études secondaires et universitaires.

Établie depuis environ 20 ans dans la métro…

Biographie