« Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise » Winston Churchill.

L'avenir n'étant plus ce qu'on escomptait, les systèmes de santé planétaires feraient bien de se montrer intelligents et de s'adapter à ce futur dont nous ignorons encore les contours. Déjà dans tous les secteurs des affaires nous entendons parler du nouvel état normal des choses. La définition de cette nouvelle normalité dépend de l'audience et varie avec l’interlocuteur.  Alors que les discours se multiplient, plus difficile est la tâche de voir les changements de fait qui accompagneront le nouveau normal. Cette difficulté est clairement mise en exergue dans la foule des soumis qui se pique d’une grande capacité d'adaptation. Point n’est besoin de mentionner les têtus. S'il en est ainsi pour les pays avec beaucoup de ressources humaines et matérielles qu'en est-il pour les pays avec les systèmes de santé précaires pour ne pas dire non existants pré-datant la pandémie.
Haiti est un pays qui en a vu de toutes sortes et de toutes les couleurs, dès la prise de son indépendance en 1803 face à une communauté international hostile et revanchard. Le système de santé haïtien n'a de système ou de santé que le nom. COVID19 en Haïti s'apparente plutôt à la face à face entre Goliath et David.  Je m'étonne moi-même en considérant cette analogie de David et Goliath, de constater qu’en ce qui concerne le système de santé haïtien, il y a lieu de garder l'espoir. Je suis beaucoup moins optimiste quand il est de savoir si les Haïtiens vont vraiment apprendre les leçons nécessaires de cette crise. Cependant le fait est que la pandémie nous a forcé à apprendre des leçons. Si nous les gardons et surtout si nous continuons à les développer et à les appliquer, la situation sanitaire en Haïti peut s’avérer meilleure après la crise qu’elle ne l’était avant. Avant de pointer du doigt la petite lueur d’espoir, reculons un peu et voyons l’état des lieux.
Il est écœurant de constater qu’Haïti n'a jamais su profiter de ses multiples crises pour se relancer et se réinventer. Dieu seul sait que des crises on n’en a jamais manquées. 10 années de cela pendant que je prenais soin des victimes du tremblement de terre en Haïti, je me disais qu’avec cette catastrophe qui a détruit notre capital, nous aurions une chance en or de rebâtir Port-au-Prince comme une ville moderne. 10 années plus tard, aujourd’hui, je ne sais toujours pas quoi penser de ce qu’on en a fait.  C’est cet état de fait répété trop souvent dans notre histoire qui vous sape l’optimisme.
Dans le domaine de la santé, la fin du 20e siècle est venue avec des technologies sanitaires et médicales modernes qui étaient plus couteuses les unes que les autres. Haïti n’a jamais été en mesure de s’en procurer et d’en bénéficier comme il se doit. Par exemple la tomographie était plus chère qu’un simple cliché radiographique. Les sonnogrammes plus chères que la tomographie et les images du résonance magnétique encore plus prohibitives. Les technologies endoscopiques utilisant les fibres optiques ont peiné longtemps pour percer sur le marché médical haïtien que ce soit pour les spécialités comme la gastroentérologie, l'urologie, la chirurgie générale ou orthopédique. Alors que ces technologies ont joui de leur âge d'or par leur acceptation et utilisation dans les systèmes de santé des autres pays plus avancés ; pareil niveau de pénétration du marché ne s'est jamais produit en Haïti.
Par contraste, les technologies développées durant les premières décennies du 21e siècle sont de moins en moins couteuses. Cela signifie que les couts prohibitifs qui constituent des barrières d’entrée dans les affaires ont disparus et les couts réduits des technologies de pointe ont abaissé le seuil d’entrée suffisamment et pour une fois peut permettre à Haïti d’y accéder. Je voudrais suggérer que pour avancer, Haïti devra laissez tomber l'idée de récupérer le temps perdu durant la deuxième moitié du vingtième siècle et se lancer directement dans l'utilisation des technologies de base moins coûteuses et plus accessibles du vingt-et-unième siècle.

Si vous ne l'avez pas encore deviné, je suis en train de faire l'apologie de la technologie mobile. Je pense qu'avec ce genre de technologie, Haïti a une meilleure chance de succès. Par exemple la téléphonie de résidence de la TELECO n’est jamais arrivée dans nos milieux ruraux cependant nous avons des téléphones portables partout en Haïti maintenant. Le niveau de profit de cette nouvelle technologie est surtout basé sur le nombre de ses clients plutôt que sur le coût de l'utilisation. Pour cela l'internet, les téléphones sans fil intelligents et les ordinateurs portables deviennent les instruments importants et accessibles pour partager l'information en général, l'éducation sanitaire et peut-être très bientôt des soins de santé à distance. La pandémie COVID19 déjà a forcé le secteur médical à essayer les soins de santé virtuels en ligne.  Avec ces genres d'avancées dictées par la nécessité, l’histoire n'a pas l'intention de faire marche arrière.  J’ai toutes les raisons de penser et de souhaiter que ces nouvelles tentatives aillent s’enraciner dans notre future. Déjà nous souhaitons qu’un Haïti plus intelligent pensera à s'adapter et à faire sienne pareilles pratiques.  Si nous partons de l’idée généralement acceptée que la force et l’efficacité d’un système de santé ne résident pas dans sa capacité de prodiguer des soins tertiaires qui sauvent des vies individuelles, une à la fois ; mais de préférence dans la qualité et la quantité de soins primaire et préventive qui sauvent des vies, une communauté à la fois. Nous avons besoin d’une approche pour promouvoir des communautés en santé. Voyons voir ce que cela pourra ressembler très prochainement.

  • Nous avons besoin d'un système d'alerte santé précoce pour les crises à venir et la technologie pour le faire à bon marché nous est déjà accessible.
  • L'accès numérique doit être considéré comme un service public, comme l'électricité et la plomberie, en devenant un axe prioritaire de développement pour le gouvernement.
  • Les partenariats créatifs et l'économie numérique peuvent créer un monde meilleur pour l’haïtien de demain.
  • Nous avons besoin de créer des équipes de télésanté spécialisée en soins prénataux, soins materno-infantile, en préventions de toutes sortes et j’en passe…
  • La télésanté permettra des milliers de dépistages et de prise en charge à domicile, donnant à nos hôpitaux le temps de se préparer à l'assaut des soins intensifs pour ceux qui en ont besoin et le temps pour éduquer la future génération de professionnels de santé.  
  • En effet, si la plupart des personnes atteintes de COVID-19 seront soignées à domicile, nous aurons appris à les aider depuis chez elles. On est en droit de se demander à quoi d’autre pourrons nous utiliser cette nouvelle façon de faire.

Les leçons apprises en télésanté et en médecine numérique en raison de notre travail en première ligne sur les soins de santé devront servir au bénéfice de l’enseignement des autres industries. Elles nous aideront à prevoir comment chaque industrie sera transformée, alors que la pandémie accélère la numérisation du travail dans tous les secteurs. Nous devons nous engager ensemble à construire des modèles équitables et durables pour un avenir optimiste à la sortie de la crise de COVID-19. Permettez-moi de sélectionner quelques-uns de ces points par ou nous devons commencer :

  1. Rapidité et confiance. Très clairement, nous avons appris à quel point nous avons besoin d'un système d'alerte à réaction rapide et précoce pour les crises futures, que ce soit une pandémie, une épidémie ou le Cholera.
  2. Accès Internet à haut débit. Rester connecter en confinement et continuer une campagne d’éducation illimitée. L'accès numérique est désormais l'oxygène de la télésanté. L'accès numérique doit être considéré comme un service public, au même titre que l'électricité et l’irrigation.
  3. Éthique et équité. La promesse de la médecine numérique est celle de l’accès à n’importe qui à partir de n’importe où.  La médecine numérique nous offre une opportunité sans pareille d'attaquer les déterminants sociaux de la santé et de donner un accès à chacun riche ou pauvre, dans son propre quartier.

En fin de compte, qu’est-ce qu’Haïti a à voir avec tout ça ? Tout ou rien, dépendamment de notre vision. Votre réponse est aussi bonne que la mienne. Maintes fois en grandissant nous avons entendu dire qu’en Haïti tout était à refaire. Eh bien, cette réfection n’a jamais été adressé à bon escient. Si cette génération peut choisir de “faire sans dire” par opposition au passé où il était question de “dire sans faire”, Haïti ne s’en porterait que mieux.