La question des préjugés aiguise notre intérêt puisqu’elle constitue un chapitre des manuels de psychologie sociale, qui dressent un état périodique des connaissances dans cette discipline. Cette question nous fascine parce que le préjugé demeure un mécanisme psychologique qui défie la raison.
La question des préjugés aiguise notre intérêt puisqu’elle constitue un chapitre des manuels de psychologie sociale, qui dressent un état périodique des connaissances dans cette discipline. Cette question nous fascine parce que le préjugé demeure un mécanisme psychologique qui défie la raison. En Haïti, le préjugé est de norme dans une société où la couleur, le sexe, l'âge, le rang social, et même son lieu d’origine ou sa ville natale suffisent pour nous ouvrir les portes et nous accorder les privilèges ou, à l’opposé et le plus souvent, nous les fermer et constituer de vrais obstacles à notre avancement.
Pourquoi les Haïtiens sont-ils portés à manifester une attitude favorable ou défavorable envers ceux qu’ils ne connaissent pas? Pourquoi leur attribuent-ils certaines caractéristiques personnelles en se fondant sur le nom, l’appartenance à un groupe ou sur quelques traits morphologiques ? Voilà une des énigmes de la construction de la réalité sociale en Haïti. Cependant, est-ce seulement en Haïti qu’il en est ainsi ? Non, le préjugé est universel. On peut y faire face ou on peut en faire l’expérience dans toutes les sociétés. Par contre, chez nous, il peut être mesquin et souvent dépourvu de sens.
Le préjugé peut être angoissant pour ceux qui en font les frais. C’est un élément de division, une source potentielle de conflit collectif. Un conflit permanent qui menace constamment l’aspiration à l’harmonie nationale et universelle. Dans la manifestation de préjugés d’un individu ou d’un groupe envers un autre, quelque chose échappe à la raison et à la visée civilisatrice de l’Haïtien libéré. On peut y voir leur origine dans les intérêts sans cesse renouvelés et dans les séquelles coloniales qui sévissent encore dans notre société malgré le temps. Nos préjugés reposent sur ce que nous pensons ou croyons savoir de l’autre, et, souvent, cette connaissance est biaisée. Ils prennent leur fondement sur quelques signes considérés comme des stigmates.
Les notions de stigmate et de préjugé sont relatives (E. Goffman, 1963). Elles s’appellent mutuellement dans le sens qu’elles marchent côte à côte. Il est donc important de les mettre en perspective pour saisir leur rationalité, l’enchaînement de leur liaison dans les opérations psychologiques en un processus social. Le stigmate peut être un fait social universel ou une construction sociale.
Il convient de relater qu'en stigmatisation, il y a une relation de stigmatiseurs et de stigmatisés. Cette relation est médiatisée par un jugement à priori, qui en psychosociologie a été conceptualisé sous le label de préjugé. Fischer définit le préjugé comme « une attitude de l’individu comportant une dimension éducative, souvent négative, à l’égard des types de personnes ou de groupes, en fonction de sa propre appartenance sociale » (G.N. Fisher, 1987). Il ajoute qu’il s’agit d’une disposition acquise dont le but est d’établir une différenciation sociale. De là, le préjugé est aussi une discrimination. Il correspond à une attitude composée d’une croyance et d’une valeur qui se traduisent dans les conduites.
Les préjugés diffèrent de par les facteurs qui les génèrent d’une raison à une autre. Ils peuvent être basés sur la tenue vestimentaire, l'handicap physique, la couleur de la peau, un nom renvoyant à une appartenance sociale ou classe sociale, un lieu de naissance etc… Cette constatation renvoie à la question de la nature des stigmates et de la discrimination. Tout trait ou tout attrait peut-il servir de fondement à un préjugé et une discrimination ?
Les attitudes préjudiciables ne doivent pas être tolérées dans toutes sociétés puisqu'elles prennent en considération l'appartenance, la proximité et les relations situationnelles. Elles deviennent alors discriminatoires. Ce renversement peut apparaître comme un jeu d’esprit. Il est donc important d’examiner le facteur situationnel dans les conséquences pratiques du préjugé. Nous pouvons, de cela, déduire que le préjugé se renforce par la discrimination. Il peut être effacé avec l’intégration, c’est-à-dire par le rétablissement de relations interpersonnelles sur la base d’une égalité statutaire. Il peut aussi effacer l’estime de soi. Il peut aussi engendrer la réaction du “courir ou combattre” qui, souvent, est la raison même des préjugés en Haïti.
À défaut d'entamer le dialogue, nous Haïtiens avons tendance à créer des situations où nos interlocuteurs doivent accepter nos points de vue ou les combattre pour imposer les leurs. La discrimination commence par le préjugé pour finir dans l'aliénation. Le processus de stigmatisation se situe à l’interface du social haïtien et de l’individu haïtien. Notre rationalité peut être schématisée de la façon suivante: le stigmate s’inscrit dans nos relations quotidiennes. Certains investissent le champ de la stigmatisation en fixant les normes désirables et les différences discréditantes pour une majorité donnée. Notre société stéréotypée ignore les moments par lesquels une société détermine la meilleure page de son histoire, celle de devenir une nation. Pour rejeter l’état non-désirable, nous devons alors élaborer un discours qui légitime le droit de tous les Haïtiens à être considérés comme égaux et renier la condition hautaine des porteurs de préjugés. Le stigmate est donc une construction sociale. Cette dernière recouvre une série d’oppositions. Notre société doit comprendre que le couple stigmatisé-stigmatiseur renvoie à la dichotomie différent-semblable, positif-négatif, inférieur-supérieur, déviant-normal, faible-puissant.
Pour conclure, soulignons que les distinctions peuvent se traduire au plan des conduites par la discrimination ou faire l’objet d’une censure personnelle.
Puisque les discours stigmatisants déterminent aussi la destinée des stigmatisés, il nous incombe alors de former avec nos semblables et avec des sympathisants une minorité active qui lutte pour amener les stigmatiseurs à réviser les préjugés dont ils sont les tributaires. Tant que ces derniers existent, des stigmatisés seront victimes de préjugés et les discriminations s’ensuivront.