Depuis quelques mois, j’ai arrêté ma marche dominicale sur les sentiers montagneux de Vallue.  Une nouvelle activité a pris le dessus.  La cellule valloise de la Sosyete Lakou Dessalines, travaillant sur le concept « Dessalines Le Grand » et se réunissant tous les dimanches matins, me laisse peu de temps pour cette promenade, en général seul et parfois en duo, de 8 à 10 km.  Finalement, j’ai décidé de revenir à la bonne habitude, ne serait-ce que sur un circuit plus court que d’habitude.  Vallue est le lieu idéal pour des randonnées équestres et pédestres, au cœur des montagnes et des communautés, sur des sentiers bien aménagés et sûrs, où l’on peut s’émerveiller devant la nature par la diversité des attraits qu’elle donne à admirer.

Ce matin du 16 juin 2024, je suis sorti de chez moi à 6:40 heures.  J’ai croisé sur la route 3 personnes qui ne m’ont pas salué le premier. C’est inhabituel. Ce que moi j’ai fait.  Je me suis dit alors que c’est peut-être mon invisibilité qui a pris le dessus. Arrivé à la hauteur des manguiers de la légende de la famille Jérémie, à Tiplas, où l’on peut voir les baies de Petit-Goâve et de Grand-Goâve, j’ai laissé la route principale et me suis engagé dans celle qui conduit à la fontaine. Je suis tout de suite accueilli par le parfum des jasmins, qui envahit et embaume les environs.  Ce sont des fleurs blanches ayant des pétales étoilées en 5 branches. Il est 7:00 heures. De l’autre versant de la montagne s’est élevée brusquement une voix qui crie « merci Seigneur », suivie d’une salve d’applaudissements. Ainsi, a commencé à l’église la cérémonie dominicale, avec un haut-parleur qui perturbe le calme de la montagne.

Petit à petit, je suis redevenu visible. Les passants à pieds ou à motos que j’ai croisés m’ont salué, avant d’avoir moi-même le temps de le faire le premier. Arrivé à la fontaine, à 7:11 heures, il n’y avait que des femmes et des enfants qui sont venus puiser de l’eau pour la maison.  Une femme qui revenait de la fontaine, avec un gallon jaune sur la tête, racontait son histoire, après avoir échangé un instant avec quelqu’un sur une moto descendant la pente. Elle racontait qu’elle allait en ville, transportant sur la tête des marchandises sur un sentier difficile. Elle est tombée et s’est fracturé le cou. Voilà aujourd’hui, ajoute-t-elle, on a des routes et des motos qui circulent partout.  

Puis, j’ai laissé la route pour faire un saut dans mon jardin, à Nan Ye, et avoir une idée de la situation. Un vent frais soufflait soudain, m’annonçant que je viens de changer de façade.  Je contemplais les bois de chêne, de cèdre, d’arbre à pain, d’amandier, de bananier et de calebassier, qui sont présents. J’ai songé à y faire planter plus tard des manguiers greffés et des orangers que j’ai dans ma pépinière.  C’est un bel espace, auquel il manque seulement une installation d’eau pour générer un maximum de richesses.  Un jeune garçon en tenue endimanchée, allant sans doute à l’église, m’a salué à la sortie du jardin, laissant derrière lui un parfum à l’essence de jasmins. Plus loin, c’était un monsieur avec sa bible et son livre de chants d’espérances, puis une dame tirant derrière elle un cabri. Je suis arrivé sur la route principale où j’ai croisé des motos transportant des gens qui allaient à l’église et d’autres y allaient plutôt à pied.  

À l’école communautaire, dont les murs sont ornés de peintures naturalistes, la barrière était ouverte.  Il y avait deux jeunes gens qui puisaient de l’eau dans la citerne, pour remplir leurs bidons jaunes et ensuite les transporter ailleurs sur leur moto.  Le terrain de football était vide, avec seulement un coq et une poulette qui le traversaient. C’est pareil pour l’arène de combat de coqs, de l’autre côté de la route, à Branchiwo. Je continuais de longer la route, en descendant. Après le terrain de foot, il y a l’atelier et le jardin pépinière, les deux appartenant au Centre Banyen Jardin Labo. Arrivé au carrefour qui mène à Tenno, j’ai songé à vérifier la fouille pour l’installation des conduits devant amener l’eau de la citerne de l’atelier à une nouvelle citerne construite au Jardin Labo, pour arroser les plantes dans les jardins garde-manger et la serre.  

Mes expériences de jardin garde-manger, exploitation agro-écologique sur petit espace au rendement exponentiel, m’ont aidé à comprendre qu’il n’y a pas d’agriculture sans maîtrise d’eau, notamment en milieu semi-aride et même semi-humide. En visitant, ce matin, au Jardin Labo, mon jardin garde-manger de bananier, de canne, de citrus, d’igname et de manguiers greffés, un peu blasé par le soleil, je suis plus que convaincu de la justesse de ma décision de construire cette citerne d’une capacité de 15,000 gallons. Bientôt, j’aurai des jardins garde-manger en santé, florissants et abondants.   On peut alors comprendre toute la peine du paysan à faire et à réussir actuellement son agriculture dans un contexte dominé par le changement climatique, la dégradation de l’environnement et l’augmentation du coût de la vie[1].

C’est aussi beau et satisfaisant d’admirer sur sa route des espaces aménagés totalement restaurés, faisant ainsi comprendre que la dégradation très avancée de l’environnement en Haïti peut être domptée. Il suffit de s’y mettre avec foi, engagement et détermination, tout en ayant une stratégie gagnante comme, par exemple, celle du jardin garde-manger, dont la massification dans nos montagnes pourrait beaucoup contribuer à rebâtir des « lakou et forteresses vertes » et, donc, à rendre à portée de main une Haïti renaissante en 2054. 

 

A propos de

Abner Septembre

Sociologue (Diplôme de maîtrise de l'Université d'Ottawa); Diplôme de Licence en Études Africaines, Afro-Américaines et Caribéennes (Université d'Haïti) ; autres études en Sciences du Développement, en archéologie préhistorique, en tourisme et en design de projet communautair…

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