2025, de l’eau pour les paysans
Déjà deux mois (mi-décembre 2024 – mi-février 2025) de siège de la sécheresse dans nos mornes.  Le gouverneur de la rosée faiblit, la population végétale et animale est aux abois, pendant que les cultivateurs s’impatientent et vivent dans l’angoisse de perdre cette année la première saison agricole de production pour nourrir leur famille et le pays.  Mais, ils préparent la terre dans l’espoir que les premières gouttes tomberont bientôt.  C’est enfin arrivé ce lundi 17 février 2025, à partir de 19 :45 heures.  Le lendemain, les cultivateurs en essaim sont dans les champs pour emblaver.  On ressent aussi le bienfait du nettoyage de l’air qu’on respire.
 
 

Depuis les années 40, le problème de l’eau pour l’agriculture a été soulevé par Jacques Roumain, dans son célèbre ouvrage « Gouverneur de la rosée », faisant dire à Délira « Nous mourons tous », des êtres humains, des animaux et des végétaux. Ce problème très vieux est jusqu’ici non résolu.  Ce qui contribue au crépuscule de l’agriculture familiale, exacerbé par la sénescence d’une partie de la main-d’œuvre et la fuite de l’autre composée de jeunes dans sa grande majorité.  Ces derniers rejettent les conditions dans lesquelles l’agriculture se pratique et maudissent le faible rendement qui ne conduit qu’à la paupérisation, la dépendance alimentaire, la dégradation de l’environnement, voire à des problèmes de santé et d’éducation. 
 
Si plusieurs autres facteurs sont à la base de cette triste réalité, l’eau en est par contre au centre et a un poids significatif : « pas d’agriculture sans eau ». Quand nous parlons d’eau, nous faisons surtout référence à la pluie et aux eaux de surface. Si le changement climatique provoque la baisse et l’irrégularité de la saison pluvieuse, le problème est d’abord le gaspillage de l’eau, du non seulement à la non maitrise de la ressource, mais aussi aux habitudes et à la perception du paysan vis-à-vis de la valeur ajoutée de la pluie. Il est coutume de voir, par exemple, les cultures du paysan victimes de stress hydrique pendant que l’eau traverse son jardin ou coule dans une rivière à proximité. Il croit beaucoup dans la pluie qui apporte de l’azote directement à ses plantes, ce lui permettant de voir automatiquement les effets. Notons que 90% de l’agriculture haïtienne est pluviale.
 
Tant pour l’agriculture que pour les besoins domestiques et de loisirs, l’eau se fait rare pour les paysans.  En 2020, seulement 43 % de la population rurale d'Haïti avaient accès à un approvisionnement en eau potable de base, contre 48 % en 2015 et 50 % en 1990. C'est bien moins que la moyenne de 90 % en Amérique latine et dans les Caraïbes en 2022, une tendance assez inquiétante (Internet : Article de BM, 22 mars 2023).  Le milieu rural étant surtout un territoire montagneux occupé de manière dispersée, les gens doivent parcourir de longues distances pour aller chercher de l’eau, dont le mode de transport rend souvent non potable, quand bien même elle provient d’une source captée.  
 
Cette rareté n’est pas due d’abord à une insuffisance de la ressource, mais plutôt à un manque d’encadrement entrainant le gaspillage de l’eau.  D’une part, la plupart des rivières déversent leurs eaux dans la mer.  D’autre part, les eaux de pluie connaissent en grande partie le même sort, tout en produisant sur leur passage des dégâts importants dans les mornes, les plaines, les villes, le littoral (mangrove) et l’écosystème marin.  Malgré la baisse des précipitions, due sans doute au changement climatique et au déboisement, Haïti continue à avoir des précipitations annuelles moyennes de 1 400 à 2 000 mm, néanmoins une répartition inégale et une variation selon l'altitude. 
 
Des technologies existent pour résoudre ce problème d’accès à l’eau. Il s’agit entre autres de : bélier hydraulique à haute altitude, impluvium, barrage hydraulique, lac collinaire, réservoir, bassin de décantation utilisant les exutoires des eaux de ruissellement, citerne familiale et captage de source, pompage hybride d’eau de surface, etc.  Par exemple, pour un bélier hydraulique à haute altitude ou un système de pompage solaire d’eau de surface, très adapté pour les montagnes, pouvant desservir au moins une cinquantaine de familles, au niveau agricole et domestique, incluant un système de filtration pour l’accès à l’eau potable, il faut entre US$ 150 mille et 175 mille dollars américains.  A Vallue, un bélier hydraulique a permis de monter l’eau à 300 mètres sur un parcours de 1 500 km.  Ce système est combiné à un impluvium pour remplir un réservoir de distribution de 75,000 gallons d’eau.  A l’époque, l’impluvium a coûté US$ 50 mille et le bélier US$ 125 mille dollars.
 
Un État serviteur et des institutions d’appui pourraient choisir de modérer leur train de vie pour améliorer celui de la population, au lieu de claironner à longueur de journée l’insécurité alimentaire, en chiffrant à date ses victimes à près de 50% de la population et la dépendance alimentaire du pays à plus de 52%.  Autrement, il y a lieu de penser à un vaste complot dont les protagonistes s’unissent pour faire d’Haïti tout simplement un marché de consommateurs.  Si les décideurs qui manipulent les fonds veulent résoudre les questions de l’eau, de la faim et de l’environnement dans les mornes, en milieu rural, ils peuvent recourir à l’une ou l’autre de ces technologies selon les territoires existentiels et les besoins, moyennant d’autres mesures dans une démarche plutôt globale qui adresse tant les facteurs de production que les chaines de valeur et le marché en termes de commercialisation et de protection.
 
Le cadre programmatique « Plante Dlo », sur lequel le Ministère de l’Environnement (MDE) a travaillé (Aout 2020 – Juin 2021), a des pistes intéressantes à exploiter.  L’un des arguments  soutenus est le suivant : « Pour améliorer les conditions de vie des habitants en milieu rural, l’un des leviers à actionner est de partir de l’amélioration de l’habitat familial, incluant l’accès à l’énergie photovoltaïque et à une citerne qui alimente les sanitaires et le jardin garde-manger associé au petit élevage ».  Rappelons que le jardin garde-manger est une approche parcellaire de production au rendement exponentiel, permettant doublement de protéger les terres et de restaurer l’environnement.  Il faut pour cela un budget de18 mille dollars américains par famille, soit US$ 12 mille pour la maison incluant les sanitaires et l’énergétique, US$ 3,000.00 pour une citerne et US$ 3,000.00 pour le jardin garde-manger associé au petit élevage.  
 
Un tel investissement aura de nombreux bénéfices, dont entre autres une autre qualité de vie, la sécurité alimentaire, la possibilité d’accueillir des touristes pour un rapprochement social valorisant et un complément de revenu, permettant de fixer le paysan sur son territoire, notamment les jeunes comme entrepreneurs et jardiniers écoresponsables.  Un autre grand avantage est d’ordre écologique, par l’amélioration du couvert végétal dans une quadruple perspective économique, énergétique, hydrique et sécuritaire.  Ce qu’il faut maintenant pour rendre tous ces avantages une réalité est une politique publique de financement, qu’il incombe à l’État de penser et de rendre à la fois disponible et accessible. 
 

 

A propos de

Abner Septembre

Sociologue (Diplôme de maîtrise de l'Université d'Ottawa); Diplôme de Licence en Études Africaines, Afro-Américaines et Caribéennes (Université d'Haïti) ; autres études en Sciences du Développement, en archéologie préhistorique, en tourisme et en design de projet communautair…

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