Que de joies. Que de plaisirs. Que de bonheurs. Que de majestueux souvenirs vous m'avez procuré en m'offrant cette superbe occasion de m'exprimer en ce 7 février 2025 qui me ramène exactement à 51 ans plus tôt. C'était le 7 février 1974 où sur mes faibles épaules avait pesé la lourde responsabilité de prendre la parole au nom de tous ces diablotins de la classe de RHÉTO qui faisaient voir de toutes les couleurs à notre bien aimé Directeur d'alors, Me Antoine Amazan, appelé ironiquement Zanzan, avec toute la grimace et les laideurs du visage du diablotin qui le prononçait. Et son prédécesseur, Maître Natanaël ALEXANDRE, dit Tiboubou, toujours armé de son lasso ou de sa rigoise pour calmer l’ardeur turbulente de ces enfants que pourtant il affectionnait lui-même. Et Me Willy DELERME, le Censeur, d’un flegme hors du commun, toujours calme, s’exprimant dans un français exquis. N’oublions pas le bon Quéné JABOUIN, le Surveillant, le perpétuel amusement des élèves qui l’appelaient par le sobriquet Yanyan.
Effectivement, nous étions à notre âge de puberté, bavards comme des perroquets, turbulents comme des diables, troublant sans cesse le silence de la salle de classe, dérangeant Me Villarson, dit Rat, dans ses cours de Mathématiques ou Me Alphonse Piard, dans ses cours d'Histoire que nous appelions ironiquement TOURS D'HORIZON, tant l'homme connaissait de choses qui se passaient à travers le monde.
J'étais le bout en train, l'animateur, le turbulent des turbulents de cette classe qui, en dépit de tout, après les cours, a toujours pris les études très au sérieux. On avait plusieurs groupes de travail en ce moment-là. On se rencontrait chez un collègue pour reprendre ensemble tel chapitre qui n'était pas bien saisi en classe. On cotisait pour se faire un tableau. Chaque élève avait son jour pour apporter de la craie. Celui-ci apportait un bout de canne-à-sucre. Celui-là, quelques mangues, et l'autre une cassave au beurre de cacahuètes. Et le résultat, vous pouvez le deviner vous-mêmes, était bon. Si bon que beaucoup d'entre nous ont occupé de grandes fonctions dans l'administration publique. La dernière en date, c’est Marie Lucie Joseph qui était devenue ministre de l’Éducation Nationale, sous le Gouvernement du Président Jovenel MOÏSE. Moi-même, William GUILLAUME, préfet des Cayes et de Port Salut sous le gouvernement du General Prospère Avril, Me Gélème Laguerre, Commissaire du Gouvernement, puis Sénateur de la République. Et la liste pourrait s'allonger indéfiniment.

Ils ont eu devant eux de nobles exemples sur qui copier. Un Édouard Raymond, notre professeur de Maths, avocat, devenu Juge à la Cour de cassation et qui a lui-même refusé la présidence du pays à un moment donné. Un Bonivert Claude, Un Antonio André, tous deux avaient touché le sommet de l’Administration bancaire d’Haïti. On ne doit pas oublier un Berthony Fantal, disparu malheureusement il y a quelques semaines et un Yves Félix qui ont gravi plusieurs échelons dans l'administration de la BNC. Une Mlle et Me Yva Youance, première jeune femme des Cayes avocate, professeure de Français dans presque tous les Collèges de la ville en plus du Lycée. Me Raymond Morpeau, Doyen de la Faculté de Droit des Cayes. Et la liste de nos modèles pourrait s'allonger indéfiniment.
Citons quelques noms de ces petits diables pour l'histoire. Les deux Cousines JOSEPH, Marie Lucie et Gertrude dont la première était devenue Ministre, comme dit plus haut et la deuxième, Gertrude la proéminente était devenue Consul D'HAÏTI à Chicago. Gérald Guerdès, Ti gason Zalie’a, Raymonde Phantal, la Limace, Nancy Remarais, Gabriel Félix, Ti Je, Gaboton, Fritz (Fito, Fifit) Édouard, Gardy Edouard, Petuel Lenescar, devenu Prêtre, Lareguy Jean Feriol, devenu Maire de la ville. Anne Marie John, Tag Ending. Et moi-même, le Marcipio.
Ce Lycée, ce Lycée, ce Lycée a connu, mes amis, de beaux jours de gloire depuis sa création en 1845 sous le Gouvernement de L'ILLUSTRE et l'inoubliable PHILIPPE GUERRIER, qui a eu à créer deux Lycées durant son mandat dont l'un aux Cayes, le nôtre, dont nous fêtons aujourd'hui le cent quatre vingtième anniversaire, et l'autre au Cap Haïtien, sa ville natale.
Notre Lycée a trainé sa paillasse dans plusieurs bâtiments de la ville avant d'être logé enfin dans ce coquet building ébauché en 1949 sous le Gouvernement du Président Dumarsais Estimé, pour être terminé par le président Colonel Paul Eugène Magloire dit Kanson Fè. Le dernier local où il était logé et qui demeure encore frais dans la mémoire de beaucoup de contemporains est l'ancien local de l'école CHARLES LASSÈGUE, au bord de la mer, à proximité du Warf, là où est logé actuellement le dispensaire Sainte Claire.
À un certain moment, les autorités communales s'apprêtaient à offrir en don à Monseigneur Jean Louis Collignon cette construction inachevée pour l’érection du Séminaire de Mazenod. Mais des voix se sont élevées pour dire non. Parmi les protestataires on retrouvait des noms comme Me Marcel Lacroix Lubin, Me Alphonse Piard et toute la frange des intellectuels, dans leur fierté de rigaudin. Et l'État s'est arrangé pour concéder à l'Église Catholique cette étendue de terre où se situe Mazenod à Camp Perrin dont la première promotion fut ordonnée Prêtre le 13 juillet 1958.
Ce terrain où est construit notre Lycée a marqué l'histoire de la ville pour avoir vu naître le chanteur idolâtré de l'orchestre Méridional des Cayes, immortalisé dans la chanson devenue populaire et inoubliable de MANMAN ZO. Je veux parler de Denon Morin. Ce terrain est encore historique pour avoir vu la première apparition de A. B. C.D. Astrel Benjamin Commandant Député aux Cayes. Il a travaillé comme boss maçon dans cette construction qui allait devenir le berceau du savoir et de l'intelligentsia dans la fière cité de Louis Étienne Lysius FÉLICITÉ SALOMON JEUNE et d'Antoine Simon.
Le 12 avril 1955, le jour de l'inauguration de ce nouveau local, flambant neuf, le Président Kanson Fè, Colonel Paul Eugène Magloire, accompagné de son ministre de l’Éducation Monsieur Michaud, a effectué le voyage pour venir, lui-même couper le ruban et donner accès à la jeunesse Cayenne à son nouveau berceau du savoir. Il est reçu par une délégation composée du préfet Philippe Jocelyn, du Maire de la ville, le Médecin Pharmacien Clausel Cicard, le Colonel Linné Xavier, Me Octave Hypolite, alors Directeur du Lycée, et le Lieutenant Max Tassy.La ville était en liesse, parée de ses plus beaux attraits. Et la zone de LA SAVANNE tirée à quatre épingles.

Malheureusement, neuf ans après, le 24 Août 1964, vers 2h de l'après-midi le cyclone CLÉO est venu avec une vitesse jusque-là jamais vue et a emporté une grande partie du toit du bâtiment que l'on croyait inébranlable. Le gouvernement d'alors, celui de Docteur François Duvalier, Papa Doc, a vite fait de réparer les dégâts et rendre le Lycée fonctionnel en octobre pour la rentrée scolaire.
Le 5 Août 1980, encore un autre coup dur frappa le Lycée quand l'ouragan Allen, avec une vitesse de plus de 270 km/h a balayé la côte Sud, faisant 200 morts. Le LYCÉE fut sérieusement endommagé. Le Président Jean Claude DUVALIER est arrivé en trombe au lever du jour au volant de sa Range Rover et est passé prendre le Directeur Régional du Ministère du Plan, Me Jean CASSION, son ami personnel, pour une visite des lieux. Il passa le volant à Jean Cassion et, passant devant le Lycée, le citoyen Élie Duval, de regrettée mémoire, qui habitait en face, s'est armé de courage, fit signe à l'illustre chauffeur de s'arrêter. Ce qui fut fait. Et il a montré au Président l'État du Lycée. Il a remis à Me Jean Cassion un exemplaire du mensuel imprimé à Port au Prince, COMBITE KISQUÉYEN, propriété du Colonel Max Vallès qui dirigeait dans la Capitale, au Bel-Air, un Collège du même nom. Dans ce numéro du journal paru quelque semaines avant était publié un article de votre serviteur titré PITIÉ POUR MON LYCÉE, décrivant l'État lamentable du bâtiment. Ce geste de courage, empreint de civisme de Monsieur Élie Duval a porté fruit. Le Président Jean Claude DUVALIER promit d’intervenir. Un comité est formé, présidé par le Rév. Père Joseph DAUDIER, pour gérer les travaux ; car le président de la République avait promis qu’il allait intervenir rapidement. Et dans moins de quinze jours un chèque émis à l’ordre du Père DAUDIER arriva.
Le LYCÉE PHILIPPE GUERRIER DES CAYES n'était pas seulement une école, un centre d'apprentissage où l'on dispensait aux jeunes des cours de français, d'anglais, d'espagnol, de latin, de mathématiques. C'était aussi un centre culturel où nos professeurs se souciaient de nous, depuis notre tenue vestimentaire, jusqu'à nos relations amicales. Ils nous faisaient des cours, de véritables sermons sur la morale, la conduite à tenir entre nous et en société. Ce qui débouchait souvent sur la formation de groupes socio-culturels qui ont vu percer beaucoup de jeunes poètes, dramaturges, comédiens, narrateurs, diseurs, journalistes. Ma génération a trouvé ce que beaucoup de nos devanciers ont laissé comme traces. Il me vient à la tête ce quatuor qui, tous issus de cette alma mater, le Lycée, et qui, à un moment donné hissait bien haut le flambeau de la culture aux Cayes. Comment oublier un Roger Lamour, mémorable pour sa pièce socio juridique titrée ‘’LE VOLEUR’’ , bâtie sur une erreur judiciaire ? Un Amédé Éliacin, Inspecteur des écoles, toujours vêtue de blanc ? Un Luc Bernadel, collecteur des Impôts à la D.G.I. ? Emeric François, comédien qui s'adapte à n'importe quel rôle. Ils ont tous les quatre sucé le bon lait de l'instruction à la mamelle de ce Lycée pour porter la culture à un niveau jusque-là inégalé. De ce quatuor, de journaux virent le jour aux Cayes, le journal La Garde et le journal Le Jour. Leurs mémoires resteront à jamais vivantes dans les archives de la culture Cayenne.
Quant à ma génération, n'en parlons pas. Vers les années 76/78 le Lycée a connu une équipe de jeunes qui, mettant les pieds dans les traces de leurs prédécesseurs, a opéré un éclatement avec un jeune du nom de Léonce Avignon qui a écrit et fait jouer une pièce satirique sous le titre évocateur de "LES PRÉTENDUS SPIRITUELS" où il a mis en scène avec tous leurs défauts et dans toutes leurs laideurs, des Notables de la ville, tout en ayant soin de ne citer le nom de personne. Chacun s’y trouvait dépeint dans une anagramme. Docteur Claite pour Docteur Calixte ; Père Pussy pour Père Lussier ; Me Dapir pour Me Piard, Macéonel pour Léonce M. Avigon etc. C'était l'année de la floraison. Paul Yves Joseph a écrit et fait jouer ‘’Affaire Cicilien’’, montée à partir d'une erreur judiciaire. William Guillaume, votre serviteur a présenté MA FAUTE DEMEURE, un roman d’amour. Alfrèd Marsan est venu avec QUI FRANCHIT LE CERCLE DOIT BRISER LE COMPAS, encore un roman d'amour. Charles Jean Baptiste, Honiole Élysée. Rose Laure Saint Hubert et tant d'autres jeunes ont percé cette année-là. Ils ont tous voulu montrer de quoi ils sont capables. Et le rendez-vous était à la salle des pas perdus du Lycée chaque dimanche matin pour une conférence ou à la salle Saint Louis pour un spectacle culturel.
La Salle Saint Louis, c'était aussi un haut lieu de la culture et du savoir où défilaient nos artistes sous les yeux de la crème aristocrate et bourgeoise qui venait nous encourager et découvrir les nouveaux talents devenus plus nombreux chaque jour. On était fier d'appartenir à ÉCLOSION, à SIMBIE ou à JEUNESSE RÉVEIL, tous issus du Lycée.
Malheureusement, le tremblement de terre du 14 Août 2021 est venu et, avec toute la force et dans toute la furie qu'on l'a connu, secouer notre lycée jusque dans la profondeur même de ses bases et a eu gain de cause de lui, jusqu'à porter les Responsables d'alors à consentir le démolissement du peu qui en restait. C'est avec les yeux éplorés, le grand soupir découragé que nous, fils et adeptes du Lycée, avons appris la triste nouvelle. Impuissants, mais solidaires dans le malheur, nous avons assisté à la destruction de notre alma malter par de gros engins mécaniques, assassins à nos yeux.
Aujourd'hui, où en sommes-nous ? Vu l'État de délabrement et de pourrissement sociopolitique qui sévit dans le pays, peut-on compter à cent pour cent sur les gouvernements qui se succèdent pour la reconstruction de ce patrimoine de cent quatre-vingts ans ? Doit-on se croiser les bras et accepter la disparition de notre ALMA MATER ? À ces deux questions, je réponds : Non.
Nos valeureux ancêtres nous ont laissé une légende : L'UNION FAIT LA FORCE, traduite en créole par MEN ANPIL CHÀY PA LOU. Montrons-leur qu'ils ne se sont pas sacrifiés en vain pour nous léguer cette terre et cette légende. Montrons à la nation tout entière que nous, Cayens, nous Sudistes, nous sommes à la hauteur. Si dans les années 65 - 68 le Président Docteur François Duvalier a pu réaliser Duvalier Ville, connue aujourd’hui sous le nom de Cabaret et d'autres infrastructures avec la contribution de tous les élèves du pays, aujourd'hui, tous les élèves du Département du Sud, tant ceux du primaire que ceux du secondaire ainsi que les universitaires, avec le Ministère de l'Éducation en tête, doivent se mettre debout, pour former un faisceau autour des responsables avec une contribution de 100 gourdes seulement par trimestre, et le tour est joué. Si par hasard l'État aurait déjà pris le devant pour la reconstruction du Lycée, la contribution de nos jeunes servira à meubler les classes, puis à doter le Lycée d'un Laboratoire Chimique pour les expériences et un Laboratoire Informatique pour la perfection de notre jeunesse.
Debout donc Sudistes. Debout donc Cayens. Debout donc, Jeunesse estudiantine pour la concrétisation de ce rêve. Le Président Philippe GUERRIER et Président Paul Eugène Magloire, de là où ils nous regardent, ils nous applaudiront.
Quant à vous, vaillante équipe d'organisateurs, plus particulièrement, Madame Ménélas, qui avez pris cette heureuse initiative d'organiser cette fête de façon si spéciale cette année, les mots me manquent, et je deviens timide. Timide par peur de ne pouvoir trouver les mots justes pour vous féliciter et vous remercier. Sachez tout simplement que c'est la génération à venir qui vous rendra un jour, comme je le fais aujourd'hui, la gloire et les honneurs auxquels vous avez droit.
