Diplomatie haïtienne : Méthode et objectifs
Il est important que nous avancions sur ce dossier. Le redressement d’Haïti en voie de décomposition avancée ne peut attendre que nous ayons résolu toutes nos divergences internes en termes de politiques publiques. Est-ce qu’un gouvernement de transition peut entamer une telle réforme ? Pourquoi pas !? Un (e) président (e) démocratiquement élu (e), auréolée (e) de la toute puissance du vote populaire, est mieux indiqué (e) en ce sens. C’est le point de vue d’un grand nombre de nos concitoyens et c’est une question stratégique. Quelle est la vision ou doctrine stratégique qui peut guider les mesures du nouveau ministre des Affaires étrangères et des Cultes, Jean Harvel Victor Jean Baptiste ? Il nous faut des réponses ou la réalité va nous les fournir d’ici quelques mois …
Deux approches apparaissent et s’affrontent même : une approche consistant à simplement changer de personnels pour les remplacer et une approche structurelle visant à réformer en profondeur la machine et les modalités de fonctionnement qui reproduisent tant de gaspillages et de scandales. En ces temps difficiles et aléatoires ? Et pourquoi pas ! A cet égard, il y a des pré-requis légaux : une nouvelle Loi organique du Ministère privilégiant la refonte de l’organigramme en priorisant une structuration moderne des représentations ou missions sur le plan géopolitique à la place du décret en vigueur depuis le 17 août 1987 ; l’élaboration de la Loi sur le statut des fonctionnaires diplomatiques et la carrière diplomatique et consulaire en remplacement de la Loi du 19 décembre 1958 ; la Loi sur le protocole d’Etat, la Loi portant création organisation et fonctionnement de l’Académie diplomatique Jean Price-Mars qui devrait à une plus grande échelle servir d’instrument de formation et de recrutement précieux. Le Centre d’Etudes Diplomatiques et Internationales (CED) de l’ex-ambassadeur Denis Regis qui aurait dû être subventionné par l’Etat haïtien répond depuis le 9 janvier 1997 à cette nécessité pédagogique et professionnelle fondamentale. Tout cet arsenal juridico-administratif et normatif a été déjà codifié sous l’égide de l’ex-ministre des Affaires étrangères et des Cultes Alrich Nicolas dont l’esprit d’anticipation et le patriotisme sont avérés. A l’époque, l’actuel ministre des Affaires étrangères et des Cultes faisait partie du Cabinet particulier de ce dernier.
Sans réserve, pour le bien du pays, tout citoyen honnête, tout dirigeant sérieux, tout parti politique progressiste, bref, toutes les forces vives et saines du pays doivent se positionner en fers de lance de cette seconde option. Héritiers d’un monde globalisé et interconnecté, nous ne pouvons plus nous contenter de demi-mesures ou de marketing politique ou encore de politique-spectacle. Une publicité qui a marché mais ne marche plus. L’état des lieux exige une méthode rigoureuse, une stratégie transparente et une volonté politique inébranlable. Cela passe par des mesures planifiées, pas seulement au niveau du personnel – puisque on feint d’oublier que notre Histoire bégaye toujours. Sans vision globale et des ressources humaines qualifiées, intègres, expérimentées, aucune méthode n’est utile en fin de compte. Le respect des principes de l’Etat de droit est (doit être) en effet au cœur de la stratégie de réorganisation de notre diplomatie – j’ai beaucoup de peine à employer ce terme lorsqu’on évoque un ensemble de ‘‘djobeurs’’ et sinécuristes pour la plupart - ; la méthode ne peut pas marcher sans une doctrine (vision) bien définie. La méthode est donc par essence un élément incontournable de la vision de la (nouvelle) diplomatie haïtienne.
En ces temps d’hyper-médiatisation, même les mesures cosmétiques de rappels et de réaffectations de l’ex-ministre Dominique Dupuy étaient considérées par certains comme un signal fort envoyé à l’inertie ambiante, elles ne représentaient pas un véritable plan de réformes, élaboré avec méthode et sérénité. Par exemple, avec ses déclarations certes patriotiques mais pas diplomatiques, elle a pollué nos relations avec la toute puissante République voisine. L’évaluation des deux approches est d’autant plus salutaire qu’elles ne reposent pas sur les mêmes visions de la gestion de l’Etat, sur la même appréhension des enjeux et des intérêts en jeu. Est-ce de la poudre aux yeux que nommer, réaffecter et rappeler en veux-tu en voilà ? Certainement. C’est grâce à la longue durée que nous aurions pu évaluer le passage de cette ministre tout feu tout flamme à la tête du MAEC. Sans doute. Mais faire de la com’ en espérant réussir ne fonctionne pas in fine. Pourtant, il est instructif et nécessaire de se demander ce que signifie le choix de moderniser notre appareil diplomatique en procédant seulement à des réaffectations, des rappels et des nominations pour dynamiser nos relations avec les autres pays.
En premier lieu, cette nécessité réformatrice doit se distinguer par son impératif patriotique, qui s’oppose au misérabilisme dicté par le partage du gâteau entre les dirigeants. Les postes diplomatiques et consulaires n’y sont perçus que sous l’angle de faveurs népotiques et partisanes. Pour que la diplomatie haïtienne devienne l’instrument privilégié de promotion et de défense de nos intérêts à l’étranger, les ministères de la Coopération externe, de la Culture, du Commerce et des Haïtiens vivant à l’étranger doivent être pris en compte aussi, car ces derniers sont incontournables dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une vision globale. Il faut, somme toute, une stratégie opérationnelle moderne !
En second lieu, les explications avancées pour éclairer ce statu quo et cette accélération du « chaos diplomatique » sont le plus souvent associés aux gouvernements de Martelly-Lamothe, de Privert-Jean-Charles, de Moïse-Claude, d’Ariel Henry et du CPT-Conille. Et l’absence de vision et de volonté pour transformer les choses ? Sur le plan de la gouvernance politique, identifier la thèse des parlementaires « gloutons » comme la principale cause de ‘‘cette catastrophe qui végète’’, puisqu’elle conduit les détenteurs du pouvoir exécutif à s’excuser ou se dédouaner, permet aussi de rejeter les impératifs de renouveau et de professionnalisation, le plus souvent défendus par l’opinion publique excédée par tant d’inanité et de corruption, avec un point commun : l’accusation de ne jamais rien faire de ce que le gouvernement avait annoncé, voire d’être à la solde de groupes d’intérêt divers. Se trouve en contrepoint accréditée la thèse nettement plus révoltante, d'un laisser-aller catastrophiste et de la dilution des sentiments nationaux de dignité, de prestige et d’efficacité.
Les cas de missions diplomatiques et consulaires pléthoriques comme en République dominicaine ou aux Etats-Unis, pays qui combinent confort et liens de famille, peuvent être opposés aux pays africains et asiatiques où l’absence de consulats et ambassades haïtiens est plus que regrettable. D’où la nécessité de réajuster la cartographie de l’ensemble de nos missions qui aboutirait au rejet de choix et de ressources coupés de l’intérêt du pays. De plus, la question du « dégraissage » de nos ambassades et consulats et la question de la fermeture/ouverture de certains d’entre eux sont présentées comme complémentaires, le « vetting » étant vu comme un processus à la fois administratif et budgétaire. Le dossier des contractuels et le principe de la rotation qui permet de « déboulonner » les plus incrustés de nos diplomates et cadres ou employés aux « profils bas » offrent à cet égard des pistes d’assainissement incontournable tant sur le plan budgétaire que sur le plan administratif ou managérial.
Une telle désorganisation – pour ne pas dire un tel bordel – n’est possible qu’au mépris le plus complet de toute forme de gestion ou de management, qui en montre toutes les dérives politiques et administratives ainsi que le défi déroutant de ramener notre diplomatie à une forme rationnelle qu’est le pilotage stratégique d’un ministère (défaillant à plusieurs égards) sans perdre en supervision, en évaluation continue et en planification sur la base de critères et d’objectifs pré-établis. Ce constat tragique fonde le bilan ou le diagnostic, non dénué de fatalisme et d’improvisation, d’un ministère – comme tant d’autres malheureusement – non administré, mal géré, sans balises, livré aux « chefs » de tous bords qui revendiquent pour eux-mêmes le monopole des postes sans aucun souci du bien commun.
C’est une situation déplorable qui peut être corrigée. Cette situation tant décriée est une forme de dilemme social : l’intérêt clanique et l’intérêt collectif ne coïncident pas. Une telle perspective rappelle que ce chantier immense n’est qu’un nouvel avatar – en grande partie – des dérives gouvernementales qui remontent à l’après-Préval dans lesquelles se sont incrustées la marchandisation du jeu politique et la banalisation outrancière de la fonction diplomatique. Comment s’étonner que des groupes de pression et d’intérêt contre-productifs y voient une occasion d’actualiser leur combat contre la corruption et le défaitisme ? Mais aussi que ces mêmes « ayant-droit » ou parasites reformulent leurs idées patriotiques dans les habits colorés de l’intérêt général.