Sans aucun doute, tout le monde sait à quoi ressemble un drapeau. Cependant, le commun des mortels ignore peut-être sa vraie signification.

Sans aucun doute, tout le monde sait à quoi ressemble un drapeau. Cependant, le commun des mortels ignore peut-être sa vraie signification. Plusieurs l’assimilent souvent à une simple pièce d’étoffe accrochée à un mat pour représenter un individu, une marque, une institution ou un groupe d’individus œuvrant pour une cause. De forme variée, le drapeau permet de distinguer deux entités distinctes ou concurrentes. Grâce à ses couleurs et son emblème, il peut aussi transmettre de l’information ou des messages forts même à ceux qui le voient pour la première fois. Tous les éléments qui composent un drapeau sont à prendre en grande considération. En ce qui concerne le bicolore haïtien, le symbolisme qui l’entoure depuis sa création et jusqu’à aujourd’hui, justifie pleinement les raisons de sa conception.

Il est unanimement reconnu que la fondation d’un pays ou d’une nation se fait à partir de symboles, l’un des plus authentiques et des plus précieux étant le drapeau. Nos ancêtres l’avaient très bien compris. Il est rapporté dans les annales historiques qu’à l’issue d’une réunion à l’Arcahaie entre deux des grands généraux de l’époque, Jean-Jacques Dessalines et Alexandre Pétion, le blanc du drapeau tricolore français fut enlevé et les deux autres bandes d’étoffe racolées, mais dans le sens horizontal : le bleu en haut et le rouge en bas. Reconnu comme le premier drapeau d’un peuple noir libéré d’une longue période d’esclavage, il constituait déjà la première pierre posée dans la création de notre patrie.

Plus de deux cents ans plus tard, nous nous retrouvons dans l’obligation de remonter à cette période de l’histoire, pour tenter de trouver une explication aux déchirures constantes entre fils et filles d’une même nation. Une de ces déchirures tend à se reposer sur la diversité ethnique. Celle-ci est due en grande partie aux abus de toutes sortes dont nos frères et sœurs esclaves ont souffert au cours des deux siècles qu’a duré le système colonial esclavagiste. En effet, en raison des viols, des cas de concubinage, des exploitations sexuelles commises par les maîtres blancs sur les femmes esclaves, ces dernières donnèrent naissance à des fils et des filles qui formèrent plus tard une classe surnommée : les affranchis, les métis et, plus proche de nous, les mulâtres. Bénéficiant, grâce à la couleur de leur peau, d’un traitement différent, d’une éducation différente, certains d’entre eux pouvaient se rendre à la métropole pour finaliser leurs études. Rejetés par leurs pères géniteurs blancs, les affranchis sont venus agrandir le nombre des habitants de cette terre de Saint Domingue.

Cependant, dès le début, les affranchis ne montraient aucune sympathie envers les esclaves. Au contraire, ces deux groupes différents par leur origine et leur statut socioéconomique entretenaient une certaine rivalité entre eux. Une rivalité que les grands propriétaires blancs ont utilisé à leur guise pour mater l’un ou l’autre de ces deux groupes inférieurs. Tantôt les blancs se mirent avec les affranchis pour assujettir les esclaves, tantôt ils s’allient aux esclaves pour réduire au silence les affranchis. Un seul point commun les confondait, tous deux, affranchis et esclaves, subissaient avec la même angoisse le mépris du propriétaire blanc. Ainsi, après maintes guerres, affranchis et esclaves finirent par réaliser que toute alliance entre leurs deux groupes pouvait leur assurer la victoire contre les maîtres blancs. Pour la première fois, germa l’idée de se rallier pour une même cause. Il fallait construire l’unité pour arriver à l’indépendance. Pour signifier leur ralliement aux colons blancs et au reste du monde, ils mirent sur pied l’armée indigène réunie sous l’étendard bleu et rouge. Le bleu symbolisait la classe des nègres et le rouge celle des métis ou affranchis. La naissance de la nouvelle nation fut donc le fruit d’un compromis entre deux groupes socialement opposés, qui facilita la naissance de la première nation d’esclaves libérés, et fit de Saint Domingue : La république d’Haïti avec une population unique : Les Haïtiens.

Si nos ancêtres (esclaves et affranchis) ont compris la nécessité de cette unité qui, non seulement a conduit à l’indépendance d’Haïti mais aussi a écrit la première page de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, pourquoi nous, leurs dignes héritiers, n’arrivons-nous pas à nous entendre et préférons-nous raviver la flamme de la division entre nous ?

En plus des couleurs de notre bicolore qui nous rappelle notre identité, il y a aussi la devise qui nous motive à rester unis : « L’union fait la force ». L’unité a permis au petit David que nous étions de renverser le Goliath du système esclavagiste. Puisque, bien malgré nous, il nous reste beaucoup d’autres batailles à gagner, il ne faut qu’à aucun moment, nous nous séparions de cette arme redoutable qu’est l’union. Nos ancêtres nous ont laissé un riche héritage, il nous revient de l’utiliser à bon escient, de mettre en pratique notre devise pour trouver notre voie et continuer à faire entendre notre voix dans le concert des nations.

Au chapitre des composantes de notre bicolore s’inscrivent également les armes de la république qui nous rappellent que les fondements de notre pays ont été érigés à partir des multiples sacrifices de nos ancêtres, que la liberté a été acquise par le sang et sur le sang. Nous ne devons jamais baisser les bras devant l’adversité, quelle que soit sa taille. Les concepts de liberté, d’égalité et de fraternité doivent être nos seules boussoles dans notre quête d’une société plus juste et plus soucieuse du bien commun. Aujourd’hui, plus que jamais, notre pays a besoin de paix. Il est temps d’enterrer nos querelles et nos préjugés et de faire de notre terre une oasis de liberté et de grandeur d’âme. Soyons les dignes héritiers des défenseurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité entre les hommes.

La question de la coloration épidermique est souvent soulevée pour nous monter les uns contre les autres et créer la pagaille dans nos rangs. À chaque fois que cela se produit, il faut remonter à nos origines et nous inspirer des raisons qui, dans le temps, ont poussé nos ancêtres noirs, griffes ou mulâtres à se mettre ensemble pour le bien de la cité. Le sens du civisme et l’amour de la patrie nous recommandent parfois de fermer nos oreilles aux chants de sirènes pour ne pas faire entorse au symbolisme si édifiant de notre bicolore.

Jude Jacques Renaud Duvivier est originaire de la ville des Cayes, Chef-lieu du département du Sud d'Haïti. Là il a fait ses études primaire et secondaire jusqu'à la 4ème chez les Frères de l'Instruction Chrétienne (FIC), communément appelé Frères Odile Joseph. Installé à Por…

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