Sur cette terre foulée par les héros de notre histoire, lors de la proclamation de l’Indépendance de la mère patrie, j’ai vu le jour à une époque où subsistaient encore certaines valeurs.
Sur cette terre foulée par les héros de notre histoire, lors de la proclamation de l’Indépendance de la mère patrie, j’ai vu le jour à une époque où subsistaient encore certaines valeurs. Des valeurs qui, jadis, nous conféraient des attributs humains et nous rattachaient davantage à une fierté patriotique. Une fierté qui, d’ailleurs, nous rappelait que le prix de notre Indépendance a été l’effort consenti par des hommes et des femmes vaillants, désireux de léguer à chacun de nous un morceau de terre et de nous faire goûter aux délices de la liberté. À l’école comme à la maison, des valeurs liées à l’histoire de notre chère patrie nous ont été inculquées avec passion et véhémence. L’on comprenait fort bien le sens du drapeau, ce qu’il représentait pour chaque Haïtien.
C’était extraordinaire de constater comment un seul et même symbole pouvait nous placer sur un même piédestal. « L’union fait la force », entendais-je presque partout, dans tout ce qu’on entreprenait. Quand arrivait le 18 mai, toutes nos forces convergeaient vers un seul et unique objectif : célébrer notre drapeau. Aux quatre coins du pays, les adultes, animés d’une fierté et faisant preuve d’une synergie à nulle autre pareille, se joignaient aux enfants pour entonner à l’unisson : « Mon drapeau, peau-peau, mon joli petit drapeau. ». Ne sommes-nous pas tous d’avis que le bonheur et la joie inondaient le cœur du peuple haïtien à cette époque-là.
De nos jours, c’est vraiment désolant de constater que cette manifestation de fierté n’est plus. Peu à peu, cette flamme, qui chancelait en dépit de tout, a fini par s’éteindre. Pour preuve, cet incident dont j’ai été témoin et dont je m’apprête à vous conter certains détails. Coincée dans un embouteillage, comme c’est d’ailleurs le cas presqu’à chaque matin, sur le chemin qui mène à mon travail, j’eus le souffle coupé par une scène des plus aberrantes. C’était la journée précédant la fête du bicolore. Pour quelqu’un qui a pris naissance dans la cité de l’Indépendance et à qui on a fait comprendre l’importance de l’événement du 18 mai 1803 à l'Arcahaie, je ne pus m’empêcher d’être envahie par la honte et le désespoir lorsqu’un marchand, son panier attaché au cou, offrit un drapeau à un homme qui circulait tout juste à côté de lui. Comme il s’agissait d’un « produit » qui, pour être vendu, devait être offert avec insistance, en raison du déséquilibre entre l’offre et de la demande, le « marchand de drapeau », cherchant à gagner son pain à tout prix, fit légèrement flotter son drapeau tout près du visage de cet homme qui, jusque-là, avait tout l’air d’un être respectueux. Sur un ton élevé, agressif, teinté de mépris, il proféra des propos irrévérencieux envers le marchand, laissant entendre qu’à ses yeux ce drapeau n’est autre chose qu’un « amas de détritus » abandonné au marché de la Croix des Bossales de Port-au-Prince. Évidemment, il cria tellement fort que, même à une distance de deux cents mètres, on pouvait entendre ses frustrations envers les maux de ce pays. Sans mot dire, le vendeur, comprenant la leçon se déplaça, non sans gêne, affichant clairement un fort sentiment de déception.
J’avoue, qu’à un moment donné une panoplie de pensées traversa mon esprit. Sans aucun doute, cet incident est, de mon vécu, l’un des pires faits m’ayant autant indignée comme Haïtienne. Cela me fit grandement comprendre que la situation est plus qu’alarmante et que nous devons à tout prix faire quelque chose. Nous avons encore le devoir de manifester ensemble, d’une seule voix, pour le retour à cette fierté patriotique qui, pendant longtemps, nous animait tous. Haïtiennes, Haïtiens, le moment est venu ! Nous avons tous notre part de responsabilité, assumons-la !