A mon égérie, ma muse.
J’ai rêvé de toi hier soir alors que je te connais à peine. Mercredi, dans ce restaurant bondé où l’on parle littérature, j’ai été surpris que tu m’aies salué.
A mon égérie, ma muse.
J’ai rêvé de toi hier soir alors que je te connais à peine. Mercredi, dans ce restaurant bondé où l’on parle littérature, j’ai été surpris que tu m’aies salué. Comment une aussi belle femme pouvait-elle poser les yeux sur moi ? J’en ai déduit que j’étais encore beau garçon, que mon regard t’avait séduit silencieusement, sans le savoir. Mais, au fur et à mesure que je scrutais la salle, je réalisai que tu étais une femme du monde et que tu saluais tous les invités au hasard. Je l’avoue, je n’ai pas su décoller mes yeux de tes hanches qui valsaient au loin. Mes instants de répit me ramenaient vers ce visage qui contait une histoire que je n’arrivais pas à comprendre. Qui es-tu, d’où viens-tu, as-tu déjà entendu parler de mes prouesses intellectuelles ? Pour la première fois, j’aurais aimé avoir une réputation, des acquis, des réalisations qui feraient briller tes yeux. Mais il n’en est rien ; je suis un homme quelconque, sans imagination, et qui s’étreint dans ses rêveries de grandeur. Il fallait que je t’approche moi-même, tout seul, et que je t’invente une raison de m’écouter au milieu de cet interminable bruit. Je t’ai tendu une main que tu as acceptée et je t’ai professé, avec timidité, mon désir de te connaitre un peu plus. Tu m’as répondu qu’on pourrait se parler dans un futur proche, samedi. C’est ce samedi que, assis tout seul avec mon verre de rhum, j’attends depuis plus de 24 heures ; il me reste encore deux jours.
J’ai toujours maudit la beauté, car je n’ai jamais su quoi en faire. Du moins, j’ai toujours perdu la raison face aux œuvres minutieusement créées par la nature. Alors, je me suis inventé un monde où je méprise les belles femmes parce que je les aime trop. Dans ce monde imaginaire, je n’aime que les femmes intelligentes, celles dont les conversations dépassent la futilité des visages agréables. Ce monde, tu l’as brisé avec une violence passive qui mérite le pire châtiment. Quand je pense à toi, je rêve de guillotine, des supplices de l’inquisition espagnole et des escadrons de la mort du sanguinaire Pinochet. Je pense que je ne pense plus.
En attendant Samedi, j’ai rêvé de toi, hier soir. J’étais dans une ville des Cayes que je reconnaissais à peine. Il y avait, dans les rues, un air de modernité qui ne correspond pas au présent. J’étais assis dans un aéroport à t’attendre, un bouquet de fleurs à la main, un sourire au visage. Tu es arrivée, aussi belle que le jour où je t’avais rencontrée, portant la même robe qui épousait fidèlement tes courbes. Et, alors que je tentais de poser un baiser sur ta joue, je me suis réveillé. Mes vaines tentatives de me rendormir m’ont déçu. Le bonheur appartient à ceux qui savent rester au lit.
Éveillé face à la ville qui gronde, j’ai envie de penser à toi. Alors, je nous invente un monde où tu es à mes côtés et qu’ensemble, nous regardons les passants qui ne se soucient guère de notre présence. J’imagine ton sourire, tes éclats de rire et ton regard qui ne m’appartient pas. J’imagine que tu me racontes que Dieu m’avait jalousement caché et que nous nous sommes rencontrés au bon moment. Je regarde tes jambes, furtivement, essayant de cacher mon désir déplacé de les toucher. J’imagine que tu m’apprécies beaucoup, même si tu ne me l’as pas encore avoué. Et tout d’un coup, je me demande si je suis fou. Fou d’imaginer une vie avec une femme que je ne connais même pas. Je n’en suis pas certain. Baudelaire n’a-t-il pas écrit son plus beau poème à une passante; Prévert n’a-t-il pas trouvé son esclave au marché des chaînes ? Un poète invente le monde qu’il veut. Et si je ne suis pas poète, au moins je suis en paix quand je nous invente une histoire, en attendant samedi.