L’attente a été longue. Le Conseil électoral provisoire (CEP) est finalement installé, après la prestation de serment de ses membres par devant les honorables juges de la Cour de Cassation. Un CEP amputé de deux membres, signe tangible d’une société malade, d’une classe politique en déclin. Cela prouve une fois de plus à quel point les intérêts de la nation importent peu. Le pays en déclin a gaspillé un temps précieux qui aurait pu être utilisé pour faire des progrès dans certains domaines, notamment en ce qui concerne la question électorale. Il n'y a plus de temps à perdre à présent. Les nouveaux conseillers électoraux doivent se mettre au travail illico presto. La tâche à accomplir est ardue et compliquée. Les défis sont énormes. En conséquence, le temps et la passivité sont inévitablement les adversaires numéro un de ce CEP. Pour remporter ce challenge, il est crucial que les conseillers électoraux puissent allier efficacité et efficience en mobilisant toutes les ressources nécessaires humaines, matérielles et financières.

Si l'on doit énumérer les grands chantiers qui attendent le Conseil d'administration du CEP, nous commencerons par évoquer la situation du personnel de l'institution. Des arriérés de salaire dus. Une situation embarrassante, quand on sait que l'inflation galopante ne cesse d'appauvrir les ménages.

L’évaluation de la machine électorale. C’est une routine de prise de charge que de faire l’inventaire des ressources humaines et matérielles lorsqu’on entre dans une fonction. Les conseillers devront sans tarder déterminer le nombre et la qualité des ressources humaines à disposition pour accomplir la mission, ainsi que le matériel disponible. Une fois cette opération achevée, le Conseil pourra prendre les dispositions nécessaires pour organiser le référendum constitutionnel dès que le texte qui sera soumis au verdict populaire sera prêt. Il est à noter que le Conseil électoral provisoire précédent avait fait l’acquisitiond’un ensemble de matériels pour l'organisation du référendum. Ce matériel devrait être utilisable en grande partie. Le CEP ne partira donc pas de rien du tout. 

Le référendum constitutionnel. Organiser le référendum sera le premier véritable test pour le CEP. En passant, signalons ce point pour ceux qui prétendent de manière erronée que le CEP ne peut pas organiser de référendum en raison de l'interdiction de la constitution. Ils auraient eu raison si le référendum concernait l’amendement de quelques articles de la constitution. Cependant, il s'agit d'une consultation pour l'adoption d'une nouvelle constitution. Ce qui veut dire que le texte proposera des changements substantiels par rapport au texte existant. Probablement, il sera question de changer la forme de l'État, le régime politique, le fonctionnement des institutions régaliennes de l'État, le principe de citoyenneté et l'acquisition du droit de vote, etc. Ce n'est donc pas un simple amendement constitutionnel, sinon une révision en profondeur de la loi-mère, et donc un nouveau contrat social. Étant donné qu'il est impossible d'imposer un nouveau projet de société au peuple sans son approbation, il est nécessaire de trouver un moyen approprié. Le référendum est donc l'outil par lequel le peuple est sollicité pour se prononcer sur le nouveau texte constitutionnel. Dans un système démocratique, c'est une pratique habituelle. Le peuple dira souverainement s’il accepte le nouveau projet ou pas. Si le oui l’emporte, la nouvelle constitution rentrera en vigueur dans les délais prévus. Si le non l’emporte, la constitution de 1987 dans sa version amendée restera debout. Par conséquent, d’un point de vue politique et démocratique, le référendum est l’instrument par excellence pour prendre une telle décision qui aura un impact majeur sur la destinée de la nation.

L’élaboration du décret électoral. Considérant que tout décret doit être en accord avec la constitution, il serait nécessaire que le décret électoral soit rédigé après la tenue du référendum constitutionnel. Car l'issue du référendum conditionnera les dispositions du décret électoral. Cependant, dans l’éventualité que le référendum se solde par un rejet du nouveau texte constitutionnel, il serait souhaitable que les acteurs politiques puissent, de manière consensuelle, établir le cycle des mandats. Ce, pour éviter toute ambiguïté et équivoque qui pourrait nuire au bon fonctionnement de l’État. On se souvient de la vive polémique sur la fin de mandat du président de la République, Jovenel Moïse, et du renvoi du Parlement en raison de sa caducité.

Élaboration du calendrier électoral. Cet outil de planification détermine les différentes étapes qui mènent au vote et à la proclamation des résultats. Ce CEP devra d’abord préparer un calendrier de réalisation du référendum constitutionnel. Après cela, un autre calendrier pour les élections générales sera établi. Il est fait obligation au CEP de doter le pays d’un nouveau président le 7 février 2026. L'objectif principal et incontournable, énoncé dans l'accord du 3 avril 2024 qui a conduit à l'établissement du Conseil présidentiel de transition, puis du gouvernement et du CEP lui-même. En raison de la taille des défis à relever, pour respecter cette échéance, il faudrait une précision chirurgicale dans la planification des différentes activités. Dans un premier temps, il serait préférable d'organiser des élections pour élire le président de la République et le Parlement. Cela va permettre la mise en place de deux pouvoirs de l'État. Il s'agit du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Par la suite, les élections pourront être organisées pour les autres postes à pourvoir. Et si, par impossible, cette option ne permet pas de respecter la date fatidique du 7 février 2026, il sera plus judicieux d'organiser exclusivement les élections présidentielles et les autres après.

L’épineuse question de la sécurité. Il est indéniable que les élections ne pourront avoir lieu si le problème de la sécurité n’est pas résolu. Cependant, il n’appartient pas au CEP de résoudre ce problème. Le CEP n’a ni la mission, ni les moyens. Ce travail incombe aux forces de sécurité et de défense, c’est-à-dire la police et l’armée ainsi que la Mission multinationale de soutien à la sécurité. Evidemment, dans les conditions actuelles, il est chimérique de prétendre organiser des élections libres et démocratiques quand, dans les faits, l'État haïtien n'exerce aucune autorité dans de nombreuses zones. Des quartiers de la région métropolitaine de Port-au-Prince sont sous le contrôle de gangs armés qui dictent leur loi. Le CEP ne pourra pas intervenir dans ces zones pour effectuer des études stratégiques lors des opérations électorales ou pour établir des centres de vote. L'insécurité qui règne dans ces milieux met en péril le respect des principes régissant le bon déroulement des élections, à savoir la fiabilité et la sincérité du vote. En outre, cette insécurité pourrait mettre en danger les opérations électorales ainsi que les campagnes de sensibilisation voire la campagne électorale. Il est donc essentiel pour les forces de l'ordre de redoubler d'efforts afin de résoudre le problème de sécurité le plus rapidement possible. De cette façon, elles seront plus en mesure de fournir un soutien logistique au CEP pour l'acheminement du matériel électoral sur l'ensemble du territoire et pour garantir la sécurité du processus électoral.

Un processus électoral inclusif et participatif. Depuis que la constitution de 1987 a été adoptée, nous avons toujours scandé des slogans ronflants pour qualifier nos élections. Or, dans la réalité, nous n'avons jamais pu organiser des élections à la hauteur de nos ambitions, c'est-à-dire libres, honnêtes, inclusives, participatives et démocratiques. En ce qui concerne le volet inclusif, le problème est exclusivement du ressort du CEP. L'organisme électoral n'a pas pris les mesures nécessaires pour permettre à tous les citoyens de voter. La constitution de 1987 ne restreint en rien le droit des compatriotes vivant à l'étranger de voter lors des élections, tant qu’ils conservent leur nationalité. Seuls ceux ayant acquis la citoyenneté du pays d'accueil perdent, automatiquement, leur droit de vote, car c'est une prérogative réservée aux citoyens. C'est la constitution impériale de 1805 qui stipulait, dans son article 7, que « La qualité de citoyen d'Haïti se perd par l'émigration et la naturalisation en pays étranger... ». Dans les autres textes constitutionnels, l'émigration n'a pas été mentionnée comme motif de perte de la nationalité haïtienne, y compris dans la constitution actuelle. En conséquence, les compatriotes vivant ou résidant à l'étranger pourraient facilement voter. Les citoyens naturalisés doivent patienter jusqu'à ce qu'une nouvelle constitution autorise, sans équivoque, la double nationalité ou la plurinationalité sans perte de la citoyenneté d’origine. Toutefois, pour participer au scrutin les membres de la diaspora doivent avoir leur carte d'identification nationale et être dûment enregistrés dans la base de données du CEP.

Dans notre prochain article, nous examinerons la question du vote de la diaspora.

A propos de

Ricardo Augustin

Dr Ricardo Augustin est Licencié en Droit de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques (FDSE) de l’Université d’État d’Haïti (UEH). Il est docteur en Sciences Politiques et Relations Internationales, consultant, professeur d’Université et Vice-Doyen de la Faculté des Sc…

Biographie