Nous sommes en 1986, notre pays va connaitre l’un des plus grands tournants de son histoire. L’espoir semble renaître pour un lendemain meilleur. A ce moment, des citoyens de plusieurs générations se sont déjà entendus pour dessiner un avenir prometteur.

Nous sommes en 1986, notre pays va connaitre l’un des plus grands tournants de son histoire. L’espoir semble renaître pour un lendemain meilleur.  A ce moment, des citoyens de plusieurs générations se sont déjà entendus pour dessiner un avenir prometteur.  Ils se voient même acteurs de ce renouveau. Coup de théâtre ou non !  34 ans après l’heure a sonné pour une évaluation franche et impartiale... 

« Ils nous ont tout pris ! »

     Ce devrait être un cri, sinon le cri tonitruant pour exprimer la frustration ou la colère pour des années perdues á cause de la mauvaise gestion de plus d’un, pour ne pas dire de toute une génération de leaders assoiffés de pouvoir et qui n’ont pas pu faire mieux que ceux d’avant. Certains diront qu’ils ne sont pas de notre avis ou plutôt que notre devoir de mémoire a été mal accompli.   D’autres proclament que nous sommes tous coupables de nos malheurs, et si aujourd’hui nous devions avoir des reproches á nous adresser, il  conviendrait que chacun de nous en assume sa part de responsabilité.

La terreur a toujours existé dans notre pays, des gens ont perdu leur vie pour avoir osé contester les décisions des dirigeants autoritaires.   Notre société a souffert, les gens qui ont vécu l’époque parlent et disent que c’était le pire moment de notre histoire. Sans les contredire, ce qui n’est pas non plus la prétention de ce texte nous leur exprimons notre compréhension.  Toutefois, étant donné que nous n’avons ni connu ni vécu cette époque, il est pour nous difficile de l’estimer à sa juste valeur d’autant plus que la tâche se complique avec l’embarras d’un devoir de mémoire mal conçu, hypothéqué par la haine, la méfiance et l’esprit de chapelle.   Pour certains d’entre nous, nés dans les années avant et après 71 où un changement de comportement allait timidement se produire, nous pensons que notre génération était destinée à connaitre et à vivre dans une Haïti différente. Non, parce qu’il n’y aurait pas d’abus ou d’actes répréhensibles, mais plutôt à cause d’une autre forme de contrôle de la population, d’une autre forme d’idéologie bref et peut-être en somme d’une autre méthode de gouvernance.  Malgré tout, les gens qui ont eu la chance de grandir durant ces années, parleront d’une Haïti différente, réellement différente de celle dans laquelle nous vivons présentement et c’est ce malheureux constat qui dérange. 

Plusieurs aspects devraient être l’objet de toute évaluation face à ce constat : économiquement le dollar avant 86 s’était plus ou moins stabilisé à un taux de loin inferieur au taux extrêmement élevé de notre époque actuelle. La production locale paraissait encore florissante,  les récoltes de canne et de café dans les zones de production  faisaient encore le bonheur des  riverains.  On pouvait compter de nombreuses compagnies impliquées dans la transformation et la commercialisation et qui rendaient l’économie Haïtienne agréable à vivre pour un grand nombre.  Les usines de sucre, de farine, de pâtes alimentaires, les entreprises d’élevage de bovins, de caprins, d’ovins etc…  pour ne citer qu’elles ! faisaient encore le bonheur du pays et on pouvait du reste  supporter la concurrence avec d’autres pays de la Caraïbe et du monde.  Le tourisme était encore d’actualité. La sécurité était au point fixe ; qui voulait la paix restait dans ses limites.  Avec la nouvelle donne, nous avons tout perdu.   La philosophie du libre marché a fait surface qui a tout foutu en l’air.  Nous voilà donc obligés de constater la disparition de nos usines de production pour tristement faire place à des monopoles et à l’invasion du territoire par les produits importés.  Le plus grand coup infligé à  notre production locale, c’est que des chaines d’opérateurs ont dû fermer leurs portes, ne pouvant plus lutter face á la concurrence déloyale qui leur mettait des bâtons aux roues. Notre économie s’est effondrée et aucun plan de relance n’a jamais été proposé pour la redresser.   

A côté de tout cela, l’instabilité faisait son apparition.  Quel pays au monde a pu tenir la barque avec de telles turbulences politiques ? Plus près de nous, la République Dominicaine a vécu aussi  dans l’instabilité, la pauvreté et un déficit constant au niveau des termes de l’échange.  Toutefois, à travers un accord, les leaders pragmatiques de ce pays ont répondu de façon positive á ce qu’ils appellent un contrat de gouvernance, et depuis ce pays si décrié á l’époque allait remettre les   pendules á l’heure au point de se refaire une santé économique positive et se permettre de devenir le leader de la région en matière de croissance soutenue.  En revanche, nos hommes politiques n'ont pas su donner à notre pays, à notre jeunesse la direction qui devrait porter l’Haïti de notre espérance.  Un pays se développe à travers une vision, un plan, des propositions de projets, des lois. Nous n’avons pas pu répondre à ces exigences.  Nous nous sommes laissé envahir par le désir de pouvoir, la ruse,  les coups bas, les trahisons à répétition, etc… Nous avons oublié les desideratas de notre peuple. Nous avons préféré nous enfermer dans une bulle personnelle, réglant nos propres affaires au détriment de la grande majorité de notre population.  Et aujourd’hui nous voilà face à un sinistre destin, l’effondrement des structures de notre société se fait sentir. La frustration fait rage. On nous a tout ravi : notre jeunesse, nos rêves et notre avenir. 34 ans après, nous sommes réduits à notre plus simple expression. Nous perdons espoir en des lendemains qui ne sont plus chantants.   Ceux qui se battent, se sentent fatigués et trahis. On nous a promis monts et merveilles et en guise de tout cela nous avons récolté, misères, tueries, assassinats, trahisons. Les guerres froides se succèdent.  Notre élite (si jamais on peut nous en designer une !) ne pense plus à l’honneur et à la fierté. Notre société s’est appauvrie. Que faire? Rester ou partir? La grande question de tous. Nous sommes devenus des zombis, nous sommes devenus des hors la loi, nous sommes devenus des minables.  Qu’allons-nous laisser pour nos fils et petits fils ?  Qu’allons-nous faire pour regagner la confiance de tous et redresser la barque ? Pouvons-nous ainsi continuer à descendre au fond de l’abime ? Ne méritons-nous pas mieux après les prouesses de nos ancêtres qui se sont battus pour nous permettre de vivre dans un pays libre et prospère où l’honneur, la fierté, la gloire nous rendaient courageux ? Sommes-nous dignes de cette terre qui a connu tant de déboires et qui aujourd’hui encore peine á nourrir ses fils après des siècles d’esclavage ?  

Nous avons cru dans un rêve et aujourd’hui des générations se voient louper d’un avenir rassurant.  Au fil du temps nous naviguons sans capitaine. Aucun rêve, aucune proposition, aucun effort. Nous subissons la loi des truands. Nous sommes trahis par nos choix, l’abandon de notre société, le choix égoïste de nos hommes d’affaires et l’avarice de nos hommes politiques. Vous avez tué le rêve de milliers de jeunes de plusieurs générations, vous avez pris leur avenir et mis en cause le devenir de notre chère patrie. Où sont passés les hommes d’honneur de notre société qui jadis faisaient sa renommée ? Où sont passées  les femmes courageuses qui hier encore s’assuraient des valeurs familiales et de la relève de notre nation. Ils nous ont pris notre fierté, nos rêves et notre avenir. Des générations entières font le constat de la liquidation de leurs espoirs, de leurs aspirations légitimes. Qu’avez-vous fait de notre pays ? Qu’avez vous fait de notre jeunesse ?  
 

Jude Jacques Renaud Duvivier est originaire de la ville des Cayes, Chef-lieu du département du Sud d'Haïti. Là il a fait ses études primaire et secondaire jusqu'à la 4ème chez les Frères de l'Instruction Chrétienne (FIC), communément appelé Frères Odile Joseph. Installé à Por…

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