Loin de tout, souvent je nous imagine. Loin, très loin de là où tu es et même de là ou je suis. Très loin de ce froid que je ne connais pas mais que j'imagine incapable de refroidir le soleil qui est en toi.
Loin de tout, souvent je nous imagine. Loin, très loin de là où tu es et même de là ou je suis. Très loin de ce froid que je ne connais pas mais que j'imagine incapable de refroidir le soleil qui est en toi. Je nous imagine souvent dans ce petit coin, que je te conte dans mes songes, baigné dans cette mer que nous connaissons tous les deux. Cette mer qui nous a vu grandir, marcher, courir pieds nus dans la baie de Jacmel. Cette mer qui nous a vu pêcher, manger à pleines dents ces fruits boucanés ou en sauce accompagnés de bananes pesées et de Pikliz. Cette mer qui ne t'a pas vu prendre l'avion mais qui m'a vu verser à grosses gouttes mes salines suite à ton départ.
Je ne fais que t’imaginer depuis.
J’imagine souvent nos conversations sous ce drap. Celui qui est aussi blanc que tes dents et aussi vierge que ton intégrité. Ton corps en position fœtale sous mon cœur, tes pieds froids contre la flamme que je porte en moi pour toi. Tes bras autour de mon âme et ma paume, celle de gauche, sur tes sens, comme ça je nous imagine sur ce lit dans cette petite chambre que tu partages avec ton charisme qui prend presque toute la place. J’imagine nos chuchotements, sous ce même drap, nos petits rires complices, nos conversations silencieuses dont nos regards seuls ont le secret. J’imagine aussi nos discussions sur le dernier livre qu’on a lu, sur le dernier morceau qu’on a écouté ou bien sur le dernier film qu’on a regardé seul ou ensemble. J’imagine nos disputes, feux de canne à sucre, vives mais éphémères. J’imagine les pleurs, les pardons, les baisers de réconciliation et les caresses qui s’ensuivent au rythme de troubadour à Bassin Bleu.
Te toucher, je l’imagine aussi. J’imagine souvent ta peau arc-en-ciel, tendre et ferme. Varices et vergetures en guise de tatouage. Ta peau à l’odeur de thé de Mélisse. Je m’imagine la parcourir affectueusement comme les touristes qui arpentent les rues du bas de la ville de Jacmel ou comme ces chauffeurs de taxi-moto sans peur, sans crainte, faisant fie de toutes règles de sécurité. Mes paumes fondant sous les doux baisers de ta peau.
Côtes à côtes, je nous imagine dans la même place en face de la mer à Lakou New York sirotant les délicieuses eaux de coco qui nous aident, très souvent, à remplir les blancs de nos conversations, qui sont fréquents quand il y’a du monde. Tu es tellement timide. A ce propos, j’imagine souvent ce petit sourire coincé que tu affiches quand tu n’es pas à l’aise. Tu es tellement belle. J’imagine aussi ma tête sur tes jambes, admirant les déhanchés de danseuse folklore de la mer et toi me caressant la tête avec tes doigts précis d’artisan. Je t’imagine aussi poétesse que Jacmel.
T’imaginer, je ne fais que ça. Je ne peux faire que ça. Que peut faire d'autre un homme piégé dans un puits d’essence où la seule corde tendu est enflammée ? Que peut faire d’autre un homme poursuivi quotidiennement par une faucheuse à chaque coin de rue ? Que peut faire un homme qui risque de clamser à chaque minute dans un pays où il n'obtiendra jamais justice puisqu’il ne dégage pas l’odeur de l’argent ? Que peut faire un homme dont les seuls repères sont des pierres tombales ? Que peut faire un homme qui s’étouffe sous les poids du quotidien alors que la femme qu'il aime est si loin ?
Il ne peut qu'imaginer et espérer.
