L’acceptation par Jean-Pierre Boyer de l’Ordonnance du 17 avril 1825 eut des répercussions immédiates sur la nation haïtienne, qui s’était sentie blessée dans sa fierté. Aux yeux de la majorité des Haïtiens, seulement vingt ans après les luttes victorieuses de la guerre de l’Indépendance, Boyer accepta que le roi de France nous octroyât une indépendance déjà en notre possession, semblable surtout à un pardon paternel du roi à ses sujets qui avaient commis l’erreur de se révolter. Le pays considérait encore ce geste du Président comme une trahison, un crime impardonnable, quand le montant exorbitant de l’indemnité acceptée par Boyer allait hypothéquer l’avenir de la jeune nation.
L’Ordonnance de 1825
L’acceptation par Jean-Pierre Boyer de l’Ordonnance du 17 avril 1825 eut des répercussions immédiates sur la nation haïtienne, qui s’était sentie blessée dans sa fierté. Aux yeux de la majorité des Haïtiens, seulement vingt ans après les luttes victorieuses de la guerre de l’Indépendance, Boyer accepta que le roi de France nous octroyât une indépendance déjà en notre possession, semblable surtout à un pardon paternel du roi à ses sujets qui avaient commis l’erreur de se révolter. Le pays considérait encore ce geste du Président comme une trahison, un crime impardonnable, quand le montant exorbitant de l’indemnité acceptée par Boyer allait hypothéquer l’avenir de la jeune nation.
Après cette humiliation, le pays s’était ressenti comme avili, et la popularité de Boyer ne se releva jamais. Il y eut une sorte de désaffectation populaire ; sous peu et comme corollaire, elle fut ponctuée par des conspirations militaires qui commencèrent à se perpétuer un peu partout dans le pays ; la première date de juillet 1825 au Cap-Haïtien.
Boyer avait finalement accepté l’Ordonnance le 8 juillet de la même année. Au niveau économique surtout, ce fut depuis lors la débandade. Le gouvernement dut trouver rapidement cinq millions de gourdes pour compléter une tranche du premier terme de l’indemnité. Le déficit budgétaire fit donc son apparition dans le budget de l’Etat dès 1826. Et Haïti, pour compléter cette première tranche, fut encore imposée d’un emprunt d’Etat sur le marché financier de Paris.
Cependant, afin de financer ces premiers cinq millions, la circulation monétaire fut en conséquence perturbée et celle-ci occasionna un précédent qui devint fatal, si l’on peut dire, pour la stabilité économique du pays. Pour expédier l’argent, le gouvernement dut utiliser le doublon espagnol, monnaie qui circulait de pair avec la monnaie nationale. Aussitôt, cette monnaie augmenta de valeur sur sa concurrente et un taux de change vint à s’installer sur le marché. Les caisses de l’Etat demeurèrent de plus en plus vides et l’administration se trouva de plus en plus acculée, ne pouvant les renflouer ; la situation économique allait de mal en pis jour après jour.
Coup de théâtre ! Une loi de 1827 autorisa le gouvernement à émettre du papier-monnaie.
La lourde indemnité concédée par Jean-Pierre Boyer à la France et au roi Charles X pesait de plus en plus, et pour y faire face, l’administration imposa à la nation en 1828 une « […] contribution extraordinaire de trente millions de piastres, payable en six années, de la manière suivante : une somme annuelle de trois millions de piastres fut répartie entre les 26 arrondissements de la République selon leur importance. Chaque arrondissement devait faire une sous-répartition entre les communes de son ressort ; chaque commune, une dernière répartition entre tous les citoyens, divisés en classes, selon leurs moyens » (P. Sannon), en plus des impôts qui d’ordinaire alimentaient le trésor public. Les charges étaient trop énormes pour le budget de la République à l’époque et pour le sacrifice quotidien de l’Haïtien commun ; la population en générale était dans l’exaspération ; c’était comme le couteau sous la gorge.
Le gouvernement fut dans l’impossibilité de s’approprier les ressources attendues et la loi ne fut nullement appliquée.
Nouvelle manœuvre : « Le Corps législatif dut rendre bientôt celle du 29 septembre 1829 qui établit sous la rubrique d'Imposition personnelle et mobilière, un impôt de 5 % sur le minimum des revenus ou des produits de l'industrie de chaque citoyen. Pas plus que la précédente, la loi nouvelle ne put être exécutée. » D’expédients en expédients, il fallait toutefois tenter d’équilibrer le budget et suppléer à tous ces impôts improductifs.
En chute libre depuis 1826, le mouvement de la monnaie nationale fut accentué par le débit, la quantité de papier-monnaie : l’expédient à portée de main, qui ne valait pas alors grand-chose. L’état des affaires continuait à aller decrescendo ; et après bien des déboires, l’administration finit par faire le retrait du papier-monnaie en question vers 1835 ; une dépréciation excessive de la monnaie nationale en résulta. Sur ce, Boyer fit rendre par le Corps législatif la loi du 14 juillet 1835, qui exigea désormais l'acquittement des droits de douane à l'importation en monnaie forte, c'est-à-dire en doublon d'Espagne.
Mis à part la monnaie d’Espagne qui circulait en Haïti en tant que gourde forte, il y avait aussi la prime de l’or, le manman penba, qui avait adopté jusque-là une attitude plutôt modérée face aux intempéries économiques et politiques. Hé bien ! L’or eut une appréciation telle que la gourde-monnaie ne parvint à circuler que pour le tiers de sa valeur nominale, provoquant ainsi un ralentissement de l’importation et pratiquement un arrêt des affaires, puis l’augmentation d’une misère affreuse qui s’abattit sur le pays.
En 1842, suite à une dépréciation à outrance, le papier-monnaie émit par le gouvernement ira jusqu’à deux tiers de sa valeur. Alors que le gouvernement thésaurisait les doublons d’Espagne pour les envoyer en France, le pays était inondé de papier-monnaie ; comme mesure du moment, il a été décidé le retrait des billets de dix gourdes. Toutefois, « le billet de dix gourdes valait, au taux d'émission, cinquante gourdes haïtiennes au doublon, et le Trésor, quand il n'en ajournait pas le remboursement des crédits internes, ne le recevait qu'à celui de quarante gourdes au doublon… »
De même, le gouvernement ne remboursait que selon son humeur, car l’or ou la monnaie d’Espagne en caisse servait principalement au remboursement à la France, d’une part. De l’autre, le remboursement ne se faisait pas en espèces : les négociants détenaient les billets de dix gourdes, et quand ils les apportaient le Trésor leur remettait la moitié de la valeur avec des billets de une et deux gourdes ; l’autre moitié leur était remise en papiers destinés à la douane sur leurs droits d’importation à venir.
En fin de compte, le Trésor public dut rembourser plus de 170 000 dollars sur la circulation de la monnaie émise par l’administration de Boyer. « Du 20 mai 1827 au 30 septembre 1839, disait une note de la Secrétairerie d’Etat datée du 12 novembre 1842, il a été émis pour $ 2 196 000 de billets de dix gourdes et sur cette somme il a été retiré jusqu’au 10 novembre 1842 pour 2 195 830. (Note en bas de page) »
De plus, selon L. de Saint Rémy, « en décembre 1842, à la veille de la Révolution, le trésor ne contenait plus, pour faire face aux dépenses de l'intérieur et à celles de l'indemnité qu'une encaisse "d'un million cinquante mille gourdes d'Espagne." Or, l'armée en prenait, à elle seule, à cette époque, onze à douze cent mille, la France, à peu près le reste. » (Horace Pauléus Sannon, Essai historique sur la Révolution de 1843, Cayes, 1905, pp. 1-100 ; citant Lepelletier de Saint Rémy, Tome II / Saint Domingue, Etude et solution nouvelle de la question haïtienne, 2 vol., Paris, 1846.)
Sur le plan politique, l’Ordonnance de 1825 força le gouvernement de Boyer à la mise en vigueur du Code rural de 1826 qui consacra son impopularité au niveau de la majorité rurale du pays. En plus des petits complots militaires par-ci par-là, le mécontentement se radicalisa d’années en années, l’inertie généralisée, le tremblement de terre de 1842 et les scènes de pillage au Cap sans aucune mesure du gouvernement, la farouche opposition parlementaire, puis le mouvement de Praslin, etc., eurent raison du régime de Boyer qui passa vingt-cinq ans au pouvoir, dont vingt-et-un ans à gouverner l’île entière.
* Pour plus de détails voir Jean Ledan fils, L’Histoire d’Haïti – Simples faits, illustré, ISBN : 978-99970-4-420-1, Port-au-Prince, 2015.
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