Le taux de change est devenu une préoccupation particulière à la fois pour le simple citoyen, le ménage et l’agent économique haïtien depuis que les autorités monétaires haïtiennes ont décidé de bannir le taux de change fixe (5 gourdes pour un dollar) au profit du taux de change flottant vers la fin de l’année 1990.
Le taux de change est devenu une préoccupation particulière à la fois pour le simple citoyen, le ménage et l’agent économique haïtien depuis que les autorités monétaires haïtiennes ont décidé de bannir le taux de change fixe (5 gourdes pour un dollar) au profit du taux de change flottant vers la fin de l’année 1990. Dès lors, le phénomène de la dépréciation a entamé sa marche lente vers des sommets de plus en plus inquiétants pour une population prise entre l’enclume d’une inflation rampante et le marteau d’un chômage qui frappe durement toutes les couches actives de la société.
Ainsi avec les crises politiques qui ont secoué le gouvernement de Jean –Bertrand Aristide, le change est passé de 6 à 7 entre 90 et 91 gourdes pour se hisser jusqu’à 41,50 gourdes pour un dollar américain en 2003. Avec la période de stabilité qui caractérisait le gouvernement de René Préval, la gourde va se renforcer un peu en se fixant entre 39,48 et 40,27 gourdes pour un dollar.
L’arrivée du régime Tet Kale au pouvoir en 2011 va correspondre au moment historique qui a vu le début de l’escalade ininterrompue du taux de change et de dépréciation accélérée de la gourde. En effet, en octobre 2011, le dollar s’achetait à 40,89 gourdes en moyenne. Cinq ans plus tard, en octobre 2016, le dollar équivalait 65,89 gourdes.
Le taux de change a clôturé l’année 2019 à hauteur de 91,89 gourdes pour un dollar. Huit mois plus tard, c’est-à-dire en août 2020, le prix du dollar s’estimait entre 120 et 124 gourdes sur le marché. Soit une dévaluation d’environ 22% de la gourde en huit mois.
Si cette hausse démesurée du taux de change accompagnée d’une dépréciation accélérée de la monnaie locale par rapport au billet vert paraissait anormale pour l’opinion publique et même les spécialistes de la question, la tendance à la baisse du taux de change et du renforcement subit de la gourde entamés vers la fin du mois d’aout 2020 étonnent davantage encore les observateurs. Ces derniers ne trouvent aucune explication plausible au fait que, en trois ans (2017-2020), la gourde aie perdu environ 50% de sa valeur et que seulement en l’espace d’un mois et demi, la monnaie locale s’est appréciée dans les mêmes proportions sans qu’aucun changement majeur n’ait été opéré dans l’économie.
L’injection de 150 millions de dollars américains sur le marché des changes par la Banque centrale haïtienne ne saurait suffire à elle seule pour redonner ce second souffle à la gourde selon la plupart des économistes intervenant sur la question.
En tout cas, depuis cette opération ‘’d’Open market’’ de la BRH entamée vers la mi-août, comme par miracle, la gourde tient la dragée haute au dollar. Une grande première dans l’histoire économique de toute l’Amérique à en croire le professeur et économiste Harold Pierre qui souligne qu’aucune monnaie de la région n’a connu une embellie allant au-delà de 10% au cours des dernières décennies.
A qui profite cette embellie de la gourde?
Il a fallu quelques semaines pour les consommateurs haïtiens pour observer des incidences du taux de change et de la baisse du dollar par rapport à la gourde sur le marché. De très nettes améliorations ont été observées dans les prix de certains produits tels que le riz importé, le lait évaporé, le spaghetti.
En effet, les produits alimentaires en particulier ont connu une certaine baisse au niveau des prix pour le grand plaisir des consommateurs moyens qui succombaient sous le poids des produits qui s’affichaient incessamment à la hausse depuis des années. Tel n'est pas le cas pour les produits locaux et cela peut se comprendre.
Sur le marché de la construction, on a observé également la baisse de certains matériaux comme le ciment, le fer. Mais en ce qui concerne les matériels électroniques, le secteur des services pas d’amélioration au niveau des prix. Dans certains cas, les prix ont même grimpé. Des responsables d’entreprise profitent de la faiblesse de l’Etat pour gruger les consommateurs sans défense face à l’appétit gourmand de commerçants ou de chefs d'institutions commerciales qui en veulent toujours plus.
Ne pouvant plus profiter de la baisse momentanée du dollar, des commerçants affichent des prix en gourdes qui ne respectent nullement les taux de change en vigueur et appliquent des taux coûtant 10, 20, 30% plus cher aux clients. Ne pouvant pas compter sur les instances ou les autorités concernées, ces derniers n’ont d’autre recours que les médias pour se plaindre.
Beaucoup d’entreprises ou d’institutions qui ont préalablement prétexté la hausse exagérée du dollar pour ajuster à la hausse leurs produits ou services conservent encore leurs prix malgré 50% de baisse du taux de change. Parmi ces institutions, on retrouve des écoles et des universités qui ne consentent pas à revenir au frais d’avant la hausse du dollar en dépit des demandes répétées des parents d’élèves ou d’étudiants au bord de l’asphyxie des coûts scolaires dans un pays qui ne protègent pas les couches défavorisées.
Cette situation est d’autant plus insupportable quand on observe l’attention particulière que les responsables accordent aux investisseurs de la sous-traitance qui se plaignent également des problèmes qu’ils confrontent par rapport aux nouvelles donnes du taux de change. Selon ces derniers, cette baisse du dollar par rapport à la gourde va occasionner une hausse des coûts de production très défavorables à leurs usines. Ce qui pourrait les pousser à opérer des licenciements massifs et des arrêts de fonctionnement.
Face à cette menace, le gouvernement a été obligé de se réunir avec les responsables de ce secteur pour essayer de trouver une solution à leur problème.
Quand on sait que ces mêmes investisseurs de la sous-traitance ont été également les premiers bénéficiaires de la hausse du dollar et qu’ils n’ont pas fait bénéficier de cette manne à leurs ouvriers qui réclament chaque jour des améliorations des conditions de travail, il y a lieu de se demander qui protège les ouvriers et les consommateurs moyens ?
Ces consommateurs sont nombreux et se trouvent carrément parmi les premières victimes du renforcement de la gourde. Car, la plupart d’entre ces consommateurs n’ont comme seul revenu les transferts de la diaspora. Avant l’appréciation de la gourde, les bénéficiaires des transferts avaient un pouvoir d’achat plus confortable qui leur permettait de payer certains produits et services indispensables. La diaspora, principale ressource financière de bien des ménages en Haïti a fort à faire actuellement pour subvenir aux besoins de leurs proches restés en Haïti, la baisse du taux de change ayant réduit de moitié leur pouvoir d’achat et l’Etat ne semble pas en mesure de compenser ce manque à gagner si vital pour la population. Face à un tel état de fait, les autorités compétentes doivent s’ingénier à trouver des mesures d’accompagnement pour aider les familles humbles à bénéficier au même titre que l’Etat des retombées positives de la baisse du taux de change.