En 1801 l’île pacifiée, Toussaint Louverture a voulu doter la colonie d’une constitution et des lois particulières comme le prévoyait l’article 91 de la constitution française de l’an 8 (13 décembre 1799). L’Assemblée centrale de Saint-Domingue rédigea la constitution et le soumis à Toussaint Louverture qui le publia chez P. Roux au Cap-Français. Le colonel Vincent fut chargé de remettre la première édition au Premier consul Napoléon Bonaparte, qui préparait l’expédition contre Saint-Domingue. La constitution fut traduite à Philadelphie et publiée dans la Gazette de cette ville, par la suite le Moniteur Universelle à Paris en fit une publication, de même que l’imprimeur Veuve Leroux, l’imprimerie du dépôt des Lois et la préfecture de Nantes.

Les bibliothèques numériques depuis 2010


Depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti, plusieurs bibliothèques des deux côtés de l’Atlantique ont, dans un esprit de solidarité avec Haïti, inscrit dans leur projet de numérisation des textes concernant notre patrimoine documentaire. La Law Library Microfilm Consortium (un regroupement de bibliothèques universitaires de droit en Amérique du Nord) a apporté sa coopération avec Haïti en numérisant les ouvrages de droit concernant le pays. Elles ont alors mis en ligne plus de 250 ouvrages dont la Constitution de 1801. C’est ainsi que j’ai pu suivre les traces des huit impressions et/ou éditions de la Constitution de 1801. Nous nous excusons auprès du lecteur si cet article est un peu
technique et très schématique. Mais, c’est une course au trésor, que je vous propose, à vous d’aller puiser en suivant les pistes. Il ne s’agit pas d’une analyse juridique, mais plutôt des explications d’un bibliophile.

Permettez-moi un point d’ordre sur le numérique. Certaine personne à tort ou à raison s’attache au papier, elles vont même à dire que le numérique tuera le papier. La réalité est tout autre. De la tablette d’argile à la tablette de numérique, l’humanité à utilisé beaucoup de support pour transmettre sa pensée et diffuser le savoir. Que l’on se lie ou non au document papier, on est forcé de reconnaître que le numérique met à notre portée des ouvrages qui croupissaient sur les étagères de nombreuses bibliothèques, de plus l’usager a la possibilité d’y avoir accès chez lui et en tout temps. Cela s’applique aussi pour Haïti, cet article en est la preuve.

L’étude de la constitution de 1801, de Toussaint Louverture que nous proposons aux lecteurs couvre deux aspects. Elle doit être perçue comme un élément de l’histoire de la colonisation française de Saint-
Domingue et de manière plus spécifique, de l’histoire de l’imprimerie et de la presse, dans le contexte de la révolution française et dominguoise.

Brève histoire de l’apparition du livre à Saint-Domingue

Avec l’impression de la Bible de Gutenberg (1552), l’imprimerie se développa en Occident autour des cathédrales et des universités. Mais, dès son avènement, l’imprimerie entra à Saint-Domingue (1764), sous le couvert de la modernité et de la science, au service, de la barbarie et de la traite des noirs, comme le signale Mc Clellan1. C’est seulement après la guerre de Sept Ans (1756-1763), que l’imprimerie francophone arrive en Amérique, aussi bien à Saint-Domingue qu’en Martinique à Québec ou encore en Louisiane2. À Saint-Domingue elle fonctionne, comme en France, selon le principe des privilèges royaux tel que régi par la police de la librairie.

Avec la Révolution française, la liberté de la presse fut élargie, permettant ainsi, la multiplication exponentielle de livres et de journaux. Napoléon et le consulat rétabliront le contrôle du commerce de la librairie. En effet l’arrêté du 17 janvier 1800 (27 nivôse an 8) en supprimant 60 des 73 journaux parisiens rétablit de fait une certaine censure et le contrôle étatique. Par la même occasion ces mesures mirent un frein au développement des métiers du livre.

Les tentatives d’éloigner Saint-Domingue des acquis de la révolution

C’est dans ce contexte qu’on commence à publier, à, ou pour SaintDomingue, des propositions de règlement pour l’organisation de la colonie. Avec la révolution en France, de nombreux colons tentent comme dans les 13 colonies d’Amérique du Nord, de construire des projets de semi-autonomie, afin de s’éloigner des (troubles) en France et de pouvoir ainsi conduire des affaires sur le continent américain sans le contrôle et le poids des impôts et taxes de la métropole en plein chaos selon ces colons. Pour la période allant de 1790 et 1792, nous avons retrouvé quatre textes ou manifestes qui défendent ces idées3
.
Par la suite, dès l’arrivée des commissaires Etienne Polverel et Léger-Félicité Sonthonax, de nombreuses proclamations furent promulguées (pour y rétablir l’ordre et la tranquillité publique)4. La voie était ouverte. Toussaint Louverture continua sur cette lancée. Qui plus est, la constitution française de l’an 8 (13 décembre 1799) viendra consacrer le régime particulier des colonies.
               «Article 91. Le régime des colonies françaises est déterminé par deslois spéciales. »5

La Constitution de Toussaint Louverture

Toussaint Louverture utilisera cet article pour faire imprimer la constitution préparée par l’Assemblée centrale de Saint-Domingue et l’envoya en France sans attendre une approbation du Consulat. Paradoxalement le projet de Toussaint Louverture s’opposait aux nombreux plans d’autonomie des colons qui eux, allaient au début des années 1790 à contre-courant de la révolution

La constitution de Toussaint Louverture elle, tout en affichant l’autonomie de Saint-Domingue, s’accrochait à la France6
.
Pourquoi huit éditions ? Comme élément de réponse, il faut tenir compte qu’à l’époque on tirait à 500 exemplaires d’une part et de l’autre, depuis le début de la Révolution française et la fin du régime des privilèges, les journaux et les éditions de pamphlets étaient en demande en France, enfin le lobby des propriétaires de Saint-Domingue séjournant en France avait besoin d’éléments pour condamner Toussaint Louverture et accélérer l’expédition que Napoléon Bonaparte préparait pour rétablir l’esclavage dans l’île. La publication de la Constitution de la colonie dans le journal officiel et par l’imprimerie du Dépôt des Lois étant la preuve qu’on cherchait, et ne faisait que donner une caution légale apparente à l’entreprise que conduirait le général Leclerc.
 

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1 James E. Mc Clellan, Colonialism and Science: Saint-Domingue in the Old Regime, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1992, et « Les colonies des lumières », dans Les Cahiers de Science & Vie, no. 50, avril 1999, pp. 22-28.

2 La Grande-Bretagne contrôle les mers. De plus, exception faite de Saint-Domingue, la majorité des îles de la Caraïbe tombent sous son joug (Martinique, Guadeloupe, capitulation de la Havane en août 1762, etc.)

3 Tableau des ministres ou Mémoire et constitution sur le projet d’une république à Saint-Domingue[S.l.] : [s.n.], 1790. Charles de. Chabanon. Plan de constitution pour la colonie de Saint-Domingue/ Par M. Ch. de Ch***, député de Saint-Domingue à l’Assemblée nationale (Chabanon)... impr. de J.-B.-N. Crapart (Paris), 1791. Instruction pour les colonies françoises, contenant un projet de constitution. Paris : Imp. de Nat., 1791. Observations sur le projet de travailler, dans la circonstance présent, à la constitution de Saint-Domingue, par un Créole du Sud, emprisonné au Nord. Paris, 1792.
4

archive.org/details/aunomdelarpubl00sain


5

www.culture.gouv.fr/Wave/image/archim/Pages/03523.htm