N’ouvre pas le garde-manger, tu n’y trouveras pas mes bouteilles de rhum. Cette lette que tu as trouvée sur la table est tout ce qu’il te reste de moi. Je suis parti sans rien t’expliquer car je n’avais plus rien à dire. Il y a encore en moi ce désir de faire revivre notre histoire.
N’ouvre pas le garde-manger, tu n’y trouveras pas mes bouteilles de rhum. Cette lette que tu as trouvée sur la table est tout ce qu’il te reste de moi. Je suis parti sans rien t’expliquer car je n’avais plus rien à dire. Il y a encore en moi ce désir de faire revivre notre histoire. Mais je ne peux pas construire un « nous » sans un « Je ». Je n’existe pas ou du moins, je n’ai pas envie. J’ai éteint mon téléphone et mes amis vont sans doute te laisser un millier de messages. Tu leur diras tout simplement que tu n’es pas ma gardienne et que comme eux, tu ne sais rien de moi. Finalement, tu ne m’as rien fait, rien de tout ceci n’est de ta faute. Je sais que tu aurais aimé me garder près de toi, dans ce lit ou ma simple présence t’apporterait un peu de chaleur. Mais tu vois, je te prends tout et te donne peu en retour.
Le mois dernier, je suis allé aux Cayes et à Camp-Perrin sans toi. Tu n’as pas raté grand-chose. A part le lambi et le homard de Gelée, je n’ai pas aimé grand-chose. Il y a surtout des gens qui n’ont pas grand-chose à dire d’intéressant. On y met la musique à fond et on chante à gorges ouvertes pour masquer ce silence dont on semble avoir peur. J’aurais préféré qu’ils se taisent tous et que nous contemplions ces mots que nous ne prononçons pas. Pendant un moment, j’étais content de voir le soleil si chaud si vibrant. Mais il a plu pendant plusieurs jours et j’ai fini par passer des heures au lit avec ma bouteille de rhum et le téléphone auquel je ne voulais plus répondre. J’ai fini par internaliser le fait qu’en Haiti on ne comprend pas le besoin de solitude. Là-bas on veut toujours être ensemble même si c’est pour ne rien se dire. Parfois je me dis que c’est surtout pour ne rien se dire. Car être ensemble, voir l’autre, c’est savoir qu’on est vivant, qu’on ne s’est pas laissé avoir par l’inertie des choses.
Et puis j’ai fait l’amour, pour la première fois depuis longtemps, à une femme qui n’est pas toi. Je t’avoue que ce n’était rien de spécial. Je n’avais pas envie d’initier un autre être humain à mes désirs pervers. J’ai vécu cette expérience avec l’impression d’un devoir à accomplir. Je n’en suis ni fier, ni heureux. Finalement si j’évite mes amis aussi, c’est que je commence à avoir marre des idiots. J’en ai surtout marre de me faire attaquer par des gens à cours d’arguments qui préfèrent me parler de mon caractère que du reste du monde. J’ai l’impression d’être le souffre-douleur de toutes leurs frustrations. On me dit que je crois tout savoir et que cela se voit. Je ne pense pas tout savoir mais je sais plus que la plupart d’entre eux. Je me dis qu’ils iront mieux sans moi, ce miroir brisé dans lequel ils sont incapables de voir au-delà de leurs imperfections. J’ai laissé l’hôtel pour un petit appartement que j’aime bien. J’ai la guitare comme seule décoration. Tout m’a l’air bizarre sans toi ; la nuit je me réveille souvent en pensant que tu m’appelles. Mais j’apprendrai à vivre seul et à me taire. Car au-delà de mes tristesses et de mon envie de vivre, j’ai surtout besoin de solitude.
À toujours mon amour.