D’aucuns prétendent que Toussaint Louverture fut un général français et n’ont pas compris l’intérêt d’Haïti d’avoir réclamé, en 1983, le rapatriement de ses cendres.
D’aucuns prétendent que Toussaint Louverture fut un général français et n’ont pas compris l’intérêt d’Haïti d’avoir réclamé, en 1983, le rapatriement de ses cendres.
Qu’en est-il exactement ?
Dès que, en février 1802, Toussaint Louverture avait, hors du leadership de la République française, pris le commandement d’une armée forte de 21,500 hommes et était entré en guerre contre l’armée expéditionnaire française, forte de 55,600 troupes (Madiou), commandée par le général Charles Leclerc, il n’était plus considéré comme un général français. Il était le chef d’une armée, l’armée coloniale de Saint-Domingue, rebelle au projet de rétablissement de l’esclavage dans la colonie, initiant ainsi la marche vers l’indépendance de l’île. Les misères de Toussaint Louverture au Fort-de-Joux indiquent clairement que son nom a été rayé de la liste des généraux français. Il n’a été jugé par aucune cour militaire et le Premier-consul Napoléon Bonaparte qui dirigeait la France avait décidé d’enterrer à jamais sa mémoire.
Vergnaud Leconte le dit bien dans son livre:
« La fin de Toussaint Louverture comme chose voulue par le gouvernement (français), et exécutée par le commandant du fort (de Joux), n’a pas besoin de commentaires... Il y fut inhumé de façon que personne n’eût à pousser quelque soupir sur sa tombe, à évoquer son souvenir ; il fallait qu’il fût effacé même dans la mort. » (Henri Christophe dans l’Histoire d’Haïti, p 163.)
Ainsi, comme conséquences de la décision de reléguer Toussaint Louverture dans l’oubli total, pour satisfaire la demande haïtienne, seuls des restes symboliques ont pu être récupérés de la fosse où il fut inhumé au Fort-de-Joux, 180 ans après sa mort.
Suite à des échanges diplomatiques laborieux et fructueux, le gouvernement haïtien, en l’année 1983, avait fini par obtenir de la France de considérer Toussaint Louverture comme un héros national haïtien et d’accepter d’en faire la remise des restes à la République d’Haïti. Ceci est attesté dans les propos de M. Claude Cheysson, ministre français des Relations extérieures de France, dans sa lettre du 22 mars 1983, adressée au ministre des Affaires étrangères d’Haïti, M. Jean-Robert Estimé, concernant la remise par la France de l’urne contenant les restes symboliques du Précurseur.
« …En me situant dans l’esprit que nous avons eu en commun de commémorer comme il convient le souvenir historique du héros national de votre pays, je m’empresse de vous indiquer que nous nous rallions à votre proposition d’organiser la remise officielle à Paris ... Le Chef du Protocole de la République française remettra donc l’urne au cours d’une cérémonie qui correspondra au caractère historique du geste que la France accepte de faire à la demande du peuple et du gouvernement haïtiens. »
Ces mêmes dispositions sont également soulignées au moment de la remise de l’urne historique à l’ambassadeur d’Haïti à Paris, M. Emmanuel Guerrier, par le chef du Protocole français, le 25 mars 1983.
« ... Au nom de la France, j’ai l’honneur de vous remettre cette urne contenant de la terre du Fort de Joux où a reposé Toussaint Louverture. En ce 180e anniversaire de la mort de Toussaint Louverture, la France s’incline devant la mémoire de ce héros de votre histoire nationale… Il y a longtemps, en effet, que dans leur esprit et dans leurs cœurs, les Français vous ont rendu Toussaint Louverture, c’est-à-dire, qu’ont été dépassés les affrontements surgis au tournant des 18e et 19e siècles... »
Voilà des faits incontestables. La valeur du succès des démarches du gouvernement haïtien d’alors, c’était d’avoir réussi à faire reconnaître par la France la qualité de Héros national haïtien de Toussaint Louverture. Concernant les restes remis, il a bien été question de « RESTES SYMBOLIQUES », c'est-à-dire de restes qui ont valeur de symbole, en vue de concrétiser la présence en Haïti, au Mupanah, des mânes du Précurseur. C’est le sens de la phrase du chef du Protocole français lorsqu’il déclare que « la France nous a rendu Toussaint Louverture ». Symboliquement, les mânes de Toussaint Louverture ne sont plus en France, mais en Haïti. Un symbole reste un symbole, mais il a une puissante signification. Ne dit-on pas que le drapeau est le symbole de la patrie ? Profaner le drapeau haïtien, n’est-ce pas profaner la nation haïtienne ? C’est donc avec tout le respect dû aux restes de Toussaint Louverture que des cérémonies ont été organisées avec tout le faste requis pour recevoir les restes symboliques du Précurseur de notre Indépendance, qui ont été déposés et gardés dans le sarcophage au Mupanah, à coté des autres Pères de la Patrie, Dessalines, Christophe et Pétion. L’haïtien patriote ne devrait pas, selon moi, banaliser un tel acquis.
Les échanges diplomatiques concernant ce dossier sont bien rapportés dans «Toussaint Louverture et l’Indépendance d’Haïti, témoignages pour un Bicentenaire », de Jacques de Cauna, Éditions Khartala, Paris, 2004. Ils ont été repris en détails dans mon ouvrage Le Mupanah, un Monde à découvrir, Imprimeur S. A., mars 2013.