Maman,

Sans trop savoir pourquoi, j’ai depuis quelques jours une intense envie de te parler. À présent, cela devient un besoin pressant, impérieux. J’avais entrepris de le faire à voix haute, mais je me suis surprise à prononcer des phrases incohérentes.

 

Maman,  
Sans trop savoir pourquoi, j’ai depuis quelques jours une intense envie de te parler. À présent, cela  devient un besoin pressant, impérieux. J’avais entrepris de le faire à voix haute, mais je me suis  surprise à prononcer des phrases incohérentes. Je me suis alors dit que tu pourrais me prendre pour  une vieille folle. Et je sais combien tu en serais peinée. J’ai donc décidé de t’écrire de préférence une  petite lettre dans l’espoir de mieux agencer mes pensées. Tu dois avoir ri en la recevant du vent. Il  n’y a que ce grand voyageur courant tous les chemins qui aurait su te trouver si loin là-haut dans le  ciel où tu as sûrement élu ton dernier domicile.  

J’ai tellement de choses à te dire, Maman. Avant que mes idées ne s’embrouillent à nouveau, je  m’empresse de te demander pardon. Pardon pour toutes les fois que je me suis amusée de tes  inquiétudes maternelles. Je les ai si souvent jugées injustifiées. C’est en le devenant à mon tour que  j’ai compris la vraie signification de ce mot : Maman. Certains disent que c’est un ange gardien placé  à nos côtés pour veiller sur nous et prendre soin de nos êtres. Moi, je crois que c’est plutôt un pur  morceau de Dieu incarné dans nos vies. Aussi, quand elle vient à s'en aller, une mère laisse en nous  un vide que rien ni personne ne peut combler. Elle est irremplaçable.  

Te rappelles-tu, Maman, de ce jour où je suis rentrée de la faculté un peu plus tard que d’habitude ? Je t’ai trouvée sur le pas de la porte, le regard voilé d'une vive inquiétude. Au fond de moi, je me suis  gentiment moquée de toi, ne comprenant pas la raison pour laquelle tu étais si inquiète. En y  pensant maintenant, j’en suis toute émue. Car, quand ma fille ne répond pas au téléphone, je  m’imagine mille et un malheurs qui seraient survenus. Dès que mon fils traverse la barrière pour se  rendre dans la rue, je le vois déjà accourir au-devant de tous les dangers.  

Tu m’as laissé tant de bons et beaux souvenirs. Je pense à cette nuit où installée dans ton lit, je me  tournais et me retournais sans cesse sans pouvoir trouver le sommeil. Tu me questionnas afin de  savoir pourquoi je bougeais autant. Je te répondis que j’avais du mal à dormir parce que j’avais trop  chaud. Je te vis alors te lever. Tâtonnant un peu dans l’obscurité, tu te dirigeas vers ton sac de travail  accroché au mur et y pris un cahier. Dubitative, je me demandais ce que tu allais bien en faire. Avais tu en tête de préparer un quelconque cours à l’intention de tes chers élèves? Tu devrais pour cela  allumer une bougie. Mais non, tu aurais plein de temps pour le faire demain toute la journée du  samedi. Lentement, tu revins t'étendre près de moi. Je revis la scène comme si elle s’était produite la  nuit dernière. Je sentis alors un léger vent frais frôler mon visage. Pas d’électricité pour actionner le  ventilateur et les fenêtres fermées, d’où pouvait donc provenir cette brise si douce qui me  rafraîchissait la peau ? Je mis du temps à réaliser que tu avais été chercher le cahier juste pour  m’éventer. Et tu le fis jusqu’à ce que je m’endorme. J’en frémis encore toutes les fois que ce  moment remonte dans ma mémoire. Des émotions si vives me traversent que j’ai en même temps  envie de sourire et mes yeux s'embuent de larmes. Quel sublime geste d’amour ! J’étais déjà une  universitaire que tu me traitais avec une telle attention! 

Les compliments les plus élogieux que j’ai reçus viennent de toi. Mon ego se gonfle en te réécoutant  encore et encore vanter mes qualités d’enfant. Tu m'as dit être un modèle unique, que ma propre  progéniture ne pourrait être comme moi. Sur la même lancée, un autre jour, tu me fis savoir que si  quelqu’un ne m’aimait pas, il serait tout simplement fou. De quoi en être fière ! 

Jamais, tu n’as raté l’occasion de me faire savoir combien j’étais belle à tes yeux. Je n’oublierai pas  cet instant où tu me fis savoir que j’étais une jolie jeune femme noire qui devrait être parée des plus  beaux bijoux du monde. 

Merci Maman d’avoir été cette femme exceptionnelle dans ma vie, cette présence rassurante. Tu t’es  transformé en cette étoile dont la lumière éclaire mes sombres sentiers. Ta bonté, ta générosité  impriment mes relations avec mes semblables. Grâce à toi, j’ai appris à partager les problèmes des  autres. Et, observant le comportement de bien des humains, j’admire plus que jamais la noblesse de  ton âme.  

Nous ne naissons pas avec le loisir de choisir nos parents. Mais je veux que tu saches que si je devais  renaître un jour et qu’il m’était donné de désigner ma mère, sans l'ombre d’un doute, les yeux  fermés, mon cœur me guiderait vers toi.  

Je passerais des heures entières à te parler, comme au temps de nos interminables conversations à bâtons rompus. Mais, mon diablotin de fils réclame sa maman à lui !  

Juste avant de finir, je dois te dire que tu me manques, Maman. Je ne pourrais plus m’endormir sur  tes jambes comme au temps de mon enfance, mais je viendrais bien épancher mes chagrins au creux  accueillant et chaleureux de tes tendres épaules.  

Tous les enfant de la terre mériteraient de t’avoir pour maman. Tu as été la perfection faite mère. Je  t’aime, Maman ! 
 

Marie Johane Brinnius Banatte est née à Jacmel où se déroula sa petite enfance. Puis, elle vécut une grande partie de sa jeunesse à Port-au-Prince pour poursuivre ses études secondaires et universitaires.

Établie depuis environ 20 ans dans la métro…

Biographie