"Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera... Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément"

"Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera... Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément"

Respecter le serment d'Hippocrate est déjà un exercice assez difficile et complexe pour un médecin dans sa pratique quotidienne. Sur un horaire chargé, beaucoup d'années d'études, et des malades angoissés pour qui il est la plupart du temps le dernier recours, le métier est très lourd. Celui-ci trouve pourtant sa satisfaction et sa fierté dans l'accompagnement des personnes malades en y apportant les soins que leur cas nécessite. Chaque intervention réussie, chaque malade satisfait, et parfois même dans les cas d'échecs, le médecin ayant fait tout ce qu'il pouvait, rentre chez lui-si rentrer il y a- avec le sentiment d'avoir sauvé une vie. Dans ce train train exhaustif, cette course à la montre et à la mort, le médecin haïtien fait face à 4 fois plus de difficultés: déficience en matériels et en infrastructures, ressources humaines limitées, insécurité, impuissance... A ce tableau sombre s'ajoute l'instabilité socio-politique qui en plus de faire fuire nos cerveaux, empêche les institutions de santé de fonctionner correctement. Tel est le cas aujourd'hui de l'Hôpital de l'Université d'Etat d'Haïti (HUEH)  qui ne peut plus prodiguer les soins à la population à cause des affrontements armés dans la zone.

"Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux" Le médecin haïtien est un citoyen soucieux qui se penche avec empathie sur le chevet de son patient. Il est celui qui, avec des ressources limitées s'efforce de trouver un bon diagnostic pour son patient et orienter celui-ci vers un traitement dans la mesure du possible. Conscient de sa place, il comprend la nécessité d'accompagner son malade sur tous les points pour son rétablissement intégral, aussi difficile soit-il. En Haïti, le chemin qui mène vers un médecin est long, et parfois sinueux. Il le devient encore plus quand des centres hospitaliers se voient obligés de fermer leurs portes parce que l'insécurité, dans sa course effrénée les a atteind; quand des médecins après avoir été kidnappés et maltraités laissent le pays en trombe pour sauver leur famille, et quand d'autres, fatigués et effrayés de cette crise interminable, partent vers d'autres horizons, quitte à dire au revoir à leur métier.

"Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission." Vous l'aurez compris, pour que le médecin puisse accomplir sa mission, il doit disposer de toutes ses facultés. Il doit exercer dans un environnement sécure pour lui et son patient, et ne doit avoir aucune contrainte ou pression externe. Cette règle est transgressée depuis bien des années en Haïti. Le médecin qui choisit d'exercer en Haïti doit traverser des dizaines de barricades avant d'arriver sur son lieu de travail, parfois des rafales l'empêchent de rejoindre ses patients, et Dieu sait que ces derniers ne peuvent pas toujours attendre.

C'est dans un contexte de terreur profonde, sous les balles des bandits, que médecins, étudiants et patients ont laissé le plus grand centre hospitalier du pays appellé couramment "l'hopital général"ce jeudi 29 février 2024. Malheureusement ces prestataires ont dû laisser, conduits par un backup de police,  leurs patients- y compris ceux qui venaient d'arriver pour des plaies par balle. L'Hopital de l'Université d'Etat d'Haïti, au plus haut de l'echelle sanitaire, dernier recours de tous les patients en Haïti, est un centre qui reçoit environ 40 à 50 cas d'urgence par jour et près de 5 mille consultations par mois, selon son actuel directeur le Dr Jude Milcé. Si cette zone abritant le palais national , la Faculté de Médecine et de Pharmacie, la Faculté Des Sciences, la Faculté de Droit et des Sciences Economiques, la Faculté d'Odontologie et l'Institut de Sage Femmes et tant d'autres est aujourd'hui un territoire d'affrontement entre les bandits et la police, il faut se dire que nous avons tout perdu.  Dans tous les pays, et même en temps de guerre, les écoles,  les hôpitaux et les médecins sont toujours protégés puisque ces derniers sont de ceux qui doivent rester vivants pour soigner la population.  Dans tous les pays, sauf en Haïti. Ici, quand nous ne les tuons pas de sang froid, nous les retenons en ôtage au prix d'une fortune qu'ils n'ont pas ou nous les empêchons carrément de travailler. Faire médecine a toujours été un sacerdoce, un acte de foi et de service, mais faire médecine en Haïti aujourd'hui est plus qu'un acte de foi, c'est une preuve de courage, un défi de la mort, mort de soi, mort des autres.

Enième crise, on compte les cadavres de partout et dans tous les camps, des balles chantent jour et nuit, et la population, les mains en l'air, courent vers un abri pour se réfugier ou se résolvent à l'abandon. Puisqu'après tant d'efforts leur résistance est vaine, ils se livrent en aveugle au destin qui les entraine, comme le dirait Racine.  C'est un peuple las, qui agonise, et ne peut même plus crier sa frustration. Silence sanglant, il disparaît. Nos mots, nos maux  ne veulent plus rien dire, comme notre vie dailleurs. On s'en va, si l'on peut, et on meurt sans le vouloir. Y en a marre!

A propos de

Pouchenie Blanc

Pouchenie Blanc est étudiante en médecine et en sciences juridiques, rédactrice, et critique littéraire. Passionnée de lecture et activiste des droits humains, sa plume est une arme de formation, de dénonciation et d'information. 

Elle a fait …

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