Une relecture de l'œuvre poétique de L. Duvivier HALL…
…au regard de celle de ses contemporains à Port-au Prince, la génération des poètes 1927-34.
Une relecture de l'œuvre poétique de L. Duvivier HALL…
…au regard de celle de ses contemporains à Port-au Prince, la génération des poètes 1927-34.
Les recherches en littérature haïtienne, notamment en poésie, sont en grande partie limitées aux œuvres d’écrivains qui ont vécu à Port-au-Prince. Les écrivains de nos villes de province restent généralement méconnus de la critique littéraire et leurs œuvres peu ou pas du tout vulgarisées ni insérées dans des anthologies. D’abord, la poésie, étant ce qu’elle est toujours en Haïti : un genre peu lu, les quelques textes vendus après la parution d’un recueil n’ont lieu que pour encourager le poète ou ont été achetés par devoir d’amis. Rare par goût ou par habitude de lecture. Sauf chez les initiés, et ceci avec grande prudence, quant au choix. Généralement, ils s’orientent vers les auteurs célèbres ou connus. D’un autre coté, chez nous, la recherche en général, n’est pas financée. La littérature, quoiqu’elle soit le seul instrument qui prend à cœur et sans réserve les problèmes nationaux et mondiaux et qui les exposent aux yeux de tous, en vue de chercher une issue favorable à tous, les quelques intellectuels qui s’en occupent ne peuvent pas à leurs frais se rendre dans les villes de province en quête de nouveautés littéraires. Nos gouvernements, généralement hostiles aux écrivains, qui ne valorisent pas les productions littéraires, ne créent donc aucun pont entre l’Etat et les auteurs. Des institutions qui pourront aider financièrement n’ont jamais compris et ne comprennent pas encore à quoi cela servirait d’encourager les producteurs et les chercheurs littéraires. C’est ce qui explique qu’ A l’ombre du mapou, œuvre poétique de Louis Duvivier Hall, publiée aux Cayes en 1931, reste méconnue, voire oubliée alors qu’elle avait annoncé un souffle nouveau, à l’instar de celles des autres jeunes de la génération de la Revue Indigène qui a inauguré le vaste mouvement littéraire connu sous l’appellation Indigénisme.
Quatre principaux aspects retiennent l’attention des critiques contemporains haïtiens à propos des œuvres des poètes de la génération de 1927. Je me limite dans mon texte à ces quatre aspects chez Hall: l’immédiateté, la langue et le vocabulaire, la place de l’Afrique, l’amour.
Présentation de l’œuvre
A l’ombre du mapou1 est un mince recueil de 37 courts textes divisé en cinq parties : A l’ombre du mapou, Propos de province, Poème des quatre saisons, Des airs de chez nous et Poèmes caraïbes.
L’immédiateté dans l’œuvre de Louis Duvivier Hall
Les thèmes traités par Hall nous rappellent nos poètes romantiques. Cependant, il n’a usé ni de leur vocabulaire ni de leurs procédés de style. Son art est le même que chez les poètes de la Revue Indigène. L’immédiateté y est présente. En effet, Georges Castera écrit à propos: « La poésie indigène vise à l’oralisation, et les mots apparaissent très proches du vécu, de l’immédiateté du quotidien […] Les évènements ne sont pas intériorisés en tant que souvenirs ou obsessions, mais rendus à l’état brut …»2 Les trois premiers vers de Ne comptons pas et le dernier poème Des airs de chez nous illustrent bien cette thèse :
« Les longues et drôles fleurs de ta robe
Ont le torticolis à force de regarder par derrière.
Et toi, tu tords ton œil à regarder ton nez ! » (p. 42)
Les trois derniers vers du poème Yaya qui clôt ses Propos de province et ceux de Rendez-vous dans Poèmes caraïbes montrent, entre autres, combien les mots dans la poésie de Hall frisent l’oralisation, décrivent le vécu, le quotidien:
« …Le gros mari-joseph grille dans la mantègue.
Et la grosse YAYA, blahie tout en mamelle
Tasse les poissons frits dans la longue gamelle. » (p. 20)
«Je t’attendrai ce soir au détour du chemin;
Mets tes parfums troublants, ti-beaume et faubazin
Et le palma-cristi, frère de pompéia… » (p. 46)
La langue et le vocabulaire
Les poètes de 1927 ont « bruni » la langue française par un « recours au lexique franco-créole 3 » dont « bayahonde, cob, cabicha, baton-chapelet, mapou, flamboyant, dodine…4 » Si le poète Hall n’a pas toujours utilisé ces termes, il les a en revanche agrémentés avec d’autres cousins tels, ti-beaume, faubazin, palma-cristi, mabouya, jonc, coucouille, mazoubelle, bois-pin, rhélé, des onomatopées : ouélélé, ouaiouaia, des interjections : comabo, coloko… En témoignent les vers suivants, pris de manière éparse, tellement les exemples sont nombreux :
« …Ecoute en la savanne
Le long ouaïouaïa des vastes champs de canne. » (Tendresse, p.48)
Le banza-tambourin a ronflé : comabo ! (Attente, p. 47)
« …Odeurs d’huile de palma-cristi
Suintant des cous graisseux, crudité de sueurs…» (Odeurs, p.38)
« C’est ainsi que je t’aime en ton long caraco :
Coloko ! » (Rendez-vous, p.46)
«Je n’entends pas encor sous les avocatiers
Qui bordent le chemin, le joyeux ouélélé
Des pantoufles claquant aux talons, le rhélé
Des jeunesses du bal…» (Attente, p.47)
« De votre bouche à mordre, charnue comme une mazoubelle…» (Hommage, p.40)
L’Afrique dans la poésie de Hall
Hall chante une Afrique lointaine dont il n’est qu’un petit-fils. Voici le début de son poème Héritage :
« Je suis un petit fils de la lointaine Afrique
Et je porte en ma chair des échos de souffrance
Des plaintes de cordage aux mâts des négriers… »
Parlant des poètes de La Revue indigène, Claude C. Pierre, Joubert Satyre et Lyonel Trouillot citent ces vers d’André Liautaud dans O beaux soirs de Kenskoff : « Nous frémissons de ressentir au/fond de nous/comme un choc amorti des/ choses ancestrales » qu’ils commentent ainsi :
« L’évocation de l’origine, ici, est bien celle d’un monde perdu dont les quelques vestiges provoquent un choc, un étonnement. Pas de mythe des retrouvailles, mais intériorisation douloureuse du déracinement5. »
Donc, chez Liautaud comme chez Hall, la même sensibilité, les mêmes procédés de style quant à l’évocation de l’Afrique.
Le thème amour
L’amour, à travers beaucoup d’œuvres de nos poètes et de nos romanciers – chez les contemporains compris – est souvent charnel. Qu’il s’agisse de la présence des femmes du terroir ou exotiques, le thème évoque une ambiance de jouissance, le désir de débarrasser les femmes des accoutrements - tout devient alors accoutrements - qui les gênent sous l’accablante chaleur tropicale.
Chez les poètes de 1927, l’ambiance est différente. Castera souligne que « quant au corps de la femme, il est simplement regardé par le poète indigène. Ce corps est fortement désiré, mais des questions de convenance les empêchent de l’aimer » 6
Chez Hall, des fois, les désirs s’estompent, l’amour s’effrite par refus de s’aventurer. Les vers suivants illustrent combien cette poétique chez les jeunes de la revue indigène, dont parle Castera, est ancrée dans l’œuvre de Louis Duvivier Hall :
« Vois, mes désirs brûlants s’entortillent à ton cou […]
Se tordent en faisant des zéros et des huit :
Mes désirs, ayant peur des chiffres, ont pris la fuite… »
A l’ombre du mapou de Louis Duvivier Hall, la seule œuvre poétique qu’il a publiée aux Cayes à l’âge de 26 ans était restée méconnue des poètes et intellectuels de sa génération vivant à Port-au-Prince. Dommage qu’une telle œuvre continue a subir les injures de l’oubli. Aucune anthologie n’a encore mentionné son nom. Certes, il n’a pas assez - et n’est pas le seul - « brisé ni désarticulé le rythme du vers démodé pour lui faire danser une cadence neuve, trépidante, déséquilibrée »7. Cependant, sa poésie, au point de vue thématique, lexical et formel s’enchaine avec celle de Roumain, d’Hertelou, de Liautaud, de Roumer, de Bouard et mérite d’être classée parmi la leur par sa contribution au souffle nouveau du mouvement de la génération de 1927 à 1934, considéré comme le premier moment officiel de l’indigénisme.