Il est parti très tôt ce matin-là, laissant femme et enfants encore profondément endormis. Il a quitté sa maison comme un voleur, les paupières encore lourdes de sommeil, las de tant de songes. Il est parti « prendre les mornes », comme il dit.

 

Il est parti très tôt ce matin-là, laissant femme et enfants encore profondément endormis. Il a quitté sa maison comme un voleur, les paupières encore lourdes de sommeil, las de tant de songes. Il est parti « prendre les mornes », comme il dit. 

Il a monté la route de pierres, puis le chemin de terre. Il a croisé quelques paysans se rendant dans leurs champs, munis de leur machette, quelques femmes portant sur la tête leur panier pour aller vendre leur marchandise au marché, ou encore pour se rendre à la rivière et faire la lessive. Il a aussi vu les enfants bien mis dans leur uniforme d’école pour se rendre à la ville, petits volants et barrettes dans les cheveux pour les filles, « boule à zéro » pour les garçons.

Il marchait le nez en l’air, pour y regarder ces arbres touffus, ces flamboyants prospères, ces palmiers hauts et fiers, ces manguiers et arbres à pain lourds de tous leurs fruits ; il admirait ces fleurs étonnantes, toute cette végétation autour en une palette de couleurs vertes, prompte à effacer les outrages du cyclone Matthew. 

Il a senti l’odeur de la terre émergeant de la nuit, entendu les bruits sourds venant des petites cayes d’où les habitants commençaient à sortir. Peut-être pensait-il à Manuel, le « gouverneur de la rosée », marchant hardiment à travers les mornes pour rejoindre la belle Anaïse… Oui, il y avait quelque chose de Manuel en lui qui arpentait avec fierté cette terre bien aimée, la tête pleine de rêves pour transformer l’humanité.

Au loin, la mer, étalée de tout son long, majestueuse et silencieuse, était toute scintillante le jour naissant. «  Homme libre, toujours tu chériras la mer » se répétait-il, en bon natif de Corail et amoureux de Charles Baudelaire…

Et puis, il y avait le ciel, parcouru de nuages gris et blancs, se mouvant en un ballet silencieux éclairé des premiers rayons de soleil. Il allait arriver au bout du chemin, tout en haut de la colline, lorsqu’il vit cette lumière, surplombant l’horizon, ivre de promesses, comme si, de l’autre côté, il allait retrouver le paradis perdu….