La situation sécuritaire en Haïti s’est considérablement dégradée. Depuis l’été 2024, les groupes armés ont fait monter d’un cran l’insécurité dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et dans le Département de l’Artibonite. Les gangs qui opèrent en toute impunité visent principalement la population haïtienne. Leurs actions trahissent leur discours démagogique, qui porte à croire qu’ils traquent les oligarques et les politiciens pour assurer un bien-être futur à la population. Alors que, c’est cette population qu’ils prétendent soutenir qui est la principale victime de leurs forfaits. Les forces de l'ordre ont prouvé qu'elles ne peuvent pas mettre les gangs hors d'état de nuire. Elles ne sont ni en effectifs suffisants, ni n'ont les moyens adéquats pour endiguer la menace. Les gangs deviennent de plus en plus forts. Ils menacent tout le monde, mettent en déroute les forces de l’ordre, pillent, tuent et exécutent sans s’inquiéter.
Cette descente aux enfers du peuple haïtien s’est accentuée depuis la mort tragique du Président Jovenel Moïse, brutalement assassiné dans sa résidence privée dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. Le gouvernement haïtien s’est rendu compte de la faiblesse des forces de sécurité à maintenir un climat stable pour pouvoir réaliser la réforme constitutionnelle et les élections générales. Pour renforcer les forces locales, il a sollicité l’aide de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Après deux années de réticences et de tergiversations, l’ONU a finalement décidé de fournir une assistance à Haïti afin de remédier à la dégradation de la situation sécuritaire. En vertu de la résolution 2699 du Conseil de Sécurité, une Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS) est autorisée à être déployée. L’objectif de cette mission est d’apporter un appui opérationnel et logistique à la Police Nationale d’Haïti (PNH). Cependant, de par sa nature, cette mission n’est pas adaptée à la situation. Bien que des études stratégiques aient été réalisées sur le terrain, il est inadmissible que les experts internationaux n'aient pas pris en compte la véritable dimension du problème de sécurité en Haïti. Seuls les militaires ont l’entraînement et l’expérience nécessaires pour affronter une telle situation. Qu'est-ce qui explique l'envoi de policiers sous- équipés et en nombre réduit?
Haïti ne fait pas face à une simple violence citoyenne incontrôlée mais à une véritable guérilla urbaine menée par des groupes surarmés capables de défier l’État prétendument détenteur de la violence légitime. La force de frappe des gangs, leur degré d’organisation, leur effectif croissant, leur logistique et leur mode opératoire font d’eux une machine destructrice redoutable. D’où la raison pour laquelle l’État haïtien, membre fondateur de l’ONU, s’est tourné vers l’Organisation planétaire pour solliciter de l’aide en vue d’enrayer la menace. L’ONU s’est jouée de l’État haïtien en envoyant une mission dont la nature ne satisfait pas aux exigences de la situation.
La Mission est conduite par le Kenya suite à une entente douteuse et incongrue avec les États-Unis d’Amérique. Il était prévu que la MMSS soit constituée de 2 500 agents de police. En juin 2024, un premier groupe de policiers kenyans est arrivé. Presque six mois plus tard, l’effectif de la MMSS reste largement en deçà de la quantité convenue. La mission est dépourvue de moyens financiers et logistiques nécessaires pour affronter la situation. Les pays contributeurs n'ont pas honoré leur engagement. La mission est inopérante. Sa présence ne dissuade en rien les gangs, qui, au contraire, intensifient leurs méfaits sur la population à bout de souffle.
La situation en Haïti rappelle les tactiques qui ont provoqué le génocide rwandais en 1994. La haine sociale était si intense que les forces de sécurité et la Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda (MINUAR) n'ont pas réussi à la contenir. Les Nations Unies ont ignoré les alertes répétées du Lieutenant Général Romeo Dallaire, jusqu'à ce que l'irréparable se produise. Les Hutus ont massacré brutalement environ 800 000 Tutsis dans une guerre civile impitoyable. Un génocide à nul autre pareil depuis la Seconde Guerre mondiale.
Haïti est sur le point de connaître le même sort. Il semble que la communauté internationale, insensible à la souffrance du peuple haïtien, lui tourne le dos. Plutôt que de fournir une aide substantielle, l'international préfère isoler davantage le pays, en particulier la capitale haïtienne, comme si ses habitants n'avaient aucune valeur. En agissant ainsi, elle s'implique de manière ostentatoire dans cette politique de banalisation de la vie.
Pendant ce temps, les armes et les munitions continuent d’affluer vers le territoire haïtien à partir de leurs industries. Le complexe militaro-industriel devait s’en réjouir. Leur industrie de fabrication d’armes létales fonctionne à plein régime. L’Ukraine, Gaza et Haïti leur offrent un marché pour écouler leurs marchandises meurtrières. Pour leur part, les autorités feignent de ne pas connaître les responsables de ce trafic illicite d'armes de guerre, qui alimente les gangs haïtiens et leur permet d'intensifier leurs atrocités. Pour masquer la honte, elles annoncent des sanctions contre les bandits, mais en réalité celles-ci, ne les affectent pas car ils ne possèdent aucun compte bancaire à l'étranger et ne voyagent pas. Voilà pourquoi ils continuent de recevoir, sans interruption, leur commande d'armes de guerre, pour continuer impunément à commettre leurs exactions sur une population sans défense.
La situation sécuritaire en Haïti a récemment évolué et nous redoutons le pire dans les jours. De nombreuses familles, fuyant la colère des gangs abandonnent leur quartier. On parle de plus de 700 000 déplacés internes depuis le déclenchement de cette violence indiscriminée qui s’installe en Haïti.
Aujourd’hui, tout indique que les conditions sont réunies pour un génocide en Haïti. Les gangs ne rencontrent aucune opposition de grande envergure. Ils veulent le pouvoir et sont prêts à tout pour l'obtenir. Ils recourent aux réseaux sociaux et à certains médias traditionnels pour diffuser des messages empreints de haine et pour semer la terreur parmi la population. Ils ont repéré des cibles précises et minimisent l'impact des dommages collatéraux. Ils savent que la communauté internationale n'interviendra pas, et donc ils ont les coudées franches pour agir. De son côté, la population s’organise tant bien que mal et met en place un système d’autodéfense, le fameux « bwa kale », qui n’est autre qu’une sorte de justice populaire violente. Pour se prémunir contre
d'éventuelles attaques des groupes armés, les résidents de plusieurs quartiers prennent des mesures extralégales : Fermeture de la circulation à une heure donnée, contrôle des véhicules, interpellation parfois suivie d'exécution sommaire de toute personne inconnue sans pièce d'identité.
Le 18 novembre dernier, les bandits avaient annoncé qu’ils attaqueraient Pétion-Ville, un quartier situé dans les hauteurs de Port-au-Prince. La police a intercepté un camion camouflant une vingtaine de bandits lourdement armés, munis d’équipements de surveillance et autres matériels. Dans l'affrontement, certains d'entre eux ont été mortellement blessés, et ceux qui ont pris la poudre d'escampette ont été interceptés par la population qui s'est fait justice. Depuis cet épisode, d'autres bandits ont été tués par la population aux aguets. Le sang coule à flot dans la capitale haïtienne. Les groupes armés promettent une vengeance impitoyable. Il n'y a ni jour ni date, mais tout le monde sait qu'ils sont en train de préparer un bain de sang.
On se demande ce que la communauté internationale attend pour agir. Une demande haïtienne de transformer la MMSS en une mission de paix des Nations Unies a été rejetée. La Chine et la Russie menacent d'apposer leur veto à cette résolution si les États-Unis et l'Équateur, les pays porte-plume d'Haïti à l'ONU, insistent pour la faire adopter. Haïti se trouve au cœur d’une bataille géopolitique rangée, et elle risque d’en faire les frais. Cette situation met en évidence les faiblesses du système international, qui n'a plus les ressources nécessaires pour faire face aux diverses crises du monde moderne. L’ONU a besoin d’une réforme en profondeur. Les règles du jeu des puissances doivent être redéfinies. Il est vrai que si le génocide haïtien a lieu, des mandats internationaux seront émis par la Cour Pénale Internationale pour traduire les coupables devant les tribunaux, mais cela ne remplacera pas les vies détruites qu'il était possible de sauver.
L'histoire retiendra qu'un État, Haïti, membre fondateur de l'ONU, était ignoré alors qu'il traversait une période de grande difficulté, voire de désintégration totale, mais n'avait pas été secouru. Sa demande d'assistance a été tournée en dérision. Les cris stridents des morts vivants s’agrippant à un brin d’espoir de la communauté internationale demeurent inaudibles. Les grandes puissances se bouchent les oreilles, attendant le pire pour agir. Qu’elles sachent qu'Haïti ne tombera pas seule. En tombant, le bruit assourdissant qu'elle fera, provoquera d'énormes fissures sur les murs mitoyens qui protègent la maison des peuples frères.