J’étais à peine descendue de l’autobus que j’enlevai précipitamment mes sandales pour dévaler pieds nus dans le petit escalier en terre battue qui devait me conduire d’abord à un sentier bordé d’hibiscus entremêlés de lauriers, puis directement devant la véranda de la maison de tante Dieula. Je déposai un baiser sonore sur chacune des joues de ma chère tatie, qui était venue m’accueillir, puis nous nous jetâmes dans les bras l’une de l’autre.

J’étais à peine descendue de l’autobus que j’enlevai précipitamment mes sandales pour dévaler pieds nus dans le petit escalier en terre battue qui devait me conduire d’abord à un sentier bordé d’hibiscus entremêlés de lauriers, puis directement devant la véranda de la maison de tante Dieula. Je déposai un baiser sonore sur chacune des joues de ma chère tatie, qui était venue m’accueillir, puis nous nous jetâmes dans les bras l’une de l’autre. Je humai avidement son odeur, un mélange d’arome de café, d’épice et de ce qui devait être du tabac, puisqu’elle « chiquait » un peu, ma tante. Dans cette étreinte interminable, je revécus tant de souvenirs, des vacances de mon enfance : le café grillé, transformé en amas en forme de boules caramélisées au sucre roux avant d’être pilé, la pêche aux « kribich » à la rivière, la cuisson des patates douces dans la cendre chaude, sous la marmite de bouillon. Mon cousin passa près de nous pour aller déposer mes valises à l’intérieur. Il sifflotait l’air de la chanson « Ayiti cheri » de Jacques Sauveur Jean. Ma tante et moi, nous nous mîmes à chanter en chœur et à gorges déployées :
« Ayiti cheri,
Anndan vant ou m soti
Lèt manmèl ou’k nouri’m, cheri
Bon jan pye mango
Wosiyòl kap chante, cheri
Lanmou blayi nan kèm pou ou ».
Soudain elle cessa de chanter et décida que j’avais faim et que je devais sans plus tarder venir me mettre quelque chose dans le ventre pour ne pas avoir de « gaz ». J’obtempérai sachant que j’allais à coup sûr me régaler. Je contournai la maison pour atteindre la petite « choukounèt » sur la cour arrière. J’aimais y prendre mes repas. Je me trouvai devant un amoncellement de morceau d’ignames blancs et un bol de « fricassé » au lard, pimenté à souhait. Ma tante était assise à mes côtés pour me regarder manger, et aussi, pour poursuivre notre rituel de retrouvailles. Elle plaça, sur la table, à portée de ma main, un grand bol avec des grains de maïs. Je compris tout de suite pourquoi. Je souris et elle sourit jusqu’aux larmes. C’était pour moi, la plus touchante des manifestations de bienvenue. Je pris une poignée de grains que je lançai en l’air. Les petites perles jaunes se retrouvèrent vite au sol. Comme par miracle, une multitude de volailles firent leur apparition et se mirent à picorer à tue-tête. Ma tante m’aida à lancer d’autres denrées aux « assaillants ». Le nombre grossissait et leurs piaillements devenaient un véritable vacarme. J’adorais ce spectacle. Je m’assis pour manger, tout en contemplant le petit monde en agitation. Les oiseaux étaient tour à tour en bagarres ou en taquineries, en plus de picorer le maïs au sol. Quand ils furent rassasiés, ils partirent vers une marre d’eau, située dans une zone en contre-bas, pour s’abreuver. Je les suivis du regard et pendant quelques secondes, je leur enviai cette vie d’évasion sans mesure. 

Ma tante s’était assoupie sur sa dodine. Je me retirai sans faire de bruit et m’enfouis dans le buisson non loin de la « choukounèt », qui donnait sur la rivière. 

L’eau était claire. Les petits cailloux blancs et gris étaient beaux à voir à travers l'écran de verre coulant. Le soleil semblait avoir accouché d’une colonie d’enfants par l’illusion que son reflet créait sur l’eau. Je m’assis sur la rive, à l’ombre, mes pieds nus plongés dans l’eau. Je fermai les yeux pour savourer cette sensation de bien-être incomparable. Mes pensées étaient rêveuses, vagabondes, un peu dissipées. Je pensais à tout et à rien. Un oiseau passa, ses ailes frôlèrent mon visage et j’ouvris les yeux. Mon regard fut tout de suite attiré par une fillette, au milieu de la rivière, qui semblait très attentive à ce qu’elle faisait. Elle tenait un objet sous l’eau, et, parfois, exécutait des petits mouvements en demi-cercle, avec tout son corps. Après de longues minutes, elle tira hors de l’eau, ce qui semblait être un butin. C’était un panier d’osier. Elle marcha pour sortir de l’eau. Elle arriva près de moi, me salua avec une voix mélodieuse. Je tâchai de répondre avec le même ton, ce qui parut lui plaire. Elle avait de belles « kribich » dans son panier. Je lui demandai ce qu’elle comptait en faire, elle m’invita à la suivre.

Elle marchait d’un pas bien décidé le long de la berge de la rivière. A moins de 50 mètres, elle prit une petite bifurcation sur la droite tout en s’assurant que je la suivais. Elle fraya un chemin à travers des arbustes et se baissa pour prendre une grande feuille de banane sur le sol. Je pus voir alors un trou rempli d’eau qui contenait déjà une petite colonie vivante de « Kribich ». Dans une petite planque, elle avait rangé une variété d’épice : persil, thym, ail, citron, orange amère, céleri, basilic, gros sel. Elle prit une petite quantité de chacun de ces éléments, enleva les impuretés, les lava avec de l’eau qu’elle avait dans un petit gallon et les versa dans le creux d’une pierre qui avait la forme d’un bol rond. Elle sortit ensuite une autre pierre qui avait la forme d’un manche de pilon à épice et se mit à le frapper à grand coup sur les épices pour bien les broyer.

Je demandai à Merla (c’était le nom de la fillette) où elle avait trouvé cet ingénieux broyeur en pierre taillée, et elle me répondit dans un rire espiègle : « je l’ai trouvé. On finit toujours par trouver, ce qu’on cherche avec la foi du cœur ». Je restai pensive après avoir entendu une affirmation aussi profonde venant de cette jeune tête, et cette force de conviction me séduisit.

Merla sortit avec moi du « gite » où nous nous trouvions. Elle portait sous le bras un panier où étaient rangés les épices broyés et de belles « Kribich ». Nous marchions côte à côte, sous le soleil, en suivant le cours de la rivière. Nous arrivâmes à un endroit où étaient disposées 3 larges galettes de pierres de forme cylindrique. Je fis le mouvement de me baisser pour toucher une des pierres de la main. Merla m’en empêcha en me tirant pas le bras. Elle versa une goutte d’eau sur une des surfaces, le liquide partit rapidement en vapeur. Je compris que je venais d’échapper à une brulure vive grâce à ma nouvelle amie.

Elle s’accroupit pour décortiquer les « kribich ». Je fis de même. Puis les crustacés furent marinés avec un mélange de jus de citrons, d’oranges amères et d’épices. Elle entreprit de les placer avec soin sur une des galettes de pierre. J’aidai du mieux que je pus. Les « kribich » dégagèrent une bonne odeur de cuisson et prirent une de couleur rosée, de grisâtres qu’elles étaient. Quelques minutes après, Merla prit les « Kribich » une à une pour les placer sur une autre galette de pierre, cette fois, en les virant de bord. Elle ajouta du piment à la vinaigrette qu’elle préparait. Tout avait l’air délicieux. Merla surprit sans doute mon regard gourmand. Elle nettoya un morceau de feuille de banane, le plia en cornet et ramassa avec, les « kribich » grillé au soleil. Nous allâmes à l’ombre pour manger calmement. Nous échangeâmes peu de mots, comme par consentement mutuel pour ne pas briser la magie du moment. Au moment de partir, Merla ramassa les « ustensiles de cuisine », je l’accompagnai jusqu’au lieu où elle les avait pris tantôt, pour les ranger maintenant.  Elle partit retrouver sa grand-mère. Elle vivait avec elle. Leur maison se trouvait de l’autre côté de la rivière. Elle m’invita, pour un de ces jours. Elle me dit que sa grand-mère me plairait sans doute. J’avais hâte de la rencontrer. Mes vacances venaient à peine de commencer et j’étais ouverte à ce qu’elles voulaient m’offrir. 
 

A propos de

Fonie Pierre

Fonie Pierre est médecin avec une spécialisation en médecine communautaire, préventive et sociale.
Elle détient aussi un diplôme d’Etude avancée en Population et Développement/ Genre.

Elle est, par ailleurs, membre fondatrice de la Chambre de C…

Biographie