Nous sommes vers la fin des années 80. Tous les dimanches après-midi dans ma ville natale, il était de coutume pour les adolescents, après une bonne partie de football dans les rues, de se rendre au cinéma ou de se promener en groupe à travers la ville.
En mémoire de Faubert Saint Cyr
Nous sommes vers la fin des années 80. Tous les dimanches après-midi dans ma ville natale, il était de coutume pour les adolescents, après une bonne partie de football dans les rues, de se rendre au cinéma ou de se promener en groupe à travers la ville. C’était le moment idéal pour garçons et Filles de se rencontrer et se raconter les aventures heureuses ou malheureuses de la semaine. Un de ces paisibles dimanches, alors que mes copains et moi profitions d’une joyeuse balade en charmante compagnie à travers les rues enchanteresses de la ville, les heures qui s’écoulaient allègrement ne laissaient nullement augurer cette mésaventure gravée à jamais dans notre mémoire.
Après trois bonnes heures de marche, insouciante et heureuse, le moment était venu pour chacun de nous de regagner notre logis après avoir raccompagné à leur domicile nos charmantes compagnes. Dans un quartier très connu des Cayes, au Pont Combo, se produisit alors l’événement qui, préalablement, n’avait jamais effleuré notre imagination d’adolescents. Il était 7 :00 heures du soir. L’obscurité s’était abattue sur la ville. Nous nous sommes retrouvés coincés dans une maison, encerclés par les jeunes du quartier nous assénant de nombreux jets de pierres sans connaitre les raisons de ces hostilités. La peur nous tenaillait et de notre « prison » il nous était impossible de voir ce qui se passait au dehors. Seuls les récriminations de nos agresseurs inconnus nous parvenaient.
« Depi nou gen malè sòti nap kale nou ». De notre cachette, ces propos nous faisaient l’effet d’une flagellation à distance. Pris de panique, certains parmi nous se demandaient ce que nous avions dû faire pour susciter tant de violence et de haine. Car jusqu’à présent, nous étions sûrs de n’avoir violé aucune règle ni dépassé aucune limite. Nos questions restaient encore sans réponses pendant que notre refuge continuait d’essuyer encore et encore des jets de pierres. Notre frayeur ne cessait d'augmenter. Des riverains, éplorés par notre situation, nous suppliaient de ne pas sortir. Nous étions pris en otage, ne sachant à quel saint nous vouer.
Les minutes s’égrenaient et la pluie de pierres continuait de plus belle … Wòch !
L’impact des projectiles avec le toit en tôle de notre abri faisait un bruit assourdissant qui multipliait notre terreur.
30 minutes s’étaient déjà écoulées et nos adversaires du jour ne lâchaient pas la prise. Il commençait à faire nuit et chez nous on commençait à se poser des questions sur notre trop longue absence.
Comment sortir de ce guêpier ?
C’est la question à laquelle chacun de nous essayait de trouver une réponse. Tous ensembles, on s’est mis à réfléchir de façon frénétique à une possible échappatoire. Toutes les stratégies étaient prises en compte. Mais aucune d’elles ne garantissait pas une issue heureuse à notre bravade. Entre-temps, du dehors, des paroles de plus en plus violentes nous arrivaient à l’oreille, nous rappelant que le danger n’était pas loin et que nos poursuivants étaient déterminés à nous faire la peau.
Plus d’une heure d’attente ! Notre niveau d’adrénaline montait et nous décidions de faire face à notre destin. Il fallait sortir et nous battre. Nous n’avions pas d'autre choix. Plus que jamais, il fallait faire preuve de bravoure et éviter de paraître lâches aux yeux de nos amies. Les stratégies mises en place, nous avions décidé enfin de faire les premiers pas vers la porte de sortie. Quand brusquement… nous entendions un vacarme, des bruits de pas de gens courant de partout. La peur refaisait surface. L’obscurité n’aidait pas et face au danger qui nous guettait, nous avions perdu la notion du temps. D’ailleurs, nous avions déjà dépassé l’heure à laquelle nous devrions être à la maison. Soudain, une voix rauque se faisait entendre :
« kote nou… sòti vit… »
Toujours pris de panique, on se demandait qui était cette voix dans le noir qui nous demandait de sortir. Après maintes hésitations nous avons fini par reconnaitre la voix qui impérieusement nous enjoignait de sortir rapidement.
Ouf ! Il s’agissait du père de l’un d’entre nous qui était venu à notre rescousse.
Selon ses explications, dès le début, de loin, il suivait de son regard protecteur un complot qui se tramait contre nous lors de notre promenade sans comprendre ce qui allait suivre. Ne nous voyant pas revenir après une heure, il s’était mis à notre recherche et nous avait enfin trouvés pris en otage par nos agresseurs.
Nous sommes sortis sous une pluie de pierres, à la file indienne, précédés par notre sauveur armé d’un bâton. Il vociférait des propos rageurs à l'encontre de nos assaillants.
«Bann Vagabon… » Hurlait-il à l’endroit des méchants garçons, sous les regards interrogateurs des habitants du quartier qui ne comprenaient pas encore ce qui était à la base de cette prise d’otage. Malgré la présence de notre sauveteur, les propos injurieux des agresseurs pleuvaient encore.
Bann frekan… Nap fe yo komprann… Yo sòti lan katye yo vin file medam nou yo …
Nap bat yo… « Wòch »
Enfin sortis e de la zone ennemie, c’est alors que nous avions appris que pendant toute notre promenade, nous étions suivis par une horde de jeunes gens très furieux sans que nous ne nous soyons rendus compte de la poursuite. Nous étions trop occupés à plaire et à conquérir les belles qui étaient à l’origine de la colère de la bande adverse. Le reste de la soirée passait dans une série d’exposés des victimes. Chacune racontant tour à tour sa version de l’aventure et le niveau de panique que cela a suscité.
Ce n’est que le lendemain que nous avions appris la raison de leur fureur. Nous étions, à l’époque en train de séduire les plus belles fleurs de leur quartier et pour eux c’était un affront. A tout prix, ils voulaient défendre leur chasse gardée. Ils se fichaient éperdument de mettre en péril nos vies aussi bien celle de leurs reines.
Suite à l’inimitié qui a succédé à cette soirée inoubliable, la rivalité fit long feu entre les gars des deux quartiers. Et pendant de nombreuses années, à chaque match soi-disant amical, la tension était palpable. Les matches se terminaient souvent en bagarre.
« Nèg pa vin file fi sou lòt katye» . Il faut se garder d’aller chasser en territoire inconnu. Quel âge fragile, l’adolescence ! Nous l’avons appris à nos dépends. Depuis lors, cela nous a servi de leçon.