Gelée, Ça fait longtemps que je n’y suis pas venu. J’y allais pour manger, marcher et penser un peu. Je ne me souviens plus beaucoup de l’endroit pour être sincère.
À Ella, je t’achèterai un petit avion.
Gelée, Ça fait longtemps que je n’y suis pas venu. J’y allais pour manger, marcher et penser un peu. Je ne me souviens plus beaucoup de l’endroit pour être sincère. Je me rappelle de ses ruses gratuites. J’y ai vu les feuilles des amandiers tomber et se prélasser à même le sol; dans une tentative d’imiter un automne qui n’existe pas sous le soleil des Antilles. Et toi Ella, tu as décidé de m’y ramener malgré mes diverses protestations. J’avais oublié que tu étais ainsi, que tu dirigeais mon être. Tu n’as même pas pris le temps de me demander pourquoi je ne m’y rendais plus. Tu t’en fous que j’aie marre de penser à ce monde, que je n’aie pas faim. Mais je te désire alors je te suis. Tu me prends par la main et m’emmène dans une promenade. Nous passons tout près des vendeuses, les choses ont beaucoup changé. Le sable qui jonchait le sol a disparu au profit du béton. Mais je retrouve vite mes repères. L’odeur de fruit de mer me fouette le nez comme un cheval têtu. Les amandiers ont encore laissé leurs feuilles sur le sol. Je refuse de me laisser berner par ce simulacre de saison nouvelle. Nous traversons le petit pont qui jonche la rivière. Tu me prends par la main et me souris. Nous nous arrêtons au milieu, tu te penches et nous regardons la rivière passer sous nos pieds. Elle coule lentement, comme cette vie que nous ne partagerons jamais. Enfant, je la traversais à pied, avec mon père, les pattes dans l’eau. Et tout d’un coup, tu changes d’avis, tu veux continuer à marcher, au beau milieu de mon rêve. Tu veux sentir le sable sous tes pieds alors je te suis encore une fois. Nous foulons le bout de plage de l’autre côté de la rivière et tu me reprends par la main. Je pense finalement que tu vas m’embrasser. Tu me regardes dans les yeux, tu t’approches, tu éclates de rire et me pose un bisou sur la joue. Je te regarde courir vers la mer, tu t’assieds sur une barque renversée, les pieds dans l’eau. Je m’approche et je regarde la mer qui vient et qui s’en va. Un peu comme toi, qui me donne des espoirs pour ensuite disparaître. Soudainement tu te tais, il ne reste plus que la musique du vent sur le sable et la brise qui caresse ton visage. Elle glisse dans tes cheveux, dans ces recoins où j’aimerais passer mes doigts. Je suis jaloux du vent, je perds peu à peu la tête. Nous regardons un bateau qui disparaît à l’horizon. J’ai l’impression que tout me fuit ; toi y compris. Et tu te mets brusquement debout, perturbant encore une fois mes pensées ; tu cours sur le sable. Et je te suis, comme ton chien, comme ton ombre. Tu ris à pleine voix, je ne suis pas sûr que tu saches pourquoi. Tu ouvres les bras et tu tournes et tu tournes sur toi même avec le même rire, comme si le monde allait s’arrêter de tourner. Et tu tombes sur le sable, tu me parles finalement.
J’ai faim.
Moi aussi.
Je veux du lambi.
Je te veux toi.
Je veux du lambi, dans un éclat de rire.
Nous nous dirigeons vers les vendeuses. Nous avons l’embarras du choix, j’aime bien chez Martin, la nourriture y est bonne mais il est un rustre. J’ai peur qu’il nous gâte cet après-midi si fragile. Alors nous nous asseyons à une table, je ne sais plus chez qui. Aujourd’hui, je n’ai d’yeux que pour toi. Un homme crie “zamannnnn” et un autre veut m’offrir du lambi. Les deux prétendent pouvoir régler mes hypothétiques problèmes d’érection. Tu ris encore une fois et j’esquisse un sourire nerveux. Une cohorte de jeunes gens s’approchent de nous, ils veulent de l’argent. Je me lève et me dirige chez Bertrand, pour ma boisson préférée, dous ak bwa konchon ak asekony. Il te regarde au loin et me souffle que je vais passer une bonne soirée. Il ne sait pas que rien ne se passera, que notre apparence de couple heureux n’est que tromperie, comme l’automne des amandiers. Mais notre lambi est arrivé, avec les bananes et la salade. Tu prends ta première bouchée. Je te regarde qui sourit, je regarde la mer puis le ciel. Je suis à Gelée avec toi, et je vais bien.