A la rue Prospère Faure
J’ai cessé d’aimer la ville des cayes le jour où j’ai dû la quitter. Je ne parle pas d’une illustration d’un loin des yeux loin du cœur. J’avoue que parfois l’amour rend lâche ; et c’est de lâcheté que je parle quand j’avoue que j’ai cessé d’aimer cette ville très tôt.
A la rue Prospère Faure
J’ai cessé d’aimer la ville des cayes le jour où j’ai dû la quitter. Je ne parle pas d’une illustration d’un loin des yeux loin du cœur. J’avoue que parfois l’amour rend lâche ; et c’est de lâcheté que je parle quand j’avoue que j’ai cessé d’aimer cette ville très tôt. J’avais douze ans et je partais chaque lundi pour Camp-Perrin. Et à chaque fois que je partais, je prenais le temps d’admirer ces rues qui ont vu ma jeunesse et naissait en moi la peur dont je n’ai jamais su me départir.
Je n’avais pourtant pas crainte de partir, j’avais surtout peur de revenir. Quand vous partez et revenez sans cesse, vous réalisez rapidement qu’une ville change constamment. Pour ceux qui y vivent, seul leur incapacité à s’étonner et leur complaisance arrivent à les convaincre que leur cité est gravée dans le marbre et éternellement immuable ; même les changements les plus visibles, un nouveau bâtiment, une nouvelle couche d’asphalte, semblent rapidement avoir toujours existés. Peux sont capables de discerner ces petits changements, cette barque près du marché qu’on a déplacé, ce tas d’immondices qui a été nettoyée et même ce poteau sur laquelle on a collé une dernière photo.
Mais, avec cette réalisation que les choses peuvent changer nait cette peur de revenir. Car on commence à se demander combien elle changera, si on la reconnaîtra à la prochaine visite, si on retrouverait notre chemin dans ce lieu qu’on est censé connaitre.
L’ouragan Mathieu est arrivé presque par surprise. On savait qu’il devait venir mais on ignorait qu’il viendrait avec un peu de retard. Car lourde de sa grande force, la tempête ne pouvait se déplacer rapidement. Si elle a pris du temps à venir, elle a aussi mis du temps a partir. Elle s’est baladée dans nos villes et dans nos campagnes comme un touriste visite une terre étrangère. Mais il n’y aura pas de photo souvenir après son départ, ni d’objet de pacotille acheté sans raison précise. Ce que l’on gardera de sa visite est la destruction et le désespoir. Les maisons les plus fortes ont perdu leurs toits, les plus faibles ont été rasées. Et celles qui n’ont pas perdu leur intégrité physique, se sont vues inondées ; des bâtiments fièrement érigés avec les pieds dans l’eau. Mais une maison, ça se reconstruit, de la même manière ou différemment mais ça se reconstruit ; tout comme les routes, les places publiques, les églises, tout peut être reconstruit.
Mais il existe quelque chose qui ne pourra pas être rétablit aussi rapidement que nécessaire ; nos champs agricoles. Nous dépendons encore largement de notre production nationale pour satisfaire nos besoins en nourriture. Quoique faible, cette production contribue aux économies locales et à la survie de centaines de familles. Il est important de comprendre que dans quelques mois, face à la baisse de l’offre nationale, les prix et les raretés se feront sentir. Dans quelques mois, les organisations qui auront tant aidé à masquer ce problème devront partir. La sympathie du monde devra se tarir pour nous laisser à nous même. Et bien entendu, c’est à ce moment-là que nous verrons l’impact véritable de cet ouragan. Notre résilience et nos réactions pendant ces moments qui s’annoncent difficiles définiront nos communautés pour les décades à venir. Car tout ce qui est physique se reconstruit mais un peuple qui perd sa dignité dans la faim, même pour quelque mois, se souviendra pendant longtemps.
Qui se souvient de la ville des Cayes avant Hazel ? J’entends souvent parler des dégâts mais jamais de ce qui existait avant les dégâts. Notre ville continuera à bouger, à se construire et à se reconstruire. Nos campagnes se revêtirons de leurs manteaux verts et nous oublierons rapidement qu’il existait un arbre à ce carrefour ou que la toiture de la pharmacie du coin était en acier.
Enfin, je finis par réaliser que je n’avais pas peur de laisser ma ville. Je n’y suis plus depuis très longtemps d’ailleurs et je ne me souviens pas d’avoir pleuré son absence. Ce dont j’ai toujours eu peur est le remord de l’absent ; cette sensation qui se développe après une catastrophe, celle ou on se dit que notre présence aurait pu changer bien des choses. Et même lorsqu’on se rend à l’évidence que l’on aurait pu rien faire, on se dit que l’on aurait dû être puni, comme les autres, parce que nous aussi nous sommes d’ici.