J’ai raté les premiers sons de cloches. Les coups de six heures ont sonné il y a plus d’une demi-heure. Assis, sur la place d’armes des Cayes, je regarde l’imposante cathédrale qui se tient majestueusement en face.
A Tharous, le conditionnel n’existe pas.
J’ai raté les premiers sons de cloches. Les coups de six heures ont sonné il y a plus d’une demi-heure. Assis, sur la place d’armes des Cayes, je regarde l’imposante cathédrale qui se tient majestueusement en face. Sur la façade, je décèle ces lettres que je n’ai jamais pu déchiffrer. On m’a raconté que cela voulait dire « bare madan V. anba kolonel Dupont . Mais je suis certain qu’il s’agit du n’importe quoi populaire dont nous autres haïtiens avons le secret. J’aimerais bien rentrer dans l’église mais je n’ose pas. Ce n’est pas que j’ai peur mais j’attends qu’une fille en sorte après la messe. Bon vous savez déjà tout. Je suis assis sur la place d’armes des Cayes à attendre une dame qui est à la messe de six heures. Les minutes s’écoulent lentement et j’essaie de me distraire dans cette scène qui m’entoure.
Il y a un jeune homme assis tout près, il regarde, les yeux vides, le carrelage qui n’a rien à dire. Plus loin, les enfants courent à côté de chaperons qui ne les surveillent plus. En face, il y a le vendeur de « fresco » qui gratte la glace ; les abeilles virevoltent autour de la barque comme s’ils préparaient une attaque. J’ai bien envie d’un rafraichissement mais j’ai peur d’avoir les mains barbouillées de sucre. N’oublions pas que je dois serrer la main d’une dame sous peu. Un bruit soudain attire mon attention. Un jeune homme vient de tomber. Je n’avais pas remarqué qu’il faisait le tour de la structure centrale en roller. Il a raté une courbe et il est tombé dans le buisson. Un vieux se met alors à radoter à haute voix. Sa chemise blanche et son pantalon marron semblent raconter l’histoire d’un autre temps. L’homme fait la leçon à ces jeunes gens qui ne savent plus comment traiter une fille. Je désespère un peu car j’en ai marre d’attendre. Je regarde le banc sur ma droite et je replonge dans mes pensées. Je m’y vois, assis, à côté de ma dulcinée, sa main et la mienne entrelacées. On se dévisage avec tendresse et elle me sourit de temps à autre. Je lui récite un poème de Raymond Chassagne, quelque chose en prose. Mais encore une fois, ma rêverie est interrompue ; cette fois par des applaudissement. Ça vient des jeunes qui écoutaient le vieux. Ils poursuivent un nain qui, parait-il, s’appelle « ti mapou ». Le petit homme prend plaisir à faire toutes sortes de gestes salaces pour amuser la foule. Mais je ne suis pas là pour cette mascarade. Les gens commencent à sortir de l’église et mes mains se sont mis à trembler. Je repasse une fois de plus dans ma tête ce discours que j’ai répété dix fois pendant la journée. J’essaie aussi de ralentir le rythme de mon cœur qui bat trop vite, sans grand succès. Et voilà que j’aperçois la jolie dame qui arrive. Les cheveux naturels, elle porte cette lueur que j’aime tant sur son visage. Elle s’approche, elle est là, accompagnée d’une amie. Elle me salue et j’oublie tout ce que j’allais dire.