La saison des fêtes bat son plein. Nous avons, pour la plupart et pour ceux qui pouvaient se le permettre, célébré Noël et nous voilà au seuil d’une nouvelle année, pour ne pas dire une nouvelle décennie. Dommage que nous soyons dans une conjoncture où même le Père Noël est incapable d’apporter un sourire sur les lèvres, la lumière à nos nuits d’encre, un peu de propreté dans nos rues défoncées et empuanties, un palliatif au stress de l’insécurité et du crépitement intempestif d’armes de guerre.

La saison des fêtes bat son plein. Nous avons, pour la plupart et pour ceux qui pouvaient se le permettre, célébré Noël et nous voilà au seuil d’une nouvelle année, pour ne pas dire une nouvelle décennie. Dommage que nous soyons dans une conjoncture où même le Père Noël est incapable d’apporter un sourire sur les lèvres, la lumière à nos nuits d’encre, un peu de propreté dans nos rues défoncées et empuanties, un palliatif au stress de l’insécurité et du crépitement intempestif d’armes de guerre.  Malgré les refrains coutumiers que les stations de radio et de télé diffusent sans cesse pour essayer de créer l’atmosphère de fête qui caractérise habituellement la nativité, la conjoncture socioéconomique délétère d’Haïti, qui a amputé l’année scolaire, a aussi sévèrement atténué la magie de Noël. 

Il est d’usage courant dans toute société, association ou entreprise qu’à la fin de chaque cycle, de chaque année, on dresse le bilan. Cet exercice est d’autant plus important qu’il permet non seulement d’identifier les erreurs et faiblesses afin de les colmater, mais aussi de déterminer les points forts et les succès, de capitaliser sur ceux-ci afin de pouvoir les multiplier et les renforcer à l’avenir.    

En ce qui concerne Haïti, depuis des lustres, l’aiguille de nos bilans tourne continuellement vers le rouge. Et cette année, encore pire que les précédentes, le bilan risque de s’écrire en rouge vif, d’après certains observateurs. Loin de s’atteler à changer la donne pour orienter le pays vers un mieux-être pour tous, on s’applique plutôt à changer les dirigeants tout en continuant à entretenir un système inégalitaire. Nos ancêtres, par leur bravoure et leur unité, avaient placé Haïti sur le toit du monde. Aujourd’hui, par notre égocentrisme, par le rejet de nos valeurs et par notre désir démesuré de ressembler à l’étranger, nous avons excellé à faire de ce pays la machine la plus performante dans le domaine de la production de l’inégalité et de la pauvreté. 

Ce n’est pas sans raison qu’en plus de 200 ans d’histoire on est passé du statut confirmé de « Perle des Antilles » à celui affublé de « Laboratoire de la pauvreté mondiale ».  Outre cette dernière appellation, tout une kyrielle d’épithètes indignes ont été attribuées à tort ou à raison à Haïti : république bananière, pays de pauvres, le plus pauvre de l’hémisphère, entité chaotique et ingouvernable, etc.  Comme une étoile brisée au cours des siècles, Haïti a perdu sa brillance pour se retrouver comme une masse sombre et invisible au beau milieu d’une constellation d’autres astres qui continuent pourtant de briller de mille éclats. 

Des éléments exogènes ont certes contribué à l’enlisement de la Perle. Mais à force de paresse, de démotivation et d’occasions manquées, les Haïtiens portent sur leurs épaules le retard qu’accuse le pays dans les domaines se rapportant à son développement, à la croissance économique, au bien-être du peuple et à la démocratie. Parmi les occasions manquées, il convient de citer l’année 1986 qui, avec le départ des Duvalier, devrait marquer la fin d’une dictature et l’avènement de la démocratie et du progrès. Trente ans plus tard, la démocratie et le progrès ne sont que des valeurs utopiques pour les Haïtiens. Quelle leçon en avons-nous tirée ?

Avec le programme Petro Caribe que la République bolivarienne a mis en place au bénéfice des pays de la région, Haïti a encore eu une belle opportunité non seulement de se ravitailler en carburant à un coût modéré, mais aussi l’occasion tant rêvée de se doter d’infrastructures modernes de développement. Alors que tous les pays bénéficiaires de ce programme louent les avantages qu’ils en ont tirés, Haïti et ses dirigeants peinent à retracer le montant d’environ 4 milliards de dollars que le pays a accumulé en termes de prêt au sein de Petro Caribe pendant plus de 12 ans. 

Ce programme qui aurait pu être un catalyseur de développement pour le pays se transforme aujourd’hui en un boulet que les générations futures auront à traîner au cours de très nombreuses années. Ceci, à cause de la mauvaise gouvernance des dirigeants haïtiens qui se sont succédé au timon des affaires. Quelle leçon en avons-nous tirée ?

En dépit des dégâts matériels considérables et des pertes innombrables en vies humaines qu’il a occasionnées, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 aurait pu être l’élément déclencheur du décollage d’Haïti. Avec les projecteurs du monde entier braqués sur le pays et la volonté manifeste des bailleurs de fonds internationaux et de tous les États du monde sensibilisés sur notre malheur, Haïti avait reçu des promesses de don de plusieurs milliards de dollars après le séisme.

 Cependant, selon des propos tenus par le Premier ministre Jean Max Bellerive qui était également co-président de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) environ un an après le séisme, sur les 2 milliards de dollars promis par les pays donateurs pour la reconstruction d’Haïti, seulement 1,28 milliard, soit près de 64% avaient été déboursés au 31 décembre 2010.

Évaluer de façon exhaustive le montant des milliards débloqués pour le compte de la relance économique et de la reconstruction d’Haïti aux lendemains du séisme demeure un exercice difficile.  Cependant, il demeure une vérité incontestable que cette catastrophe a servi davantage l’intérêt des partenaires nationaux et internationaux qui se sont enrichis alors que les blessures encore béantes  de ce 12 janvier 2010 continuent d’amplifier la misère d’un peuple agonisant. Quelle leçon en avons-nous tirée ?

A côté des occasions manquées et des catastrophes naturelles, les crises politiques incessantes ont sapé de façon récurrente les bases de l’économie haïtienne. La dernière vague de manifestations baptisée « Peyi lòk » destinée à pousser à la démission l’actuel président de la République, a eu des effets néfastes sur la croissance en 2019. De nombreuses entreprises touchées par cette crise ont dû fermer leurs portes ou renvoyer une partie de leur personnel. 

Toutes les activités économiques du pays ont souffert de cet enlisement de la situation politique. En témoignent les différents rapports des institutions internationales sur les performances décevantes d’Haïti dans différents domaines. En effet, le FMI dans un rapport du mois de novembre sur Haïti avait prévu une croissance négative de l’économie de -1,2%. Soit le pire niveau qu’Haïti ait atteint depuis une décennie. Fort de cela, le FMI parle même de récession sévère de l’économie haïtienne.

De son côté, le Forum économique mondial, qui classe les pays sur la base de leur compétitivité, a classé Haïti parmi les économies les moins compétitives du globe en 2019. Selon «Global Competitiveness Report 2019» publié par le Forum économique mondial (WEF), le pays a régressé de 0,1 point, passant à 36.3 sur 100. Sur les 141 pays étudiés cette année, Haïti occupe la 138e place dans le classement, devançant seulement la République démocratique du Congo (139e), le Yémen (140e) et le Tchad (141e).

Le Rapport sur le développement humain 2019 n’a pas fait honneur à Haïti qui a reculé d’une place par rapport à l’année 2018 pour se retrouver au 169e rang mondial sur 189 pays. Ce faisant, Haïti se classe bon dernier de l’Amérique en matière d’indice du développement humain (IDH). Avec un IDH de 0,503 sur 1 (plus cette valeur est proche de 1, plus le niveau de développement du pays est élevé), Haïti maintient son statut de seul pays de la région Amérique latine et des Caraïbes à faire partie de la catégorie  des pays à «faible développement humain » et arrive très loin de l’IDH moyen de la région qui est de 0,759.

Dans le classement Compétitivité et tourisme de l’édition 2019 qui couvre 140 pays, Haïti pointe à la 133ème place mondiale, soit le pays le moins bien classé en Amérique. Cette position peu élogieuse d’Haïti est due à son niveau de sous-développement et à son infrastructure globale médiocre, selon les remarques du Forum économique mondial.

Haïti a également connu de graves problèmes en matière de nutrition en 2019. En effet, dans le classement de l’Indice de la faim 2019, Haïti s’est classée 111e sur 117 pays. Selon l’Indice mondial de la faim, un outil statistique qui mesure l’état de la faim dans le monde, Haïti souffre d'un niveau alarmant de faim, comme en témoigne son score de 34,7. Selon le rapport, le score d'Haïti en 2019 se situe au sommet de la catégorie « grave» [20 - 34,9]. Sans surprise, c'est la pire performance de tous les continents dans cet indice. Dans la région de l’Amérique, le pays qui est également pire qu'Haïti est le Guatemala, classé 72e sur 117 pays qualifiés, qui souffre d'un «niveau de faim grave» avec un score de 20,6.

Comme l’attestent les différentes données mentionnées plus haut, Haïti s’empêtre dans la pauvreté d’année en année.  Qui va dire ‘’Halte’’ à cette descente aux enfers ? Les jours, les mois, les années  passent et les signes annonciateurs d’une amélioration de notre situation voire même d’une prise de conscience collective ne sont guère visibles. 

En 2015, Haïti faisait partie des pays qui ont échoué à atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) signés en l’an 2000 par tous les dirigeants du monde. En 2015, une nouvelle occasion est offerte aux pays retardataires de rattraper le train du développement durable à travers le lancement en 2016 d’un nouveau programme dénommé Objectifs de développement durable (ODD). Au nombre de 17, ces objectifs doivent être atteints d’ici 2030 selon le nouvel agenda des Nations-Unies.

Au rythme où va le pays, les chances de réaliser les ODD sont quasi-nulles. On peut toujours prétexter les catastrophes naturelles pour justifier l’échec des OMD, mais saura-t-on trouver un justificatif à la non-réussite des ODD ?

Alors, tout ce que je nous souhaite pour cette dernière décennie qui nous sépare de 2030, c’est un miracle. Ce miracle de l’unité qui nous a permis de réaliser Vertières peut aussi nous inspirer sur la façon de construire une Haïti neuve sur les décombres d’un système vieux de plus deux siècles, un système générateur de préjugés, d’inégalités et de pauvreté.
Ce miracle est encore possible. Il suffit de nous réveiller et d’y croire.