Tout peuple est habité par des rêves, tout comme il vit d’histoire et de mythes, lesquels sont capables de  galvaniser son énergie pour mener de grandes batailles et réaliser des exploits qui transforment la société et  façonnent la vie de chacun. Mais, pour mener le bon combat, il ne suffit pas de connaître les besoins à satisfaire,  mais aussi et surtout les vrais obstacles et de faire le bon choix au bon moment, comme par exemple : « émonder  l’arbre ou le déraciner ».  

  Dans tout combat, il importe aussi de différencier les problèmes des préoccupations. Celles-ci sont relatives à la  tactique, c’est-à-dire se rapportent aux soucis du quotidien, à des besoins urgents sur lesquels il faut agir pour  pouvoir compter sur le soutien reconnaissant du peuple comme appui face aux problèmes qui sont plus profonds,  de nature structurelle et stratégique, et qui requièrent plus de temps et de moyens pour les résoudre. 

 

C’est en général le grand défi des politiciens en Haïti qui ne gèrent que le court terme de leur mandat et, par  conséquent, préfèrent céder au désir de se servir plutôt que de se soumettre à ce grand exercice et de poser des actes  fondamentaux efficaces. Or, le cercle vicieux qui est la raison même pour laquelle ils n’investissent pas tant dans  l’amélioration des conditions de vie de la masse, c’est que sa précarité et son ignorance sont un moyen pour mieux  la soumettre à leurs désirs ou la manipuler, la contrôler et pratiquer la corruption et la division.  

Haïti ne peut se libérer que par et dans la spiritualité. Mais, de quelle spiritualité s’agit-il ? C’est d’abord l’esprit et  non la matière, encore moins la religion et le dogme. C’est pourquoi elle ne se conçoit pas dans les péristyles, les  synagogues, les églises ou les temples. C’est ensuite la moralisation des mœurs. La spiritualité renvoie donc à la  capacité de capter l’énergie positive et supérieure de son milieu en dehors des murs qui restreignent la liberté de  penser et d’agir, pour répandre ses ondes et sa lumière à tous, conformément à la trilogie : croire, vouloir et  pouvoir. Par ses montagnes dominantes, Haïti est tout naturellement la cité des grandes vibrations. C’est la  transcendance.  

La spiritualité haïtienne est née en 1803, avec l’alignement des différentes couches des dominés sous le leadership  de Dessalines. Elle s’est transcendée à Vertière, le 18 novembre 1803, quand les opprimés se sont mis ensemble  debout pour la première fois, assumant leur volonté de créer la première nation de noirs libres des Amériques.  Les générations suivantes ont laissé péricliter l’arbre de la liberté, planté par Dessalines, et se sont écartées de  l’unité nationale qui « fut l’idée fixe et persévérante de toute sa vie », qu’il a considérée comme « le secret d’être  invincibles1». Cette grande spiritualité inclusive et libératrice s’est donc évaporée dans la nature. Aujourd’hui, non  seulement tous les indicateurs socio-économiques et environnementaux sont au rouge, mais aussi nous perdons  presque tous nos espaces de liberté et de souveraineté, notamment le contrôle de notre tête, de notre ventre, de  notre poche, de notre politique, de notre territoire et de nos ressources, voire notre identité et dignité au point  de ne pas reconnaître qui nous sommes vraiment.  

 

Hormis Dessalines et Estimé, aucun autre dirigeant n’est venu avec un grand projet axé sur un objectif majeur qui  élève le pays. Le matérialisme aveugle de nos dirigeants les empêche de capter les vibrations supérieures, de mener  de grands combats et de construire de grandes œuvres qui libèrent notre population. Le pays s’est atrophié dans  le quotidien cupide d’une élite rétrograde qui préfère vivre de prédation et en valet, plutôt que de s’intéresser aux  enjeux géopolitiques dominés par la maîtrise des espaces communs : mer, air, spatial et numérique2.  

Or, la non maîtrise de l’espace maritime, par exemple, est une question posée très tôt dans le cours de l’histoire  haïtienne, quand Dessalines a dit : « Infortunés Martiniquais ! que ne puis-je voler à votre secours et briser vos fers ! Hélas  ! un obstacle majeur invincible nous sépare… ». Ce besoin de dépassement pour concevoir et mettre en chantier de  grandes œuvres, qui permettront de reconquérir nos espaces de liberté et de souveraineté perdus, est une  urgence qui doit certes s’appuyer sur un élément catalytique pour sortir le pays de sa longue léthargie.  

C’est la voie que décide de prendre la Sosyete Lakou Dessalines, à travers le concept « Dessalines Le Grand »,  qui fera l’objet de notre prochaine publication. 

 

A propos de

Abner Septembre

Sociologue (Diplôme de maîtrise de l'Université d'Ottawa); Diplôme de Licence en Études Africaines, Afro-Américaines et Caribéennes (Université d'Haïti) ; autres études en Sciences du Développement, en archéologie préhistorique, en tourisme et en design de projet communautair…

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