ette ville qui m’a vue naître est la troisième de la République. J’en garde de précieux souvenirs. J’ai grandi à la rue Chateaudin, dont l’un des secteurs était communément appelé « Mache dimanch ». Pourquoi cette appellation ? Comme son nom l’indique, tous les dimanches, cette portion de rue était réservée à un vaste marché où les gens venaient acheter ou vendre leurs produits.
Cette ville qui m’a vue naître est la troisième de la République. J’en garde de précieux souvenirs. J’ai grandi à la rue Chateaudin, dont l’un des secteurs était communément appelé « Mache dimanch ». Pourquoi cette appellation ? Comme son nom l’indique, tous les dimanches, cette portion de rue était réservée à un vaste marché où les gens venaient acheter ou vendre leurs produits. Très tôt le matin, les hangars étaient disposés, bien remplis, et les vendeurs assiégeaient la place. Les activités duraient la quasi-totalité de la journée et prenaient fin dans l’après-midi aux environs de cinq heures. Les autres jours de la semaine, le quartier était libre d’accès. On y allait et venait sans encombre. D’où l’appellation « Mache dimanch »
J’ai grandi, disais-je, à la rue Chateaudin. Chaque samedi matin, je prenais place sur la galerie des Labossière (famille Emmanuel Labossière), nos plus proches voisins, pour regarder défiler les marchandes qui venaient de contrées proches, avec sur la tête des terrines en fer blanc, très nickel, contenant des produits laitiers. Elles étaient proprement vêtues et la file qu’elles formaient faisait plaisir à voir. Leurs produits étaient purement locaux : lèt kaye, fwomaj, AK-100 nan fèy, siwo. Je raffolais de lèt kaye. Sucré à point, glacé à volonté, c’était un pur délice. J’y repense et l’eau me vient à la bouche… Un peu plus tard, ce fut au tour des marchandes de Kouch-Kouch de déambuler dans la rue. Ça aussi, j’adorais. Avec du lait. Ensuite, à mesure que l’heure avançait, d’autres groupes de marchandes passaient, à la file indienne, en direction du Marché en Fer où elles allaient pour étaler leurs produits.
Je me souviens avoir joué, à maintes reprises, le rôle de guide tant pour des visiteurs que pour des natifs qui ne connaissaient pas trop bien le nom des rues. Je les connaissais toutes de nom; parallèles ou perpendiculaires à d’autres artères, elles n’avaient aucun secret pour moi. Mon lieu de prédilection était la place Simon Bolivar, à proximité du quai. À l’époque, peu de gens de ma génération savaient que l’architecture de celle-ci était en papillon. J’y allais non seulement pour étudier, mais encore et surtout pour déconnecter et me plonger dans cet univers qui était mien, l’écriture. Face à la mer, l’inspiration venait, fertile et prolifique. Certaines fois, je traversais l’embouchure à gué pour me rendre à la presqu’île des Icaques. Et là, me laissant encore inspirée par le charme fou de la nature, je trouvais le temps, entre deux matières, de rédiger un texte, un acrostiche, etc.
J’adorais le dimanche. Après la messe, le rendez-vous était à la salle Saint- Louis pour des pièces de théâtre, des sketches et des chansons. Pourvu que Gudule Régis fût au programme, j’y allais à cœur joie. Avec sa belle voix, elle nous faisait vivre de bons moments. Elle m’avait appris à apprécier et à aimer Enrico Macias, à travers son interprétation de la chanson « L’eau et la terre ». Idem pour Carole Demesmin, avec ce titre : « On s’est aimé ».
Sinon le théâtre, les kermesses baptisées « Tandem des Cracks » étaient inscrites aux rendez-vous dominicaux à la Cayenne Night-Club, sise à la rue Nicolas Geffrard. Toute la ville se réunissait pour danser, s’amuser et prendre du bon temps. Pour les amants du ballon rond, au Land des Gabions, deux équipes devaient se départager pour le plus grand plaisir de leurs fans respectifs. L’euphorie totale dans les tribunes, derrière les cages des gardiens, enfin partout aux quatre coins du terrain.
Le soir tombait, c’était un autre rendez-vous pour certains, les cinéphiles précisément. Une bonne projection au Jet Ciné ou au Métropole pour voir un film, indépendamment du titre à l’affiche. La journée de dimanche prenait fin après 10 heures du soir, pour certains du moins. Le temps pour les hommes de ramener leur dulcinée chez leurs parents et rentrer chez eux. Une soirée riche en émotions pour ceux dont les rêves avaient été réalisés; malheureuse pour d’autres qui avaient été sûrement désillusionnés. Il était certain cependant, de part et d’autre, qu’une autre semaine s’en viendrait et, avec elle, une tonne d’espoir pour continuer sur une lancée ou alors entreprendre d’autres projets qui se verraient couronnés de succès.
Ma ville natale, toujours fidèle à sa renommée, « ville hospitalière », héberge à présent des gens qui, malheureusement, ne la connaissent pas, au grand dam de ses dignes fils. Ces derniers ont dû, cas de force majeure, la laisser pour d’autres horizons.
Yon bon pate kay Madan Perrin, yon bon foskawo byen glase La Cayenne, yon bon pate lam veritab nan Boulangerie Moderne, ces nouveaux venus n’ont probablement pas connu tous ces délices propres à la ville. Mabouya Band et Mystic Band dans leur splendeur d’il y a plus de 30 ans, Bande Légende…, autant de plaisirs sains qu’ils n’auront pas connus, qui nous auront marqués au fer rouge, nous autres dignes fils de la ville des Cayes, et dont les doux souvenirs nous plongent dans une forme de nostalgie puisque Cayens nous sommes, Cayens nous resterons.
Ces souvenirs ne nous quitteront jamais !