Autour du couffin déjà
les ténèbres
chaque réveil est un atterrissement
et revient la douleur
de la diffluence
fine précise
Autour du couffin déjà
les ténèbres
chaque réveil est un atterrissement
et revient la douleur
de la diffluence
fine précise
des eaux à jamais partagées
à cheminer de l’autre côté du monde
à escalader les parois d’une auge glaciaire
à patauger dans la bourbe
pour réapprendre chaque jour
que la vie n’est pas un jardin de pluie
que notre Terre n’a rien d’une fleur
Femme de Terres brûlées
vois ta Terre
sa Terre
ma Terre
notre Terre
notre Terre
comme on dit notre Mère
notre Terre
de l’autre côté de la vie
Ta Terre
sa Terre
concept vague
Et nous disons femme
et nous pensons à l’animal forcé dans ses taillis
aux oubliettes du monde
à l’alevin estropié dans la nasse
celui qui dans la masse
ne cherche plus son visage
Ton visage
inconnu, comme ta Terre
son visage
notre visage
invisible
incertain
Nos Terres
où chaque pouvoir invente son propre cirque
et sans égards
et sans remords
éperonne
accule
condamne
repousse la nasse
jusqu’aux confins de tout dommage collatéral
aux limites des ossuaires
Il y eut le passé qui n’a de passé que les contours
puis l’Algérie, et puis My Lai
puis la Bosnie-HerzégovineVisegrad Miljevina
puis il y eut
puis il y eut
Nous prenant pour des agnelles
il arrive qu’on nous tranche la gorge sans hésitations
En Algérie, nous étions onze mille
peut-être plus
Puis Naplouse et Gaza
et il y eut le Rwanda le Congo-les Grands Lacs
chaque goutte d’eau semble échafauder une parabole
pour annoncer une horreur qui n’a pas de fin
et il y a
et il y a
cette chape de plomb sur les paupières du monde
et tout ce que dans le silence
et par le silence
nous ignorons
Depuis ces territoires interdits
depuis les siècles des siècles
de tous ces premiers peuples
aujourd’hui les derniers
du Nord au Sud de l’Est à l’Ouest
enfants perdus
sacrifiés sur les autels des conquistadors
dans toute cette folie qui perdure
nous perdons jusqu’à nos cris
l’âme elle-même n’a pas su en réchapper
Ne demeure-t-il qu’un souffle
nos souffles
vagues rescapées du plus loin des eaux dormantes
sur les sables mouvants qui engloutissent nos efforts
dans cette brûlure sans répit
dans ce mouvement perpétuel qui rappelle l’espérance
nos souffles flétris mais tenaces
nous crachons
nous écrivons
nous épelons
ce chant sans commencement ni fin
Dans l’attente d’une révélation
avec nos larmes en caravane
et cet encre couleur sang
notre espoir en accent muet
sur la face d’un monde qui obstinément nous ignore
nos larmes dissoutes dans l’air et dans le temps
évaporées comme de l’encens
Créatures sans nom sans territoire,
sans pays sans patrie sans langues
sans avenir, sans visage sans descendance
sans lendemain
la vie n’est-elle qu’imagerie démente de l’ossuaire qui hante nos pas
Le monde c’est bien vrai
n’est pas sur notre chemin
la route beaucoup trop longue
les récoltes d’avanies trop abondantes
Créatures sans lendemain sans visage
sans avenir sans langues sans patrie
sans descendance sans pays sans territoire
sans nom
n’existe-t-il aucun lieu nul moyen
d’abandonner cette vieille mue
Débusquer enfin
cette espérance qui nourrira notre marche
Comment faire mentir ce que l’on présente comme une prophétie
que ce monde n’est pas sur notre chemin
que la route est trop ardue
que la vieille mue
qui à chaque réveil
reprend forme reprend vie
que la vieille mue
est là pour demeurer
que nous avons reçu le silence pour héritage
consolation et testament
Ma vie ta vie sa vie
cette vie où nous ne pouvons jamais être la même femme
car nous sommmes trop de femmes
nous sommes tant de femmes
avec notre vie depuis le premier jour en attente
dans ce désir de prendre part au monde
avec notre regard
plus embrouillé qu’un chenal
par lequel s’en vont
toutes les alluvions
Nous voilà aussi depuis le premier jour
les paumes tournées vers la terre
rien à semer rien à récolter que cette herbe maudite
qui a l’amertume de toutes les avanies
sans aucun espace où la douleur peut s’endormir
Décrire ce vide
cette absence au monde
réduire en un tas de cendres
le livre maudit
dont nous sommes les pages noircies
raturées du monde
pages arrachées
déchirées piétinées
avec la douleur et ses tenailles
chaque jour plus précises intenses obsédantes
et l’urgence de plus en plus muette
dans ce temps qui se fait trop vieux
ce temps
au-delà de l’usure