Qui est le général Nicolas Geffrard ?
Né sur l'habitation Périgny (Plaine-du-Fond des Cayes - Torbeck), le 9 avril 1763, il figure dans la galerie des Pères Fondateurs de la patrie haïtienne et est signataire de son acte d'Indépendance à titre de général  de division. Dès octobre 1802, il rejoint Pétion dans la prise d’armes du Haut-du-Cap. Sur ordre de Dessalines, il pénètre dans le Sud où il impose l’autorité du commandant suprême. Secondé par Cangé, Gérin, Férou, Jean-Louis François, Moreau Herne, Juste Vancol, il libère le Sud de la domination française. Concernant le sort des Français, Geffrard opta pour la modération et sauva beaucoup de vies. Son œuvre, la forteresse des Platons, surplombe la Plaine-du-Fond des Cayes.

Sa mère, Julie Candro (Madiou dit Coudro), est dite sénégalaise, devint libre pour avoir accompagné en France les enfants de son maître. Son père, un homme de couleur libre, s'appelait également Nicolas Geffrard. Nicolas Geffrard avait appris à lire et écrire. Il se livrait à la chasse et à l'équitation, jusqu'à 1789. Doux et aimable dans ses relations, il est d'une humeur fougueuse. Suivent quelques dates importantes du parcours de Nicolas Geffrard :

 

1790        Sergent dans la compagnie Massé
1792        Lieutenant dans une compagnie de la Garde nationale
1793     Dans les rangs républicains, sous les ordres de Rigaud, au Camp-Dérivaux,
Capitaine des chasseurs du 4ème bataillon de la Légion de l'Egalité du Sud,          participe à plusieurs combats contre les royalistes de la Grande-Anse. Le général  français Desfournaux, le nomme chef de bataillon et commandant du Camp-Perrin.
1799         Colonel, commandant du 4ème Régiment du Sud par Rigaud, 
Il combat dans la guerre civile contre Toussaint  Louverture
Après la défaite de Rigaud, échappe par un trait de hardiesse des mains de Dessalines en traversant les mornes de Plymouth. Il atteint Corail, puis Jérémie, passe à Santiago de Cuba.
1802     Revint avec l'expédition de Leclerc. Il prit du service dans les rangs français comme simple soldat pendant la guerre de trois mois.
                  Il se rallie à Pétion après la prise du Haut du Cap (Septembre 1802) 
1803     Après la prise de l'Anse à Veau en 1803, quand Dessalines se rend dans le Sud au Camp-Gérard, Geffrard est nommé général de division (juillet 1803). Peu après il devient Commandant de la 1ère division militaire du Sud.
1804         Signataire de l'Acte d'Indépendance.
1805         Commandant la première division militaire du Sud.
1806    Il mourut subitement au moment où il mettait au point avec Pétion la réaction qui devait mettre fin au pouvoir de l'Empereur. 

Décédé chez lui aux Cayes le 13 mai 1806. Son corps sera transporté à la forteresse des Platons où il est enterré. Ses entrailles seront déposées au centre de la place des armes des Cayes à une légère distance à l'Est de l'arbre de la liberté.

La contribution du Sud dans le processus de création d’Haïti
Comme l'historien Michel Hector eut à le faire le 5 juillet 2006, une décennie plus tard, il importe de marquer d'une pierre la rencontre de Dessalines et de Geffrard au Camp Gérard le 5 juillet 1803. Ils ne sont pas légions les historiens professionnels à reconnaitre cette contribution de Geffrard et du Sud dans la guerre de l’indépendance. A propos du processus unitaire après la déportation de Toussaint Louverture le 7 juin 1802, Michel Hector est sans équivoque en écrivant ceci : «Il se consolide au Congrès de l'Arcahaie en mai 1803 et culmine avec la rencontre Dessalines - Geffrard au Camp-Gérard le 5 juillet où tous les combattants du Sud reconnaissent l'autorité de commandement du général en chef de l'armée libératrice.»(1) En clair, il s’agit d’un changement radical de vues qui facilite une argumentation approfondie contre les versions mutilées de l’histoire d’Haïti. C’est un tournant décisif  qui reconnait la contribution décisive du Sud, de l’Ouest comme du Nord, des anciens et des nouveaux libres, des noirs et des mulâtres, dans la guerre de l’indépendance pour l’hégémonie d’une société créole qui, malheureusement, consacra la marginalisation et l’exclusion des bossales. 

En ce 213e anniversaire de cette rencontre historique entre le général en chef et les leaders militaires de la péninsule du Sud, ce serait tout de même une ignominie de ne pas mentionner également le nom des principaux chefs de la rébellion des Platons, presque tous partis des plantations avoisinantes du Camp-Gérard dans la Plaine-du-Fond des Cayes dès la fin de Janvier 1791.  On pourrait même remonter à Plymouth, originaire de la Jamaïque comme Boukman, qui, dès 1730, organisait les premiers campements de marrons dans les Nippes et la Grande-Anse d’où la chaine de montagnes qui porte son nom. Pour la circonstance, nous rappelons à la postérité les noms d’Armand Bérault, Martial Pemerle, Jacques Formon, Jean Panier, Félix, Barthélémy, Bertrand, Janvier Thomas, Nicolas Régnier, Jean-Baptiste Perrier (Goman) et Gilles (Ti Malice) Bénech. Ces trois derniers, dès novembre 1802,  jouèrent un rôle significatif dans la campagne de 1803 dans le Sud. Dans la période haïtienne, on retrouve encore une fois les leaders paysans de la Plaine-du-Fond des Cayes et du Sud profond à la tête de la contestation. Ce sont Germain Picot en 1805 qui s’empare brièvement de la Citadelle des Platons, Goman en 1807 qui restaure le Royaume Kongo de la rébellion des Platons de 1791 et Jean-Jacques Acaau, le principal leader du mécontentement populaire pendant la grande crise qui suivit de 1843 à 1848. Comme l’a si bien remarqué Michel Hector en reconnaissance de leur tenace combat pour la liberté et le droit à la propriété, « cette contestation maintenue pendant si longtemps dans tout ce département a contribué de manière décisive au façonnement du paysage agraire du pays.» (2) 

Sans détour ni bifurcation, il s’agit non seulement de lever le voile sur la culmination de la marche obligée des créoles que représente cette Grande Convocation mais également de reconnaitre le Camp-Gérard comme le sanctuaire de la mobilisation paysanne contre le contrat social louverturien reconduit par Dessalines, Christophe, Pétion et Boyer. A propos de la chute du régime de vingt-cinq ans de Jean-Pierre Boyer, soulignons que la véritable opposition débuta avec le Manifeste de Praslin le 1er septembre 1842. Ce fameux document qui devint l’évangile politique de la révolution de 1843 porte le nom de la plantation, dans la même région du Camp-Gérard et des Platons, où elle fut rédigée. Il est important d’ajouter que cette région est restée, pendant huit décennies au cours du 19e siècle, un foyer actif de l’agitation permanente et de la rébellion paysanne pour un meilleur contrat social. Une tradition d’autodétermination marquée par deux scissions en 1810 et en 1868. 

Une tradition de mobilisation

A l’arrivée de Colomb, le déficit aurifère du Xaragua  justifia la colonisation tardive de la péninsule méridionale par le conquérant espagnol. Au cours la période française, la proximité de la Jamaïque en tant que colonie anglaise, constitua la toile de fond de cette préférence marquée envers les deux autres régions de Saint-Domingue, en l’occurrence le Nord et l’Ouest. Tout au long de la guerre quasi-permanente entre la France et l’Angleterre, la Jamaïque servait de base et l’Ile-à-Vache de lieu d’embuscades pour intercepter les navires de la marine marchande française. A ne pas sous-estimer la vivacité de la rivalité des catégories sociales dominantes de l’époque coloniale vers la fin du XVIII siècle. La défaite du Sud mulâtre dans l'affrontement avec le Nord noir scella le rôle respectif des classes dominantes créoles et  des régions, les unes par rapport aux autres,  jusqu’à date. (3)
Cependant, au regard de l’histoire, foyer d’idées, de passions politiques et d’intolérance à l’absolutisme, le Sud fut le point de départ de la plupart des troubles révolutionnaires. Vers le début de Juillet 1802, les premiers signes apparents de conspiration armée se manifestèrent à Corail, près de Jérémie où cinq mois plus tôt le colonel Jean-Baptiste Rousselot dit Dommage avait tenté vainement de résister à l’arrivée de l’Expédition Leclerc. Pendant que les officiers créoles noirs et mulâtres collaboraient avec Leclerc et livraient les bandes de Congos  de Petit-Noel-Prieur et de Caca-Poule aux Français, les forces révolutionnaires commencèrent à organiser effectivement la résistance dans le Sud. (4) L’insurrection générale sur toutes les plantations de la péninsule du Sud et l’élimination de tous les blancs étaient imminentes. Les Français découvrirent un vaste réseau de conspiration entre les ouvriers de ville et ceux des plantations. Toussaint Jean-Baptiste, boucher de profession, était à la tête du mouvement. Ses principaux complices étaient sa femme, Lazare, Malbrouk et Claude Chatain. Ce dernier était un déserteur de Jérémie. Aux interrogatoires musclés qui s’ensuivirent, ils répondirent qu’ils étaient à la solde d’André Rigaud. Malheureusement pour eux, Rigaud avait été déporté le 28 mars 1802. Huit autres présumés complices furent également arrêtés. Transportés aux Cayes, Toussaint Jean-Baptiste, sa femme, Malbrouk et Lazarre furent exécutés. En connexion avec ce projet de soulèvement, six autres travailleurs furent arrêtés. Parmi les détenus, Cupidon et Pierrot de la plantation Etienne. Ce dernier était considéré comme une menace pour la société tant les punitions le rendaient plus téméraire. (5)

Le 6 juillet 1802, les conspirateurs de Corail au nombre de dix-neuf arrivèrent aux Cayes. Le 10, les Français découvrirent que l’insurrection s’était propagée dans toute la ville. La propagande et l’agitation avaient gagné les troupes coloniales noires au soulèvement et à la rébellion contre le gouvernement. Moins d’une semaine avant l’arrivée des prisonniers de Corail, deux noirs avaient déjà attaqué et bastonné le Commandant de la Milice des Cayes. Dès que la révolte éclaterait, leur but était, de libérer leurs acolytes de Jérémie, les autres prisonniers et d’incendier la ville. (6)

Pendant ce temps, les noirs de la ville des Cayes s’étaient réunis et avaient élaboré un plan d’action qui anticipait une fusion avec la rébellion des troupes noires de la ville. Dans la nuit du 9 juillet, ils étaient à peu près une centaine à se réunir à la maison de Cofi, un des conspirateurs. Au milieu des discussions orageuses, ils ne réalisèrent pas qu’ils étaient encerclés par le Commandant Berger. Ils se dispersèrent rapidement et lancèrent un appel aux armes. Immédiatement, on battit la générale dans toute la ville. La garnison coloniale noire tenta de se soulever mais fut neutralisée à temps par un bataillon européen. (7)

Ces faits d’armes au lieu de faire l’objet de discussions locales, régionales et nationales sont relégués au profit de toutes sortes de divertissement. Selon Noam Chomsky (8), la distraction des masses relève d’une stratégie subtile pour maintenir un état permanent de déréliction. Afin de paralyser les esprits, l’universalisme est systématiquement combattu au profit du particularisme aveugle qui martèle sans répit une interprétation erronée de notre histoire dans la tête des jeunes Haïtiens. Les dépositaires de la zombification des masses continuent allégrement la perversion de notre singularité pour ankyloser l’esprit de la jeunesse. Afin de dénaturer et liquider notre richesse patrimoniale, le statu quo dispose d’un ensemble de stratégies et d’une pléthore de marginaux, de malandrins et de saltimbanques pour désorienter les jeunes et les empêcher de cerner leur réalité. On s’explique ainsi, avec cette stratégie du divertissement, pourquoi les commentaires et discussions vont bon train sur le football et les différents championnats. A défaut d’une autre option, l’imagination des jeunes est figée sur les matchs des championnats d’Europe. Leur univers se limite à l’écran de télévision. A ce sujet, il importe de signaler que cette procuration donnée aux meilleures sélections nationales du monde par la société haïtienne  renvoie tout aussi bien à notre crise identitaire. Une véritable imposture. Or, pour construire la conscience nationale, la compréhension des fondamentaux historiques est indispensable. Alors comment élever le niveau de conscience d’une élite intellectuelle haïtienne au cerveau mal formaté dont le ramage ne se rapporte pas au plumage, d'où ses curieux avatars de cerveau lent, de chien couchant et aussi de chien errant dans les avenues du pouvoir comme en diaspora? En écho à l’intuition qui fit germer les principes féconds de l’autodétermination des peuples, les Haïtiens se doivent trouver une réponse à cette question fondamentale. Dans l’intervalle, il importe de rappeler que « la vitalité de la mémoire est l’une des conditions du progrès humain » (9).

La première conférence nationale

Au-delà des faits saillants de notre glorieuse épopée, notre imaginaire collectif n’a  retenu que le rôle primordial joué par le Nord et la région transversale de Saint Domingue, d’autant plus que l’Indépendance fut proclamée aux Gonaïves le 1er Janvier 1804. Pourtant, dès le début de 1791 commençait à se faire nettement sentir dans le Sud profond  l'action émancipatrice du déterminisme historique. Pour ainsi dire, l’insurrection des « Africains esclavagisés » de la Plaine des Cayes et de Port-Salut du 24 Janvier 1791 qui seront représentés à la cérémonie du Bois-Caïman par Barthélémy sept mois plus tard, s'installa durablement dans le Massif de la Hotte. L'éclatement de la poussée contestataire des Affranchis de la Plaine-du-Fond des Cayes s'étendit au reste de la péninsule, jusqu’au Port-Républicain(10) qu’ils incendièrent en novembre 1791.

Nous voulons rendre ici un vibrant hommage aux leaders militaires de la péninsule du Sud et à leur participation à toutes les phases de la guerre de l’indépendance. Nous ne pourrons avancer si nous ne nous inspirons pas de la dynamique unitaire que ces héros enterrés avec des costumes de préjugés, sans fleurs ni couronnes, ont insufflé à notre guerre de libération nationale. Malheureusement, l’histoire a toujours brouillé les cartes et a occulté l’entrée triomphale du général Nicolas Geffrard le 17 octobre 1803 dans la ville des Cayes. Les réflexes acquis et les mauvaises habitudes ont la vie dure. En ce sens, à travers les lunettes de préjugés des révisionnistes,  la grande convocation du Camp-Gérard du 5 au 6 juillet 1803 continue d’être sous le joug permanent de leur « fatwa ». Pourtant, elle est jusqu’à date l’une des meilleures références à notre légende « L’Union fait la force. » 

Selon Thomas Madiou, le général en chef arriva dans la plaine des cayes vers la fin de juin 1803. L’armée du Sud, disciplinée et forte de dix mille hommes lui fit bon accueil. Mais, il se rendit vite à l’évidence que le temps n’avait pas eu raison de la méfiance du Sud à son endroit après le douloureux épisode de la guerre entre Toussaint et Rigaud.  Motivé par les intérêts supérieurs, Dessalines réunit les troupes et se plaça au milieu d’elles. Les témoins de cette scène solennelle rapportèrent à Madiou le discours en créole de Dessalines que voici : « Mes frères, après la prise de la Petite-Rivière de l'Artibonite, sur les Français, je fus proclamé général en chef de l'armée indépendante par les populations de l'Artibonite. Les généraux du Nord et de l'Ouest, mus par l'amour de la liberté, oubliant les haines politiques qui les animaient les uns contre les autres, vinrent successivement reconnaître mon autorité. En acceptant le commandement en chef de mes frères, j’en ai senti l'importance et la haute responsabilité. Je suis soldat; j'ai toujours combattu pour la liberté; et si j'ai été pendant la guerre civile aveuglement dévoué à Toussaint Louverture, c'est que j'ai cru que sa cause était celle de la liberté. Cependant, après la chute du général Rigaud, n'ai-je pas maintes fois usé de mon influence pour sauver une foule de braves que le sort des armes avait trahis et qui eux aussi avaient vaillamment combattu pour la liberté lorsque tous nos efforts tendaient à écraser le parti colonial? Beaucoup de ceux qui m'écoutent me doivent la vie; je m'abstiens de les nommer. Mes frères, oublions le passé; oublions ces temps affreux, alors qu'égarés par les Blancs, nous étions armés les uns contre les autres. Aujourd'hui, nous combattons pour l'indépendance de notre pays, et notre drapeau rouge et bleu est le symbole de l'union du Noir et du Jaune. (11) Dessalines fut interrompu par toute l'Armée qui s'écria: «Guerre à mort aux Blancs ». (12) 

Apres avoir décrit cette scène dont le dépassement de soi était la toile de fond, Madiou révèle encore d’autres aspects laissant entrevoir la nature et l’importance géostratégique de  l’Entrevue du Camp-Gérard. Dès le mois de mai 1803, la guerre qui avait éclatée entre la France et l’Angleterre avait accru la détermination des insurgés.  Sur ces entrefaites, la frégate « L’Infatigable » sortant de Brest vint mouiller au Port-Républicain. Elle avait fait une traversée de trente-un jours. Elle apporta à Rochambeau l'ordre de Napoléon de transférer immédiatement le quartier-général au Cap. Cette nouvelle plongea dans la consternation les colons du Port-Républicain. Ils découvrirent clairement que le gouvernement français, reconnaissant la difficulté qu'on éprouverait désormais à communiquer avec Saint-Domingue, à cause de la guerre qui était inévitable avec l’Angleterre, voulait que le quartier-général  fût établi dans une ville de l'île plus à proximité des points d'atterrissage que le Port-Républicain. On s’explique ainsi la décision géostratégique de transférer le quartier général dans la ville du Cap. D'un autre côté le départ du capitaine-général  Rochambeau devait affaiblir les troupes de l'Ouest de plus de moitié, au moment où ce département était menacé par la plupart des forces des indépendants de l'Artibonite et de l'Arcahaie. Rochambeau s'embarqua pour le Cap vers la fin de juin, après avoir envoyé l'ordre au général Sarrasin de venir prendre le commandement du Port-Républicain, et après avoir expédié le général Fressinet à Jérémie. (13)

Dessalines fut dès lors certain du succès de l'insurrection, et il redoubla d'activité et d’ardeur pour précipiter le départ des troupes françaises. Beaucoup de citoyens noirs et mulâtres, qui, jusqu'alors avaient été fidèles aux blancs, parce qu'ils doutaient du triomphe des armes indépendants face  à la  puissance de la France, vinrent grossir l'Armée indépendante. En effet, les vaisseaux anglais étant les maîtres de la mer bloquèrent l’arrivée de renforts et munitions pour I ‘Armée française. Celle-ci placée entre les Anglais et les indépendants devait avant peu capituler. Cependant, il ne faut pas croire que les Anglais aient été dans cette guerre véritablement les auxiliaires des indépendants auxquels ils vendaient des munitions au poids de l'or. Jamais un seul de leurs officiers ne s'est retrouvé dans nos rangs, dirigeant nos opérations. Se méfiant de tous les Européens, il disait sans cesse que tous les blancs se ressemblaient. Cette guerre maritime, sans laquelle les indépendants eussent néanmoins triomphé, fut pour nous une heureuse circonstance qui hâta l'évacuation des troupes françaises. Des hauteurs du Cap, les Français découvraient sur la mer, les barges des indépendants abordant les frégates anglaises, et leur vendant, pour de la poudre et du plomb, des ananas, des oranges, des légumes, de la volaille, du coton et du café. (14)

Pendant ce temps, les indépendants des mornes de Jérémie combattaient les Français avec le plus grand acharnement. Ils attaquèrent avec impétuosité le Camp-lvonet qu'occupaient des troupes européennes, et s’en rendirent maîtres. Le colonel Berger qui commandait la place de Jérémie sortit contre eux, le 23 juin, à la tête de six cents hommes. Il se précipita sur l'ennemi à l’improviste, et pénétra dans le camp retranché. Il y eut un grand carnage. Berger fut renversé d'un coup de sabre à la tête. Les indépendants succombèrent et furent passés en grand nombre au fil de l’épée. Ce succès ne fut avantageux aux Français que parce qu'il retarda la chute de Jérémie mais n’ébranla pas la puissance des insurgés de la Grande-Anse. Peu de jours après l'arrivée de Rochambeau au Cap, une croisière anglaise de quatre vaisseaux et de plusieurs frégates, vint, le 4 juillet, s'établir devant cette ville. En même temps, les Anglais bloquaient le Port-Républicain et les Cayes. (15)

Revenons dans la Plaine-du-Fond des Cayes pour continuer notre plongée de mémoire dans l’ambiance qui prévalait au quartier général du Camp-Gérard. Il importe de s’arrêter un peu sur l’état d’esprit du général en chef qui, à partir de La Coupe, traversa la péninsule méridionale à travers les montagnes. Certain que Rochambeau est figé au Cap, c’est un Dessalines pragmatique et confiant qui arrive dans la Plaine-du-Fond des Cayes. Selon Madiou, aux propos de circonstances du général en chef, « l'armée répondit par des acclamations universelles. Dessalines reçut de tous les officiers supérieurs l'accolade patriotique. » (16) Il est important de signaler la surdétermination de  l’abnégation et du sens du sacrifice face à l’angoisse du rétablissement de l’esclavage. Les intérêts supérieurs plus que les motivations personnelles rendirent possible le parachèvement de l’organisation de l’Armée des forces indépendantistes. Geffrard fut nommé général de division, commandant en chef du département; Gérin, général de brigade, commandant de l'arrondissement de l'Anse-à-Veau; Jean-Louis François, général de brigade, commandant de l'arrondissement d'Aquin; Moreau Coco Herne, général de brigade, commandant de celui des Cayes; Laurent Férou, général de brigade, commandant de celui de Jérémie. 
Ainsi, par le jeu des circonstances historico-politiques, la réconciliation lors de la Grande Convocation du Camp-Gérard paracheva l’organisation de l’Armée indépendantiste et présenta, in extenso, la dynamique unitaire sur les fonts baptismaux. L'histoire doit retenir que cette entrevue historique entre le général en chef et les leaders militaires du Sud couronna  la culmination du processus unitaire. De cette rencontre est sortie, après un large consensus, l’unification des forces indépendantistes. Dès lors, l'unité de commandement attribué au général Dessalines lui permit d'avoir la marge de manœuvre suffisante pour asseoir son autorité, faire passer ses vues stratégiques et militaires. Selon Madiou, « comme il existait déjà aux Gonaïves une 14e demi-brigade, Dessalines donna aux cinq autres corps du Sud, qu'il venait de former, les numéros: 15e, 16e, 17e, 18e et 19e. La 13e fut confiée au colonel Bourdet, homme de couleur; la 15e au colonel Francisque, homme de couleur; la 16e, au colonel Leblanc, homme de couleur; la 17e, au colonel Vancol, homme de couleur; la 18e, au colonel Bazile, Noir; la 19e, au colonel Giles Bénech, Noir. La légion de cavalerie fut confiée au colonel Guillaume Lafleur, Noir. »
Avant de repartir pour la Plaine du Cul-de-Sac, Moreau Coco Herne et Férou avaient à conquérir les Cayes et Jérémie, les chefs-lieux des arrondissements récemment confiés. Dessalines forma ensuite, de toute l'armée du Sud, six demi-brigades d'infanterie et une légion de cavalerie. « Geffrard présenta à Dessalines Boisrond Tonnerre, son secrétaire, le lui recommanda comme un homme instruit, du patriotisme le plus ardent. L'attitude et le langage de Boisrond Tonnerre séduisirent Dessalines qui l'attacha à sa personne. » Le processus unitaire bouclé, le général en chef repartit pour l’Ouest convaincu qu’il ne s’agissait plus d’une simple rébellion que la France pouvait mater mais plutôt d’une révolution que rien ne pouvait arrêter. 

Conclusion

Ils sont divers les origines et fondements  de  la dynamique permanente de la rétrogradation de la Péninsule du Sud. Cependant,  ces multiples éléments ne doivent pas pour autant nous conduire à occulter  notre contribution au grand détriment de notre sentiment d’appartenance. Au nom de cette richesse patrimoniale qu’il nous faut absolument imposer à la relève  bon gré mal gré, il  nous faut commencer par  nous réconcilier avec notre passé. Afin de dégager  un nouvel horizon  à  l’espoir, la Péninsule du Sud a son mot à dire. 

Références :
(1) Michel Hector, « Commémoration de la rencontre du Camp-Gérard » publié dans Le Nouvelliste du 05 juillet 2006.
(2) Ibid.
(3) Alin Louis Hall, La Péninsule Républicaine, Collection Estafette, Imprimerie Brutus, 2014, p 415
(4) Alin Louis Hall, La Péninsule Républicaine, Collection Estafette, Imprimerie Brutus, 2014, p 292-293
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) Noam Chomsky, Les dix stratégies de manipulation des masses, Pressenza, 21 septembre 2010.
(9) Maréchal Ferdinand Foch
(10) Nom de Port-au-Prince pendant la période révolutionnaire française
(11) Thomas Madiou, Histoire d’Haiti, Tome III, Imprimerie de Jh Courtois, 1848, p 48
(12) Ibid.
(13) Thomas Madiou, Histoire d’Haïti, Tome III, Imprimerie de Jh Courtois, 1848
(14) Ibid.
(15)Ibid.
(16) Thomas Madiou, Histoire d’Haiti, Tome III, Imprimerie de Jh Courtois, 1848, p 48
(17) Ibid.
(18) Ibid.