J’ai eu une grande joie à recevoir l’invitation de C3 Éditions à participer le 14 mai dernier dans un FACEBOOK LIVE sur le thème suivant que j’ai préalablement choisi - Le livre : instrument de communication, de partage et une opportunité de progrès collectif.
La thématique m’a toujours interpellée. Pourquoi lire? D’où vient l’attachement pour le livre? Que faire pour que perdurent ces habitudes tendant peut-être à une sournoise disparition?
Le livre n’est pas un mystère auquel nous devons croire sans nécessairement le comprendre comme les sacrements de l’Église ou les autres mystères divins qui dépassent les capacités de notre intelligence. Il est un phénomène humain, une réalité qui est entrée dans notre histoire, qui y habite et qui doit y demeurer. Le livre a une histoire, une origine, un vécu… Il n’est pas tombé du ciel.
De par son origine latine liber ou du Grec biblos, le livre signifie au départ, rouleau, papyrus.
Si nous remontons dans la tradition judéo-chrétienne, au début de l’histoire du peuple juif, peuple très attaché à son origine, à ses racines et à ses pérégrinations d’autant plus qu’on l’a considéré comme le peuple élu, à qui Dieu a confié la mission d’apporter la bonne nouvelle du salut aux autres peuples, il faudra retenir que les faits marquants, les exploits, les victoires et les défaites de cette histoire se transmettaient de génération en génération dans les assemblées (une histoire orale ou les plus anciens s’adressaient aux plus jeunes pour leur faire le récit de ces évènements….).
D’ailleurs cette pratique était connue sous le nom de midrash (transmission orale des évènements marquants du passé). Ainsi ces anciens, pour illustrer, entériner, confirmer leur récit se référaient à ces rouleaux, ces codex dans lesquels était consigné l’ensemble des récits….
Il doit en être ainsi pour les autres traditions grecques, celles du Moyen-Orient, la tradition babylonienne, assyrienne, etc…
Le livre a donc toujours été une référence, une autorité. De même pour l’histoire d’Haïti, Thomas Madiou, Beaubrun Ardouin, Moreau de St Méry ont dû eux aussi consulter les archives, procès-verbaux, actes officiels. Il faut dire aussi que les gens se sont toujours parlé à travers les messages oraux comme écrits. Ils ont dû aussi se parler à travers l’écriture. Depuis toujours il y a eu des gens qui s’expriment mieux à travers l’écriture. On ne peut pas aujourd’hui minimiser l’effet whatsapp comme transmission d’informations, interactions, échanges dynamiques etc… Le livre est parfois un palliatif à l’éloquence ou du moins une alternative, à une forme d’incapacité de transmission, d’aisance de ses idées.
Tout le monde n’est pas né Démosthène, Fidel Castro, Leslie Manigat, ou le fondateur du MOP, Daniel Fignolé. A cet effet, nous avons pour preuve le grand philosophe français, Henri Bergson qui a été un excellent écrivain, d’ailleurs prix Nobel de littérature mais qui n’était pas tout à fait à l’aise pour transmettre son savoir à ses étudiants. Il a été pour cela jugé comme un pédagogue ordinaire. Soulignons également le cas du plus récent Prix Nobel français de littérature, Patrick Modiano : il accordait très peu d’interviews à la télévision du fait de sa timidité, tant il marmottait ses mots, se reprenait souvent, alors qu’il était reconnu pour être l’un des écrivains contemporains les plus précis, les plus limpides en matière de style et d’expression.
Le vieil adage a raison. Tout est dans les livres. Ils sont des mines d’informations, des compendiums de formation, de raffermissement de personnalité, de notre compréhension des choses et des valeurs humaines. Beaucoup de gens désemparés, désaxés se sont souvent repris, remis en selle après quelques lectures…. A ce niveau, invitons nos proches, nos amis, nos connaissances à courtiser Montesquieu « Jamais de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé! ».
« Vouloir penser sans les mots, je crois que c’est insensé », a soutenu le philosophe allemand Hegel. La lecture meuble l’esprit, enrichit nos capacités de réflexion, d’interaction, d’analyse. Sans les mots, la pensée est comme un promeneur dans la forêt, dans une grande ville; à chaque fois qu’il veut se retrouver, il ne fait que s’égarer davantage.
La familiarité et l’attachement aux livres doivent être encouragés et développés. Tous et chacun ont pour mission, très noble de faire naître cet engouement chez les amateurs. Comme par enchantement, mon père, lorsque j’étais en pension aux Cayes, a eu la bonne intuition de m’offrir de temps à autre des ouvrages. J’ai été donc initiée très tôt à la lecture. Avant mon certificat d’Études Primaires, j’avais déjà lu presque toute la collection de la Comtesse de Ségur. Et moi, durant mes vacances dans mon patelin, à Camp-Perrin, plus précisément, à Lévy où habitaient mes parents, le soir, il n’y avait pas l’électricité. Lorsque le vieillard du coin, finissait de nous raconter les merveilleux contes du terroir, c’était à mon tour de partager avec l’assistance le contenu de mes trouvailles intéressantes. C’est de là, qu’est née ma passion de lire et de raconter. Aujourd'hui, je me réfère cinquante ans en arrière et j’avoue avoir commencé à goûter autour de la lampe Coleman, avec le thé du soir, à tout ce que la vie pouvait offrir de bon et d’agréable. Cette découverte juvénile m’aida sans doute, toutes proportions gardées à me forger un caractère. J’ai vu les personnages dans leur rôle, je me suis parfois imaginé faire autrement à leur place. Chemin faisant, plus tard, j’ai rencontré à l’Université une jeune dame, elle poursuivait toujours la lecture d’un ouvrage aux intermèdes des cours. Elle devait m’expliquer que c’était un héritage de sa mère qui lui disait de toujours lire et de tout lire.
C’est par les livres aussi que j’ai appris que la grippe espagnole a fait beaucoup de ravages. En foi de quoi, je me suis dit : « Ma plus grande force dans ce confinement c’est de me surprendre à me redire « ça aussi passera !!! ».
La première nuit blanche que j’ai vécue dans ma vie c’est avec André Gide dans La symphonie pastorale. J’en ai eu d’autres avec Dany Laferrière, Lyonel Trouillot, Justin Lhérisson, Jean Price Mars, Jacques Roumain, Denis Diderot, Dino Buzzati et je me suis laissé aimer par le chevalier des Grieux, le héros de Manon Lescaut de l’abbé Prévost.
Et puisqu’il en est ainsi pour moi, je crois qu’il devrait en être de même pour vous. Transmettons donc l’opportunité aux autres en racontant ce à quoi nous avions goûté : à l’exaltation, à la merveille, l’essentiel. Et ceci pour notre plus grand bonheur. Il n’y a pas de plus grand bien, il n’y a pas de richesse plus confortable que cela. Que nous espérons d’ailleurs emporter avec nous au tombeau et peut-être dans l’éternité!