Depuis l’avènement de l’ère démocratique post-dictature, nous préconisons l’organisation d’élections libres, transparentes, démocratiques et inclusives. Est-ce que nous nous préoccupons vraiment d'organiser des élections inclusives? Cette question découle d'un constat irréfutable. En réalité, les élections en Haïti ne sont pas inclusives, car de nombreux citoyens sont volontairement exclus du processus électoral. Nous prenons pour preuves certaines catégories de compatriotes qui, ne participent pas au scrutin en raison de leur statut particulier. Nous faisons référence aux individus emprisonnés sans être condamnés à une peine afflictive et infamante, aux patients des hôpitaux publics et privés, et à la diaspora. C’est précisément ce point que nous voulons aborder, considérant l’augmentation significative du nombre d'haïtiens ayant quitté le pays pour s’installer à l'étranger, surtout ces dernières années.

Cette augmentation est principalement attribuable à la misère chronique, à l'insécurité croissante qui sévit dans le pays et aux programmes humanitaires mis en place par les États-Unis et le Canada en faveur des ressortissants d'Haïti. Cependant, force est de constater que l’émigration est devenue, dans les faits, une cause de perte des droits politiques en Haïti. Il convient de noter que seule la constitution impériale de 1805, dans son article 7, disposait que « La qualité de citoyen d'Haïti se perd par l'émigration et la naturalisation en pays étranger... ». Dans les autres textes constitutionnels, l'émigration n'a pas été mentionnée comme motif de perte de la nationalité haïtienne, y compris dans la constitution actuelle. En conséquence, les compatriotes vivant ou résidant à l'étranger devraient pouvoir participer aux prises de décisions politiques comme le choix des dirigeants lors des élections. Si la réforme constitutionnelle leur accorde le droit de vote, les citoyens haïtiens naturalisés pourraient également participer aux élections à la fois comme électeurs et candidats.

En tant que premier citoyen de la nation, le prési-

dent de la République est le président de tous les Haïtiens, peu importe où ils se trouvent. Il est choisi par l’ensemble du corps électoral. Les Haïtiens de la diaspora ont le droit de s’impliquer dans le choix du futur président de la République. Le député est choisi par les citoyens de sa circonscription, et le sénateur par le département qu'il représente. Si la nouvelle constitution octroie des sièges au parlement à la diaspora, elle pourra participer aux élections pour élire à la fois le président de la République et ses représentants au Parlement.

Le Conseil électoral doit prendre les mesures nécessaires pour que le vote de la diaspora soit effectif. Ce n'est pas une faveur, mais la reconnaissance d'un droit que nos compatriotes méritent. Certains pays qui comptent un nombre important de leurs ressortissants vivant en terre étrangère ont amendé leur constitution de manière à favoriser la participation de ces citoyens dans la vie politique de leur pays d’origine. L’Italie a accordé le droit de vote à sa diaspora en 2006, bien que depuis les années 1960, les migrants italiens le réclamaient à cor et à cri. Dans sa thèse de doctorat titrée : “Transnational Politics and the State: The External Voting Rights of Diaspora[1]”, Jean-Michel Lafleur soutient que la diaspora a un poids considérable dans l’économie des pays d’origine, notamment en Afrique et en Amérique latine où les envois de fonds en provenance des migrants ont atteint des chiffres très importants entre les années 1990 et 2000. La migration devient une ressource, un potentiel économique pour les États d’origine souligne l’auteur. Ce qui explique la mise en place de politiques publiques visant à renforcer les liens entre diasporas et pays d’origine. Le droit de vote à distance est l’une de ces politiques publiques au même titre que la reconnaissance de la double nationalité[2].

La République Dominicaine s’est ajoutée aux pays ayant accordé le droit de vote aux citoyennes et aux citoyens résidant à l’extérieur. À cet effet, les Dominicains ont créé las Oficinas para el registro de los electores en el exterior, c’est-à-dire les bureaux pour le registre des électeurs à l’extérieur. Aux élections du 16 mai 2004, les Dominicains à l’extérieur ont voté pour élire le président de la République et le vice-président, conformément aux dispositions de l’article 82 de la loi électorale No 275-97 qui stipule : « Les Dominicains résidant à l’étranger, en plein exercice de leurs droits civils et politiques, pourront exercer le droit au suffrage pour élire le président et le vice-président de la République[3]. » Avec la réforme constitutionnelle de 2010, le Parlement dominicain a élargi les droits politiques de la diaspora en lui permettant d’élire ses représentants à la Chambre des députés. À cet effet, l’article 81 de la Constitution dominicaine en son alinéa 3 dispose que « Sept députés (femme ou homme) seront élus en représentation de la communauté dominicaine à l’extérieur. La loi déterminera la forme pour l’élection et la distribution[4]. » Ainsi donc, avec l’Équateur, le Panama et la Colombie, la République Dominicaine fait partie des rares pays de la région de l’Amérique latine ayant permis à la diaspora d’avoir sa propre représentation parmi les législateurs siégeant au Parlement. Haïti s’ajoutera-t-elle à la liste ?[5]

Depuis les élections législatives de 2012, la France a mis en place un système de vote pour les citoyens français vivant à l'étranger. Depuis 2001, le Pérou a réalisé une série de réformes institutionnelles dans le but de renforcer sa gouvernance et de développer des liens plus étroits avec sa diaspora. C’est ainsi que la réforme électorale accorde le droit de vote aux citoyens péruviens résidant à l’étranger. Mais, s’agissant de la pratique du vote à distance, il faut souligner que l’Algérie est le pionnier puisqu’elle a adopté le vote à distance depuis 1976. « En Algérie, le vote à distance est une prérogative constitutionnelle puisqu’elle est intégrée à la Charte nationale adoptée en 1976. Au Maroc, le vote à distance est adopté lors de la réforme électorale de 1984[6]. »

Aujourd’hui, par rapport au rôle économique joué par les migrants africains dans le développement de leur pays d’origine, les gouvernements établissent des procédures favorisant leur participation aux élections internes depuis l’extérieur.

En général, les modalités de l'application du vote à distance de la diaspora incluent, entre autres : le processus d’inscription sur la liste électorale consulaire, l’identification des votants et les mécanismes de vote. Néanmoins, le vote à distance ne pourra être effectué que dans les pays d’accueil qui auront signé un protocole avec Haïti pour garantir le déroulement des opérations de vote.

Il est important de souligner que le vote de la diaspora, s’il est bien règlementé et bien organisé conduira à deux résultats majeurs : un processus électoral inclusif ; une augmentation significative du taux de participation électorale. En ce 21e siècle, avec l’interconnexion des sociétés la participation politique ne connaît plus de barrières spatiales lorsque la volonté est manifeste.

Rappelons que lors des dernières élections en 2015 et 2016, le taux de participation était respectivement de 22 % et 20 %. Bien évidemment, plusieurs facteurs influencent, dans un sens comme dans l’autre la participation des électeurs. D’abord, il y a lieu de mentionner la pauvreté de l’offre électorale, la personnalité des candidats, la désaffection grandissante envers le système politique, la méfiance mais aussi et surtout la violence électorale. À ces éléments, il faut ajouter l’exclusion de la diaspora.

Pour garantir des élections libres, transparentes, démocratiques et inclusives, le CEP doit impérativement moderniser le système électoral. Pour cela, il a besoin de temps et de sérénité pour affronter les défis. La stabilité d'Haïti dépend de l'organisation d'élections crédibles à intervalles réguliers, conformément aux dispositions constitutionnelles. C'est pourquoi nous défendons l'idée de mettre en place un Conseil électoral permanent, afin de préserver la stabilité de l'institution.

Nous préconisons également l’instauration d'un système électoral automatisé afin d'améliorer la transparence, la fiabilité et la rapidité du processus. Il est incontestable que le vote électronique est l'avenir de la démocratie participative. Mais cela, c’est un autre débat et ce sera l’objet de notre prochain article.

 


[1] Titre traduit : Le transnationalisme politique et l’État. Le droit de vote à distance des diasporas européennes et latino-américaines.

[2] Jean-Michel LAFLEUR, Transnational Politics and the State: The External Voting Rights of Diasporas, Routledge, Londres, 2003.

[3] ʺLos dominicanos residentes en el extranjero, en pleno ejercicio de sus derechos civiles y políticos, podrían ejercer el derecho al sufragio para elegir presidente y vicepresidente de la República.”

[4] ʺSiete diputadas o diputados elegidos en representación de la comunidad dominicana en el exterior. La ley determinara su forma de elección y distribuciónʺ.

[5] Ricardo Augustin, Voter autrement en Haïti. Le vote électronique au cœur de la réforme électorale, C3 Éditions, Port-au-Prince, 2020.

[6] Jaulin THIBAUT, « Les limites de la généralisation du vote à distance dans les pays arabes », article consulté en ligne sur le site : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2015-4-page-104.htm, le 20 avril 2017, 5 h 19 pm.

A propos de

Ricardo Augustin

Dr Ricardo Augustin est Licencié en Droit de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques (FDSE) de l’Université d’État d’Haïti (UEH). Il est docteur en Sciences Politiques et Relations Internationales, consultant, professeur d’Université et Vice-Doyen de la Faculté des Sc…

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