Nous arrivons au cœur de nos errances, avec nos poings serrés dans nos poches crevées, dirait l'ami Rimbaud, tout feu tout flamme.
Nous arrivons au cœur de nos errances, avec nos poings serrés dans nos poches crevées, dirait l'ami Rimbaud, tout feu tout flamme. Nous avançons, l'éditorial de notre mort dans nos mains, et ils rient de belle gueule devant la chronique annoncée de notre future balade au pays des sans-souliers, des sans-chapeaux et des sans-sous.
Elle ne nous surprend plus la mort et ne nous prend plus, les yeux fermés, dans de beaux petits draps blancs à l'odeur de lavande, préparés à l'avance. Elle nous prend maintenant par derrière. Arrive au carrefour. Pam Pam. Deux petits coups secs et le petit cercueil qu'on trimballe sous les bras est prêt pour la prochaine promenade. Elle ne nous effraie plus la mort. On joue avec. On la caresse. On lui fait des bisous bleus comme le ciel, comme la mer, en un bon et bien gentil chien-chien. On pourrait même lui offrir des bonbons et des sucettes, si elle avait une belle petite gueule pour sucer, et on lui dirait : on n'est pas encore prêt doux chien-chien, on n'a pas encore repassé nos beaux draps blancs à l'odeur de lavande, passe plus tard doux chien-chien.
Mais elle nous prend par derrière la traîtresse, en grand enculeur de mouche. Elle nous prend avec nos tee-shirts sales, nos culottes crasseuses, nos baskets troués et blanchis au carrefour, au rond-point, dans les feux vert, jaune, rouge de la circulation mortuaire. Elle vient quand on est au milieu de la foule, tout en sueur, en plein cœur de la manif. Elle vient et nous troue le crâne. Deux petits trous du côté gauche de la tête ou du côté droit. Ça reste à la discrétion des beaux assassins d’user des jolies balles assassines avec de beaux guns pour nous fracasser encore le crâne après notre mort. La mort arrive après six heures du soir dans ma ville. Quand elle arrive, toutes les rues sont à elle. Elle les prend comme bon lui semble, pétrissant leurs seins amoureusement, ses lèvres autour de leur cou. Elle les met nues et les baise tendrement. Personne ne sort pour voir ce que fait la mort dans les rues.
C'est fini le bon temps des plaisanteries entre potes, les accolades de grande amitié, les bières, les coups de gueule et les escapades. C'est fini le temps des insouciances. Les insouciances du haut de nos vingt ans à regarder la vie galoper, pieds nus, sur des kilomètres de braise. La mort est dans les rues avec son colt à la main, son révolver et elle frappe à l'aveuglette. Tire sans cibler. Elle remet en question notre droit de vivre. Notre droit de brandir nos poings à la gueule des poseurs de bombe. Notre droit de vivre et de nous promener la nuit en la compagnie de nos ami.e.s et de nos chiens, et non dans la clameur des balles assassines. L'éditorial de notre déchéance n'est écrit nulle part, sauf dans la poussière que trimballent tes souliers neufs qui ont foulé le sol de ma ville.
Ma ville est aussi une putain. Une putain qui fait des galipettes avec la mort, au marché en fer, pour négocier de son existence comme ville. Ma ville-putain couche avec la mort pour ne pas mourir. Une ville ! Ça meurt aussi. Ça meurt au soleil. Elle crève comme un chien au mitan de la grand-rue et ne veut pas mourir dans l'embrasure des équinoxes.
Nous voulons réapprendre à aimer notre ville-putain, avec des fleurs en offrande à nos dieux lunaires. Nous voulons réapprendre à aimer notre ville aux mille soleils, notre ville aux balles assassines pour mieux reconstruire ses bras d'amour, ses bras qui demain nous parleront du jour nouveau. Ses bras qui ne laisseront plus parler les balles assassines, mais notre rêve et notre envie du renouveau.