L'université comme espace de recherche, de pensée et de réflexion a toujours connu des mutations, au rythme des mouvements socio-politiques. Elle s'inscrit même dans cette dynamique de prise de position, d'amplification des revendications et détient une place centrale entre l'élite intellectuelle du pays et la masse populaire. Tout au long de son cheminement au sein de la société, elle a accompagné celle-ci doublement par sa position et son pouvoir de reproduction de la société, du moins idéalement.

En 1929, les jeunes universitaires de Damien ont défait le gouvernement de Borno et préparé la désoccupation militaire du pays.

1946, ils ont mis à plat la dictature d'Elie Lescot avec l'appui des lycéens. Une dictature mulâtriste qui a entrainé la rébellion des militaires et de fait, la chute du président Lescot. Sous la dictature de Jn Claude Duvalier, ou encore en 2004 lors du coup d'état de Jn Bertrand Aristide, des jeunes contestataires – grenn nan bouda – ont eu gain de cause des répressions des régimes chimériques et dictatoriaux. Ces luttes politiques menées par les universitaires ont coûté des vies, des menaces, et même l'exil à certains d'entre eux ; elles témoignent de leur place dans les batailles socio-politiques mais également des bouleversements au sein de ces institutions. L'université d'Etat d'Haïti, plus grand etablissement d'enseignement supérieur dans le pays, aussi vieille que prestigieuse est généralement la plus concernée et les dégâts matériels et immatériels sont à compter.

D'un autre côté, les universitaires haïtiens mènent eux aussi leurs batailles, et, comme le peuple, ils foulent le sol pour réclamer de meilleures conditions d'apprentissage, de travail et de vie. Les luttes universitaires rejoignent celles de la population, elles n'ont d’ailleurs, jamais été trop éloignées. Quand les médecins font la grève pour réclamer un meilleur salaire, des équipements et de meilleures conditions de travail et de formation, c'est pour favoriser l'accès à des soins de santé de qualité à la population. Quand les normaliens exigent leur nomination dans le système d'enseignement, ils augmentent du même coup les chances pour que nos enfants puissent recevoir le pain de l'instruction garanti par la loi. Ces dernières décennies, les luttes se sont accentuées en raison du climat d'instabilité et de chaos qui sévit dans le pays, des heures de cours voire des sessions sont perdues, des étudiants sont tombés sous des balles assassines, des facultés vandalisées.

L'université est aujourd'hui encore au cœur de ce tumulte sanglant que connait le pays. Déjà, la violence des gangs armées, l'insécurité paralysaient le bon fonctionnement des universités dans le pays et la région métropolitaine principalement. Grèves, manifestations, kidnapping, "déchoucage" prise en otage de voies et de zones... empêchaient aux étudiants de se rendre en cours et aux professeurs de venir dispenser en chaire. Entre mars et avril 2024, au moins 5 entités de l'Université d'Etat d'Haïti ont été saccagées par les bandits armés: Faculté d'Agronomie et de Médecine Vétérinaire (FAMV), Faculté des Sciences (FDS), Faculté de Droit et des Sciences Economiques ( FDSE), Ecole Nationale des Arts (ENARTS), Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP) sans compter l'incendie des anciens locaux de l'Ecole Normale Supérieure et l'occupation de la Faculté de Linguistique Appliquée par les déplacés qui fuient la violence des gangs. Un bilan catastrophique pour des années de reconstruction après le tremblement de terre dévastateur du 12 janvier 2010. Ces attaques contre les institutions d'enseignement supérieur constituent un affront à l'intelligence et à l'éducation. Aujourd'hui, quasiment aucune entité de l'Université d'Etat d'Haïti ne peut fonctionner, ni disposer de leur enceinte facultaire comme c'est le cas pour la plupart des écoles et universités à Port-au-Prince. Une université qui connaissait déjà une déchéance rien qu'à regarder le nombre d'inscrits à l'université sur ces 5 dernières années. Pas moins de 20,000 étudiants sont actuellement en train de vivre probablement leur pire cauchemar pour avoir simplement voulu matérialiser un rêve intellectuel et citoyen.  Dans cette course effrénée contre les droits fondamentaux, contre la vie dans son entiereté, les étudiants haïtiens courent, fuient et se lassent.

Les crises au sein de l'université sont multi dimensionnelles et rythment avec les crises socio-politiques du pays. L'université est construite dans une dynamique de reproduction de la société dans son ensemble. Quoiqu'on dise, l'éducation comporte une dimension politique non négligeable et une interdépendance réciproque. L'université, à travers ses étudiants est interpellée dans la question sociale et même politique car ces derniers, étant des éléments à part entière de la société, connaissent et subissent tous les bouleversements de celle-ci. L'université est toujours au cœur des crises ici en Haïti, quand elle ne rejoint pas la crise pour participer à sa résolution, la crise la rejoint et la détruit de tous les moyens dont elle dispose. Un tiraillement sans fin qui responsabilise l'universitaire ou le déstabilise.

 

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Bibliographie

Jn Anil Louis Juste. Haïti: Jeunesse,Université et Société. Alter Presse, 2004.

A propos de

Pouchenie Blanc

Pouchenie Blanc est étudiante en médecine et en sciences juridiques, rédactrice, et critique littéraire. Passionnée de lecture et activiste des droits humains, sa plume est une arme de formation, de dénonciation et d'information. 

Elle a fait …

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