Le vendredi 6 décembre 1929, les marines américains firent feu sur près de mille cinq cents agriculteurs à Marchaterre, à proximité de la ville des Cayes.

Le vendredi 6 décembre 1929, les marines américains firent feu sur près de mille cinq cents agriculteurs à Marchaterre, à proximité de la ville des Cayes. Bilan : une dizaine de morts et plus d’une vingtaine de blessés. Cette tuerie de Marchaterre fut la conclusion, l’épilogue à une période de tension entre les Haïtiens et l’occupant américain. 

La Croix des Quatre Chemins à l'entrée des Cayes à l’époque

La cause première du drame de Marchaterre fut une taxe imposée le 14 août 1928 sur l’alcool et le tabac qui fut dénoncée par les agriculteurs ; plus de cent dix guildives avaient fermé leurs portes d’un coup dans la seule plaine de Léogâne au début de l’année 1929. (Jean Desquiron, 1997) Les distillateurs et les cultivateurs de la commune de Torbeck, près des Cayes, avaient écrit un Mémoire au Président Borno le 27 septembre 1928 puis rencontré celui-ci le 3 mars 1929 par le biais d’une délégation facilitée par l’ex-président Légitime ; ils lui remirent les doléances datées du 17 février 1929 des agriculteurs de Torbeck, mettant en relief la mise à mort de ce secteur agricole alors que la misère était patente. 

Dans le précédent Mémoire, les distillateurs expliquaient entre autres : « En effet, Monsieur le Président, l’État perçoit sur 60 gallons ou 225 litres d’alcool inférieur à      24 degrés Cartier la somme de soixante-sept gourdes et demie (Gdes. 67.50), valeur supérieure, au cours actuel, à celle du sirop nécessaire à la fabrication de ces 225 litres de clairin ou de tafia. Une taxe aussi élevée est tout simplement prohibitive. (Ce que nous disons ici du clairin ou du tafia est a fortiori vrai des alcools des degrés supérieurs.) En édictant que l’impôt sera payé avant que l’alcool soit enlevé des bâtiments de production… » (Georges Condé, 2002) En d’autres termes, ils n’étaient plus compétitifs et travaillaient à perte ; la taxe fixée était la même pour quel que soit le degré d’alcool, le sirop coûtait aussi trop cher et la taxe était prélevée par l’État avant que le tafia ne sorte des fûts des entrepreneurs. 

Entrée de la ville des Cayes
Arc de Triomphe dressé autrefois par le Conseil Communal 
                 des Cayes en l'honneur du Président Florvil Hyppolite
 

La tension, toutefois, grandissait de même à tous les niveaux contre l’occupation en cours depuis quatorze ans. Vers la fin de l’année, la situation politique atteignit un certain paroxysme avec la série de grève des étudiants de Damien contre les procédés du Dr. George Freeman, directeur américain du Service Technique à l’Ecole d’Agriculture de Damien. Une valeur de 50 mille gourdes avait été affectée aux boursiers de cette institution. Or, la quantité d’étudiants ayant de beaucoup augmenté, Dr. Freeman pensa retirer 10 mille gourdes du montant initial pour le financement de nouveaux petits projets à 50 centimes pour encourager les étudiants qui performeraient mieux dans certains travaux pratiques. Les étudiants avaient jugé qu’il ne fallait pas décourager les plus méritants en diminuant le nombre de bourses alors qu’au contraire il fallait les augmenter, quand les experts américains touchaient des millions de dollars. Ils formèrent un comité pour rencontrer Freeman. Celui-ci ne voulut pas les entendre et déclara qu’il serait mieux s’ils ne retournaient pas à Damien le lundi d’après. (François Dalencour, 1935)
                           
    Les étudiants entrèrent en grève le 31 octobre 1929 dans l’après-midi et se dirigèrent sur Port-au-Prince. La grève prit des proportions imprévues et bientôt ce fut la répression ; les manifestations s’intensifièrent et s’amplifièrent chaque jour au cours du mois de novembre. L’École de Droit entra en grève, puis l’École des Arts et Métiers, J.B. Damier, l’École des Sciences Appliquées, l’École Normale d’Institutrices, l’École Nationale de Médecine, de Chirurgie Dentaire et de Pharmacie. Plus de deux mille étudiants se dirigèrent vers la résidence du Dr. Freeman, près de l’église Saint-Louis Roi de France, et  le slogan devint « Vive la grève, à bas Freeman, à bas Borno, à bas l’intervention ». Des coups de feu partirent, des arrestations furent opérées.          
                                                      
La conjoncture se radicalisa, les élèves du Secondaire et du Primaire rejoignirent la grève, puis ce furent les employés et professeurs de l’Ecole d’Agriculture, les employés de la Douane suite à une altercation entre un Américain et un Haïtien le 2 décembre. La loi martiale fut décrétée. La grève arrivait à un moment de ras-le-bol avec l’occupant et la fierté nationale monta d’un cran en appuyant le mot d’ordre de grève des étudiants de Damien. Tout le pays était pratiquement debout. 

    Les villes de province avaient adhéré à la grève des étudiants de Damien. Aux Cayes, les distillateurs de la commune de Torbeck exprimèrent leur support à la grève et en profitèrent pour réclamer le retrait de la taxe du 14 août 1928. Qui plus est, se tenaient une grève des débardeurs et autres travailleurs journaliers, une grève des écoliers supportant les étudiants, et d’autres manifestations exprimant le mécontentement généralisé dans la ville. (Condé, ibid.)

    Trois avions américains rasaient les toits des maisons et simulaient des détonations. Rejoignant les manifestations aux Cayes, près de mille cinq cents agriculteurs de la commune de Torbeck, conduits par les distillateurs de la région, se rassemblèrent le 6 décembre 1929 aux cris de « A bas les taxes, à bas la misère ! ». 

Les Cayes vers 1930’s

Les étudiants entrèrent en grève le 31 octobre 1929 dans l’après-midi et se dirigèrent sur Port-au-Prince. La grève prit des proportions imprévues et bientôt ce fut la répression ; les manifestations s’intensifièrent et s’amplifièrent chaque jour au cours du mois de novembre. L’École de Droit entra en grève, puis l’École des Arts et Métiers, J.B. Damier, l’École des Sciences Appliquées, l’École Normale d’Institutrices, l’École Nationale de Médecine, de Chirurgie Dentaire et de Pharmacie. Plus de deux mille étudiants se dirigèrent vers la résidence du Dr. Freeman, près de l’église Saint-Louis Roi de France, et  le slogan devint « Vive la grève, à bas Freeman, à bas Borno, à bas l’intervention ». Des coups de feu partirent, des arrestations furent opérées.          
                                                      
La conjoncture se radicalisa, les élèves du Secondaire et du Primaire rejoignirent la grève, puis ce furent les employés et professeurs de l’Ecole d’Agriculture, les employés de la Douane suite à une altercation entre un Américain et un Haïtien le 2 décembre. La loi martiale fut décrétée. La grève arrivait à un moment de ras-le-bol avec l’occupant et la fierté nationale monta d’un cran en appuyant le mot d’ordre de grève des étudiants de Damien. Tout le pays était pratiquement debout. 

    Les villes de province avaient adhéré à la grève des étudiants de Damien. Aux Cayes, les distillateurs de la commune de Torbeck exprimèrent leur support à la grève et en profitèrent pour réclamer le retrait de la taxe du 14 août 1928. Qui plus est, se tenaient une grève des débardeurs et autres travailleurs journaliers, une grève des écoliers supportant les étudiants, et d’autres manifestations exprimant le mécontentement généralisé dans la ville. (Condé, ibid.)

    Trois avions américains rasaient les toits des maisons et simulaient des détonations. Rejoignant les manifestations aux Cayes, près de mille cinq cents agriculteurs de la commune de Torbeck, conduits par les distillateurs de la région, se rassemblèrent le 6 décembre 1929 aux cris de « A bas les taxes, à bas la misère ! ». 

Une patrouille de marines apparut au niveau de la Croix Marchaterre pour les empêcher de traverser la Ravine du Sud et atteindre la ville déjà en ébullition. Les marines firent feu à hauteur d’homme et orchestrèrent un vrai carnage. La ville des Cayes fut en état de choc. La patrouille d’une vingtaine d’hommes était commandée par le capitaine Swink ; néanmoins, le colonel américain R. M. Cutts, commandant la 1re Brigade, U. S. Marine Corps, déclara dans un rapport :

« 1300 et 1500 individus plus ou moins ivres marchant sur les Cayes firent rencontre avec une patrouille de marines au passage de la rivière… La première décharge fut faite avec des fusils ; quand ceux-ci ne purent les arrêter, on fit usage de mitrailleuse… Si la patrouille avait voulu ou si elle avait l’intention de tuer en aucune façon, trois ou quatre cents personnes pouvaient être facilement fauchées… » (Desquiron, ibid.) 

Fausses déclarations de l’occupant yankee et du colonel Cutts ; mais ces prétextes n’ont pas absout les crimes des Américains en Haïti… D’ailleurs, une autre version de l’incident parle de 22 paysans tués sur le coup et 51 autres blessés. Au cours de la marche vers Les Cayes, d’autres réclamations des paysans s’accentuèrent autour de la libération de trois leaders emprisonnés, plus la levée des scellés apposés sur les distilleries de Quatre Chemins, etc. Arrivés au niveau de Marchaterre, des sources parlent de malentendus, d’autres disent que des pierres avaient été lancées, mais les Marines ouvrirent carrément le feu, et de pauvres paysans réclamants leurs droits furent abattus par les blan meriken. Comment faire oublier ou effacer de telles atrocités de la mémoire d’un peuple ? (Kethly Millet, 1978)

Le journaliste américain Harry Franck (Gaillard, 1981) confirmait fermement que lors des tueries par voies aériennes, les aviateurs ne vérifiaient pas « le type de rassemblement » qu’ils attaquaient ; qu’il s’agissait d’un camp Caco, d’un marché de paysans, ou de paysans qui se rendaient tout simplement à la messe. Cette nouvelle méthode de répression ou de tuerie par les airs par les marines américains en Haïti date d’une dizaine d’années. Pour preuve, H. Franck précisait : « Au moins deux avions de l’armée américaine avaient bombardé et mitraillé la population civile de deux villages de la région de Thomazeau, au sud-ouest du plateau central. Hommes, femmes, enfants et vieillards furent tués et, supposément, jusqu’à la moitié des habitants. Les survivants, cachés dans les bois et terrifiés, s’étaient adressés à un prêtre breton voisin pour réclamer sa protection et ils avaient de même témoigné par écrit des actes commis contre eux. L’isolement géographique et culturel des populations rurales du centre du pays rendit difficile la circulation des témoignages sur les exactions commises. La mémoire collective dans les campagnes garde le souvenir d’attaques contre les populations civiles du Plateau Central à partir de 1919. »

 

Ces attaques apparaissent comme les premières utilisations de l’aviation américaine contre nos populations civiles. L’aviation américaine en Haïti possédait à date plus de trois appareils et de plus de cinq postes d’atterrissage à travers le pays.

Néanmoins, dès le 5 décembre 1929, la couleur de la répression américaine contre nos locaux de Marchaterre avait démarré. Le 5, pour intimider la population des Cayes, dans le sud du pays et la veille de la tuerie du 6 décembre, l’aviation américaine avait bombardé la rade de la ville, soi-disant pour gêner le cabotage. Bof !, ça campe pas non plus, la ville était déjà sous occupation. Une commission d’enquête de la Marine américaine, en 1929, interrogea des officiers de l’occupation sur les allégations d’exactions commises par l’aviation, mais sans prononcer ni accusation ni condamnation. (Gaillard, 1981, 1983). Encore une fois, alea jacta es en ce qui a trait au racisme et aux tueries inutiles des marines yankee américain (1915-1934).

Un hommage spécial fut rendu au citoyen Gesner Guillou qui « y joua le rôle principal. Il est mort le 9 décembre 1934, à l’âge de 33 ans, dans sa ville des Cayes dont il était devenu le maire. 

Il fut donc l’un des meilleurs ouvriers de la seconde indépendance. Il y payait de sa personne et de sa bourse, montrant une constance inébranlable à cette époque où les Américains, remplis de morgue, maltraitaient tous ceux qui n’étaient pas leurs partisans, où les partisans couchés à plat ventre dans la jouissance étaient au fond considérés avec mépris. Honneur à la mémoire du patriote Gesner Guillou, qui a sincèrement mérité de la Patrie haïtienne. » (Dalencour, ibid.)

La grève des étudiants de Damien et son corollaire le drame de Marchaterre accentuèrent la mobilisation et le mécontentement contre l’occupation américaine et contre le Président Borno. C’était le commencement de la fin du régime Borno, la précipitation de l’envoi d’une commission d’enquête de cinq membres – la Commission Forbes –, et une étape vers la désoccupation du territoire qui interviendra en 1934. 

Marine américain posant devant leur carnage

A propos de

Jean Ledan fils

Jean Ledan fils est connu pour sa célèbre série A propos de l’histoire d’Haïti, saviez-vous que… ; il poursuit inlassablement son dialogue avec les événements et personnages de notre histoire en offrant à la délectation du public des ouvrages tels, A propos de l’histoire d’Haïti, saviez-vous que……

Biographie