Pierre Bayonne a 73 ans. Au cours des années 70 il était une authentique idole. Genre de personnes desquelles on a toujours la sensation de n'avoir pas assez appris. En outre, aux yeux de tous ti Pyè pète la santé. Surtout, il paraît en meilleure forme que ses anciens coéquipiers de Munich 1974.

Il y a environ deux mois, en compagnie de sa seconde épouse, l'ancien polyvalent a conduit allègrement durant 8 heures et 30 minutes, d'Orlando, sa ville de résidence, à Caroline du Sud où les attendaient des parents et amis pour une fête. Deux semaines de pur bonheur en perspective.

Comme de fait, Madame Bayonne et son époux voient passer trop vite les deux semaines quand, à la veille du retour, celui-ci sent ses forces l'abandonner subitement. Il rampe presque pour gagner le lit de la chambre qui lui était allouée. Son épouse se précipite. Pierre ne peut que signifier de la main qu'il est mal en point. Parler lui est un trop lourd fardeau. Il passe la nuit dans cet état critique, se battant contre un adversaire plus puissant que l'Italie, la Pologne et l'Argentine réunis. Madame Bayonne, qui ne s'est pas fermé les yeux, comprend que son fils devra prendre l'avion à Orlando pour se substituer à Pierre au volant du retour. 

 

Un miracle a commencé à s'accomplir depuis les premiers instants du malaise. Pierre s'allonge sur le banquet arrière de la voiture. Son beau-fils presse sur l'accélérateur dans le vain espoir que le 4 roues puisse au moins aller aussi vite que l'avion qui l'avait amené en Caroline du Sud. Madame Bayonne, se retournant sur son siège avant, joue de tendresse par ses mains et ses mots suppliants: " ne meurs pas Pierre. Pas pour moi seulement. Pour toutes ces personnes du football qui t'aiment tant". Un seul arrêt obligé: Pierre doit se soulager du trop-plein de sa vessie. En plein États-Unis. En temps de tempête, tous les ports sont abordables. Pourquoi n'appellent-ils pas l'ambulance? Dès qu'on évoque cela, Pierre feint de mieux aller. Après coup, il l'avoue: latrophobe (qui a peur des médecins) et nosophobe (qui a peur d'être malade). Enfin, la voiture-avion arrive à la maison d'Orlando. On traîne Pierre jusqu'au lit. Et Madame Bayonne appelle un couple ami dont l'un d'eux est médecin. "Fermez le téléphone! Appelez l'ambulance tout de suite: blood clot", enrage l'ami. Pierre n'a plus la parole. Au propre comme au figuré. La sirène stridente et 

soulageante de l'engin s'annonce. Oxygène et et sérum. Salle d'urgence à l'hôpital le plus proche : Kissimmee Hospital. S'amène une infirmière. Interloquée quand Madame Bayonne lui présente la carte d'identité du malade: Pierre Bayonne. Ses yeux déjà beaux comme deux lunes s'écarquillent. Et son vocal éclate comme une grenade mûre: "I know this guy. He's on my phone. He had played the soccer world cup for Haïti". Et elle cherche et trouve deux photos de Bayonne dans son téléphone, dont celle avec Pelé lors de Violette-Cosmos en 1976 à Port-au-Prince. 

L'émotion de l'infirmière haïtienne envahit l'hôpital. Le médecin de service avoue qu'il ne s'explique pas que le VIP n'ait pas succombé à ce mal tandis qu'il ajuste sa batterie d'appareils qui l'aideront à remettre sur pied notre Pierre Bayonne.

Quand l'exeat est signé, il est lesté d'une ordonnance dispendieuse. Il faut, pour l'un des médicaments, Eliquis, non couvert par l'assurance, 1200 dollars. Pire, non disponible dans plusieurs pharmacies. Le miracle est en train de s'accomplir. Un vieil ami appelle Bayonne. Il se prépare à lui poser les autant sempiternelles que délicieuses questions: "gòl ou te fè pou Vyolèt kont ekip Meksik la (Atletico Espagnol), match nou (Violette) pèdi 5-0 devan Racing nan, gòl tèt balon Manès la..."

La vedette est bien obligée d'arrêter l'admirateur: 
" Écoute, je reviens de l'hôpital où j'ai été opéré d'un blood clot..."
-- Moi aussi, j'ai connu ce malheur.
-- je cherche le médicament Eliquis
-- Oh! Mwen gen yon pakèt lakay la. M ap "mail" yo pou ou tousuit...

Le miracle s'est accompli. À l'heure qu'il est, à moins d'une très mauvaise surprise, Pierre Bayonne se porte très bien et devrait nous épargner, encore quelques bonnes années, de la douleur d'ajouter un autre nom à la liste des mondialistes disparus. 

Le médecin lui a recommandé de marcher, beaucoup marcher. Alors, il fait de la bicyclette et s'astreint à une diète sur mesure. L'activité physique, la bonne alimentation, boire beaucoup d'eau, dormir suffisamment, seraient les préalables d'une santé satisfaisante pour un septuagénaire.

En cette circonstance, moi-même, pauvre pécheur, je ne puis ne pas me rappeler, au virage sud-ouest (kan simityè, de Sylvio Cator, cet homme corpulent comme un lutteur, fan inconditionnel du Racing Club Haïtien, mais admirateur impénitent de Pierre Bayonne, qui s'écriait au coup de sifflet initial de tous les Racing-Violette: " Ooo Sen Pyè, ou konnen ki kontra mwen gen avè w, pa jwe byen jodi a, pa ban m gòl!!!"

S'il avait trépassé, quel  horrible but aurait marqué contre nous le bien-aimé Pierre Bayonne, sanctifié avant qu'il ne meure!

A propos de

Patrice Dumont

Né en octobre 1958, Patrice Dumont a une quintuple formation:
- Sciences Sociales à l'École Normale Supérieure
- Relations Internationales à l'Inaghei
- Sports à la Fifa, au Comité International Olympique, à la FHF, à la FFF
- Journalisme au Centre de Formatio…

Biographie