Il est un peu plus de quatre heures de l'après-midi. L'électricité n'est toujours pas revenue. Remerciant la cuisinière qui débarrasse la table, mon frère Stéphane et moi combattons l'envie d'une sieste qui nous envahit lentement.
À Maxime Dorvilne
Il est un peu plus de quatre heures de l'après-midi. L'électricité n'est toujours pas revenue. Remerciant la cuisinière qui débarrasse la table, mon frère Stéphane et moi combattons l'envie d'une sieste qui nous envahit lentement. Il fait chaud malgré le haut plafond de notre maison ancienne. Nous descendons au rez-de-chaussée et nous nous asseyons sur le parvis du voisin. C'était jadis la maison de Ton SonSon, le notaire aux cheveux blancs. Cela fait quelques années qu’il n’est plus. Aujourd’hui, l’enseigne qui vacille au-dessus de nos têtes nous rappelle par son grincement rythmé que les temps ont changé ; c’est chez Alain ici et on y développe des photos.
Il fait un peu plus frais sur les bordures de la rue Nicolas Geffrard. Nous regardons passer les motos et les jeunes gens qui s'en vont étudier. Ils s’arrêteront un peu plus loin, sur le fronton de la banque ; il y fait bon et ils sont certains d’avoir de l’éclairage, même tard dans la soirée. Là-bas, ils seront à l’abri des caprices de l’EDH. Mon frère et moi reniflons aussi l'odeur du caniveau qui se prélasse à nos pieds. On essaie un peu de l'ignorer mais elle nous revient à chaque silence, comme un bruit de fond. Tout près de nos orteils nagent des petits poissons ; on les appelle des « bo’nboni » ici.
Notre solitude à deux est pourtant vite coupée. Arrive Jude le charmeur avec sa bécane. Il nous a vu. Il s'arrête, pose un pied sur le sol et nous tend la main. Un sourire gratuit de Cayen lui décore le visage. Jude est là alors on parle de filles, de toutes celles qui ont jeté leur dévolue sur l'homme à la bicyclette. Et arrivent au compte-gouttes d'autres amis qui s'attardent dans notre « baz » improvisé. Nous étions trois il y vingt minutes et maintenant nous sommes sept. La conversation virevolte dans tous les sens. On parle encore de filles, quelque part entre la politique et les derniers ragots.
Et voilà qu'Audelaire fait son apparition, la démarche cadencée comme son père. On lui crie d'amener la guitare. Il « cuipe », secoue la tête et repart vers sa maison qui se trouve quelques mètres plus loin. Quelqu'un suggère qu'on cotise pour une bouteille de rhum ; le suggérant n'a pas un sous mais il a une bonne idée. Il faut faire vite, Madame Ludovic va bientôt fermer. Le Barbancourt arrive au son de la guitare qui improvise. Survient Sébastien, le frère de Stéphanie qui s'est récemment inventé une passion pour la borlette. On parle alors de nos rêves de la nuit précédente ; notre consultant en loterie se mue en devin et nous conseille sur les « boules » à jouer. Sébastien est un peu plus jeune mais on avale ses bobards avec avarice. Un homme avec une brouette s’arrête devant nous et tape sur l’acier avec sa machette. On le taquine un peu et lui reproche son impertinence ; le vendeur est trop bruyant et perturbe notre conversation. On se décide finalement à lui acheter quelques cannes à sucre. Il repart le sourire aux lèvres, avec son bruit et sa marchandise qui est assez succulente. Il fait soudainement nuit. Les étoiles apparaissent timidement et les amis s'en vont, comme ils étaient venus, au compte-gouttes. Nous étions cinq il y vingt minutes. Nous ne sommes plus que deux. « Baz kraze ». Il est temps de rentrer.