J'erre souvent seule dans les rues de Jacmel essayant de retrouver l'enfant qui faisait pareille avant que ma mère dut rentrer vivre à Port au prince avec nous pour être plus près de mon père arrêté et mis au Fort Dimanche. J'ai donc laissé ma ville enfant pour y revenir avec ma famille après mon mariage. Je rentrais tous les vendredis soir pour repartir le lundi matin très tôt pour Port au prince. C'est qu'à l'époque on pouvait se déplacer sans crainte à quelque soit l'heure. Les officiers au portail nous attendaient religieusement et identifiaient la voiture et son contenu aisément. Ils étaient polis et enregistraient les papiers de la voiture et la licence.
J'erre souvent seule dans les rues de Jacmel essayant de retrouver l'enfant qui faisait pareille avant que ma mère dut rentrer vivre à Port au prince avec nous pour être plus près de mon père arrêté et mis au Fort Dimanche. J'ai donc laissé ma ville enfant pour y revenir avec ma famille après mon mariage. Je rentrais tous les vendredis soir pour repartir le lundi matin très tôt pour Port au prince. C'est qu'à l'époque on pouvait se déplacer sans crainte à quelque soit l'heure. Les officiers au portail nous attendaient religieusement et identifiaient la voiture et son contenu aisément. Ils étaient polis et enregistraient les papiers de la voiture et la licence. J'aimais bien cette précaution sécuritaire rassurante.
Puis je suis partie pour l'etranger et suis restée longtemps jusqu'à ce moment où j'ai décidé de revenir chez moi, vivre dans ma ville.
Mais à mon retour au pays je ne reconnais presque plus rien. J'ai pleuré quand j'ai passé "premier pont" après 17 ans d'absence. Ce spectacle de misère de la nature n'offrait rien d'accueillant. Où sont passés ces beaux jardins verts de bananes et d'igname, ces champs de maïs? Ces manguiers, arbres véritable, "labapin" avocatiers, abricotiers qui faisaient de "laplènn" un havre de paix? Puis, je ne trouvais plus cette place avec un poste militaire qui rassurait au moins en identifiant les visiteurs au cas où, j'appris que l'armée ayant disparue, les postes d'avant garde le furent aussi. Le Cap Haitien a gardé le sien où la nouvelle police fait le contrôle, donc pourquoi pas celui de Jacmel? La réponse est simple, puisque Jacmel fut anti-duvaliériste et plus tard un bastion lavalasse, il fallait tout détruire.
Continuant ma traversée, arrivée au "bassin kayiman" une autre mauvaise surprise, les maisons oú enfant, je visitais leurs hôtes n'existaient plus ou étaient en ruine. Un marché occupait la rue avec des lots de fatras un peu partout. C'est là que l'on prenait "la vie drôle", ce camion d'Edgar Cayot qui faisait le trajet Jacmel/Port au prince. Je me souviens de cet ultime voyage de ma famille vers Port au prince avec nos mallettes métalliques, nos meubles, Cléante la nounou, Gislaine et Marie Ange les servantes, Oswald, ma mère assise entre mon frère et moi et la chatte Féline sur mes genoux.
Nous avons dû descendre du bus pour traverser une rivière à pieds et Féline a failli se sauver de mes mains. C'était un long trajet d'une journée complète. On dit qu'il y avait 101 passes d'eau à traverser, " pa jwé ak fanm Jacmel, li janbe 101 pass dlo poul rive potoprens" dit le dicton.
Ce fut donc une délivrance ce cadeau de la France, la route de l'amitié, très beau serpentin avec des gardes sécuritaires fluorescentes.
Ce fut d'ailleurs ma première déception en faisant la route ce jour-là, 16 ans après mon départ et de la voir en très mauvais état, pleine de "nichespoul", les gardes fluorescentes disparues et les montagnes environnantes presque "chóv". Avant d'entamer le "morne karate" il y avait une petite fontaine oú je m'arrêtais toujours pour y boire de son eau glacée, juste au coin, elle n'y était plus, remplacée par un petit bassin avec un tuyau. Il semble que l'eau fut captée. La petite maison en face, à l'angle même de cette pente dangereuse oú il y avait toujours quelque chose à acheter, "rejim bannann, papay, cuvettes de jónndèf, citron, cuvettes de kalbasik, zannana, elatriye, n'existait plus, un grand espace avec ce qu'il restait de sa toiture. Quelque Ouragan l'a brisée.
Je reviens donc à l'entrée de la ville, surpeuplée d'affairistes de toutes sortes, ornée de lots de détritus des deux côtés, et ces visages nouveaux où se notait la misère " mizèreré". Je continue avec peine vers le rond point, là c'était presque pareille, la maison des Cadet y était abandonnée, la terrasse où l'on séchait le café disparue de même que la petite maison des Chicoyes, famille du fameux Général Chicoyes. Ce coin était un dépotoir de voiture de la police en panne semble-t’il. Plus de couleur kaki pour les casernes, remplacée par le bleu de la nouvelle police plus du tout impeccable comme avant oú elle était bien entretenue. Quant à mon quartier, le bar Théodore, le notariat Carrénard, ma maison transformée en un motel avec deux étages en ciment logeait un bazar. Aucune trace des filles Théodore, c'est une "bric à brac", la maison de la "Miss" dont je n'ai jamais su le nom, la cordonnerie des Brisseau, chez mon amie d'enfance Elisabeth, le tribunal, rien de tout cela, le Club Union oú se rencontrait une frange de la societé jacmelienne d'autrefois, avec mes souvenirs de bal de carnaval déguisé tenaces, et même le marché "lakobat" devenu "maché bódlo", la rivière la gosseline n'avait plus ses trois branches, elles se sont confondues en un large lit que traversent des motos taxis allant vers lamontagne, lavano.
Retournant sur mes pas pour prendre le morne Adèle, Adèle la grosse femme n'est plus et ce pan abrupte menant à la place publique n'a que des maisons vétuste. Pourquoi les familles qui ont laisser leur ville pour aller vivre ailleurs laissent-elles leurs domaines abandonnés, sans être maintenus? L'Etat devrait les saisir pour installer ses bureaux ainsi elles seraient maintenues. Ces belles maisons devenues masures ne font pas honneur au passé de cette ville, représentent un danger pour les passants, et encombrent son présent.
La pension Craft est toujours existante mais son environnement est lugubre. La place publique est dénudée de son kiosque, de ses fleurs, de ses bancs, un large bassin d'eau verdâtre, puante, a tout remplacé et ne survivent que quelques flamboyants qui donnent un peu de vie à ce milieu. La bibliothèque nationale, lieu d'importance pour les jeunes étudiants, est un chantier abandonné. Jacmel la ville de l'intellect avec Jérémie n'a pas de bibliothèque nationale, alors on peut comprendre le visage moribond que donne cette ville qui fut la troisième du pays après Port au prince, Cap Haitien et qui aujourd'hui est la 5eme ville. Gonaïves, Miragoane la devancent parce leur port ouvert leur a permis un essor économique important. Et pourquoi le port de Jacmel est-il dysfonctionnel? Ce port qui exportait du café, coton, cacao, l'indigo, en Europe du temps de mon enfance est vide. Jacmel et ses environs ne produisent rien. Il semblerait que tout comme l'aéroport lui modernisé, une famille jacmelienne les aurait privatisé de force avec la complicité des représentants de l'Etat qui font semblant de ne rien comprendre. Seules les marchandises de cette famille commerçante sont débarquées dans ce warf et pareils pour les deux avions qui fréquentent la piste de l'aéroport. Le trajet de 15 minutes à peu près en avion vers Port au prince coûte si cher que seuls les très aisés s'offrent le luxe de le faire.
Le bord de mer est donc mort, un dépôt de la douane d'autrefois, converti en salle de convention git, on l'utilise très peu car la toiture trouée offre des baignades au public quand il pleut. On la laisse là et les vagues de temps en temps y déposent de ses eaux qui lui donnent une odeur de sel marin et de poisson.
Le Cap Haitien a su préserver son architecture coloniale même en la modernisant. Un bureau de l'ISPAN supporte les mairies et la bourgeoisie capoise responsable et engagée au bien être communautaire investit et s'investit intelligemment. Ici à Jacmel, c'est totalement différent. Il n'a pas une bourgeoisie compétente et engagée. Tout comme Port au prince, on a ici deux familles mulâtres qui avaient fait mauvaise fortune dans le stupéfiant et qui ne font que de la mauvaise politique. A eux s'ajoutent quelques hommes des sections rurales qui ont eux aussi bénéficié comme intermédiaire dans la distribution de ces produits. Ces nouveaux riches avec leur gang sont les maîtres et seigneurs du commerce. Aucun investissement industriel ou agro industriel ne les intéresse. Ils distribuent de l'argent comme le faisaient les macoutes d'autrefois, pour acheter des consciences et faire pression sur tous ceux qui voudraient s'intégrer dans les affaires. Ils ont aussi le contrôle de la politique et Jacmel et ses environs se soumettent à leur volonté. Malheureusement nombreux sont sans éducation et mal formés dans ces écoles nouvelles qui déforment les cerveaux.
Les jacmeliens qui avaient quitté leur ville et le pays ne reviennent pas comme investisseurs mais comme touristes contrairement aux Capois. Ils ont pris racine ailleurs et ne s'intéressent qu'à venir passer du bon temps. Ils emmènent avec eux la prostitution des jeunes. La pédérastie et la prostitution des enfants font de Jacmel la troizieme ville à taux plus elevé du SIDA et autres maladies vénériennes. Le touriste sexuel adore Jacmel, il n'a pas à être discret ici, il rentre où il veut avec ses clients sous agés et n'a pas à s'inquiéter. La plupart des hôtels vendent des moments. La délinquance n'a pas épargné Jacmel, d'ailleurs le jacmelien a toujours été un bon viveur jouissant des fleurs du mal car cette ville se présente toujours comme libertine.
Les mœurs cachées de cette bourgeoisie jacmelienne d'autrefois sont bien préservées.
Aucun investissement de valeur, le jacmelien est une boutiquier, un spéculateur, un artiste, un "penseur", un sans attache, un jouisseur.
Je traverse les rues où s'étale la détresse. Les maisons délabrées habitées par des ruraux oú s'étalent sur les galeries les " pèpè" de toutes sortes ou comme au marché, lots de patates, bananes, ygnames, etc.
Au bas de la rue baranquilla on voit plus ou moins une tentative de modernisation de certaines maisons pour besoins commerciaux.
L'ancienne ville délaissée par son élite qui a préféré construire de gigantesques maisons bétonnées à lamandou sans routes asphaltées, sans caniveaux, donc sans urbanisme,avec ces éternels lots d'immondice qui ornent les carrefours.
Quelques bidonvilles aussi encerclent lamandou par le côté cimetière.
Ce cimetière oú j'ai tenté seule de me retrouver marchant sur des tombeaux puisque les chemins étaient chargés d'herbes folles, un champ de mais et des giromons. Mêmes les caves de familles ne sont pas maintenues. C'est la preuve que les jacmeliens de jadis n'ont plus d'attache et ne s'intéressent plus à revenir vivre chez eux.
Et comme tout vide se remplit, les ruraux envahissent et avec eux leurs porcs, cabrits, cochons, dindons, poules qui arpentent les rues tranquillement fouillant ces lots de fatras pour leur repas.
Il y a certes du positif, la rue du commerce et quelques édifices récemment rénovés où logent hôtels,bar, auberges. Quelques banques et des églises protestantes qui affirment un modernisme qui ne respecte pas l'architecture de la ville.
St Jacques et Philippe ne logent plus la cathédrale dont l'intérieur faisait rêver de paradis. Ces tours, cet escalier serpentin, cet autel magnifique qui me fait penser à ce jour de ma première communion, tout cela disparu; l'église en reconstruction depuis 2011 est logée ailleurs à Lamandou.
L'évolution de Jacmel déçoit et si les jacmeliens ne s'investissent pas à la renaissance de leur ville, elle continuera à perdre pieds dans le classement national avec des villes du nord ouest et du Nord est oú leurs élites de la diaspora reviennent investir et le font en harmonie avec le passé colonial de ce département.
Ce ne sera donc pas surprenant que Limbe, Fort Liberté, Môle St Nicolas devancent bientôt la ville morte qu'est devenue Jacmel.
Je ne suis pas restée vivre dans l'ombre de cette ville que j'aime. J'ai choisi de fréquenter les ruraux chez eux. J'ai choisi d'être utile. Ma ville me voit très rarement et je prends toujours le temps d'arpenter les anciennes rues, espérant un renouveau qui semble tarder.