Depuis un certain temps, l’idée d’une réforme constitutionnelle est au cœur des préoccupations de l’opinion publique. Le peuple n’a pas été consulté pour savoir s’il était réellement intéressé par un changement de Constitution. Mais vu que de nombreusesvoix, et pas des moindres, se sont exprimées en ce sens, on suppose qu’une très grande majorité est favorable à un changement de Constitution. La controverse sur la fin de mandat du président Jovenel Moïse a mis de l’eau au moulin des partisans de la réforme constitutionnelle. Il n’était donc plus nécessaire de gaspiller de l’argent pour organiser un référendum,juste pour interroger le peuple sur sa volonté de changer la constitution. Le pays n’a pas d’argent pour se lancer dans une aventure dont on connaît déjà l’issue.

Dans un précédent article que j’ai publié, j’ai répondu à la question du pourquoi un référendum, puisque la Constitution de 1987 le proscrit dans son article 284-3. Je reviens sur le raisonnement pour clarifier la question une fois pour toutes. Ce n’est pas un référendum pour amender la Constitution de 1987. La procédure d’amendement est extrêmement compliquée et nécessite beaucoup de temps pour achever le processus. Ce dont il s’agit, c’est d’une nouvelle Constitution. Nouvelle car elle implique un changement du régime politique, de l’organisation de l’État, du fonctionnement des institutions publiques, entre autres. Il est question d’un nouveau contrat social, d’une nouvelle Constitution qui régulera notre société pour les annéesà venir. Sans aucun doute, les acquis démocratiques obtenus grâce aux luttes menées par de valeureux compatriotes seront préservés. Je fais référence, au prime abord, aux droits des personnes, aux libertés fondamentales, ainsi qu’à d’autres conquêtes énoncées dans la Constitution de 1987.

Toutefois, j’estime que la réforme constitutionnelle n’est pas abordée correctement. Ce projet est trop important pour qu’il soit galvaudé. C’est notre avenir qui est en jeu, et c’est l’avenir de nos progénitures sur des générations. Il n’y a aucune place pour l’amateurisme ou les actions partisanes. Voilà pourquoi, j’invite les acteurs politiques à se ressaisir et à faire les choses comme il se doit. Ce que j’insinue, c’est un problèmed’approche.

Au début de la deuxième année de la 50e législature, la Chambre des députés a pris l’initiative de travailler sur un projet d’amendement de la Constitution. La Commission spéciale sur l’amendement de la constitution de 1987 a été instituée à cette fin. En mars 2018, le président Jovenel Moïse crée le Comité de pilotage des États généraux sectoriels de la nation, le Dr. Louis Nau Pierre en est le secrétaire exécutif. Deux ans plus tard, en décembre 2020, un Comité consultatif indépendant présidé par Boniface Alexandre, ancien président de la République, a été chargé d’élaborer le projet d’une nouvelle Constitution. Dans le cadre de l’accord du 3 avril 2025, instituant le Conseil présidentiel de transition (CPT) un décret datant du 17 juillet 2024, crée le Groupe de travail sur la Constitution, il est coordonné par l’ancien député Jerry Tardieu. Le 23 août 2024, le CPT procède à l’installation du Comité de pilotage de la conférence nationale. Le Comité est présidé par l’ancien Premier ministre Enex Jean-Charles. Parallèlement, de nombreusesorganisations de la société civile ainsi que des partis politiques se sont adonnés volontiers à ce même exercice. Tout ce qui a été accompli jusqu’à présent s’inscrit dans le cadre de ce que j’appelle des travaux préparatoires. Nous devons maintenant entamer la phase rédactionnelle. Elle est subséquente aux travaux préparatoires. Donc, à mon sens, il y a un problème de méthodologie.

Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Mais nous devons être conscients que nos problèmes non résolus nous plongent davantage dans la misère et le sous-développement, et creusent l’écart par rapport aux autres peuples de la région. Comme disait Anténor Firmin et je cite : « Quand on est en retard, il convient peu de s’amuser sur la route. » Ce qu’il faut à présent, c’est une Assemblée constituante. Elle devra être composée de femmes et d’hommes connus pour leur patriotisme, leur compétence avérée dans leur domaine respectif, les travaux accomplis, leursengagements au sein de la société, leur courage et leur détermination. L’Assemblée constituante doit être représentativede la population haïtienne dans son ensemble, en incluant la diaspora. Ce grand projet national doit être porté par tous les Haïtiens, chacun en ce qui le concerne.

À mon avis, si l'on tient compte de la situation actuelle, l'Assemblée constituante pourrait disposer d'un délai de six mois pour remettre le nouveau texte constitutionnel aux autorités. Ensuite, le texte devra être envoyé à toutes les entités de la société haïtienne : les écoles, les universités, les associations, les médias, en Haïti et dans la diaspora. Le référendum seraorganisé pour sanctionner le texte après qu’il aura fait l’objet de débats objectifs. Lors de ce référendum constitutionnel, il n’y aura qu’une seule question à poser à la population pour évitertoute confusion : Acceptez-vous la nouvelle Constitution ? Oui,non, abstention. Si le oui l’emporte, Haïti sera dotée d’une nouvelle Constitution. Si le non l’emporte, la Constitution de 1987 reste debout. Il faudra alors un consensus pour aller vers des élections générales dans de bonnes conditions. Si nous prenons le temps pour faire les choses dans les règles de l’art, le pays gagnera.

Le référendum est une consultation populaire. Toutes les démocraties utilisent cet instrument pour impliquer le peuple dans la prise des grandes décisions. C’est l’outil le plus efficace pour faire aboutir un projet d’une si grande importance pour notre nation. Je ne prétends pas donner des directives aux autorités sur ce qu'elles doivent faire. En tant que citoyen avisé, si les choses évoluent dans l'autre direction, le moins que je puisse faire est d'avertir les responsables.

Je sais que la proposition d’une Assemblée constituante ne fera pas l’unanimité, surtout auprès des gens qui croient que la transition a trop duré. Mais je leur dirai que c’est le sacrifice à consentir pour réussir cette transition. La période transitoiresemble longue parce que les accords ne sont pas respectés et les délais pour réaliser les activités sont parfois irréalistes. Ma proposition impliquera peut-être un nouvel accord politique ou un remaniement de l’accord existant, mais c’est ce qu’il faut faire pour résoudre durablement la crise. Il ne sera pas possible d’avoir dans la même année un référendum constitutionnel puis des élections générales alors qu’au moment de produire ce papier, le texte de la nouvelle constitution n’est pas disponible et la crise sécuritaire n’est pas résolue. En outre, il paraît que les travaux du Comité de pilotage de la conférence nationale seront pris en compte au moment de la rédaction du texte constitutionnel. À quel point en est-on ?

Selon moi, nous devons nous reprendre et recentrer le ballon. Trop de flous, trop d’incertitudes. Nous perdons du temps et de l'énergie. Nous gaspillons de l'argent pour des résultats peu probables. J’espère que je n’ai pas jeté un pavé dans la mare.

 

A propos de

Ricardo Augustin

Dr Ricardo Augustin est Licencié en Droit de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques (FDSE) de l’Université d’État d’Haïti (UEH). Il est docteur en Sciences Politiques et Relations Internationales, consultant, professeur d’Université et Vice-Doyen de la Faculté des Sc…

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