Haïti subit de plein fouet la loi de la jungle imposée depuis quelques années par les gangs armés. Déjà en 2019, la Commission nationale de désarmement de démantèlement et de réinsertion (CNDDR) a répertorié un total de 76 gangs armés et environ 500 mille armes illégales répartis sur tout le territoire.
Haïti subit de plein fouet la loi de la jungle imposée depuis quelques années par les gangs armés. Déjà en 2019, la Commission nationale de désarmement de démantèlement et de réinsertion (CNDDR) a répertorié un total de 76 gangs armés et environ 500 mille armes illégales répartis sur tout le territoire. Deux ans plus tard, étant donné l’aggravation du climat de l’insécurité, accentué par des cas de plus en plus ostentatoires d’assassinats, de kidnapping, de viols, de casses et d’incendies, on peut sans aucune crainte préjuger d’une augmentation des groupes armés et des armes illégales dans le pays.
De tous les maux qui ravagent le pays de nos jours, l’insécurité produite par les gangs est la plus grave à bien des égards. Car, non seulement qu’elle est génératrice d’instabilité, elle constitue un frein à l’épanouissement économique en ce sens qu’elle fait fuir les investisseurs, mais aussi et surtout elle tend à annihiler toute velléité de developpement du pays en touchant particulièrement les jeunes qui sont considérés partout dans le monde comme le moteur du developpement social. Le problème est d’autant plus grave qu’Haïti a une population très jeune.
En effet, plus de la moitié des 12 millions d’Haïtiens, soit 54%, sont âgés de moins de 25 ans et 31% se trouvent dans la tranche comprise entre10 et 24 ans. Malheureusement pour Haïti, le système scolaire est tellement inadéquat qu’il n’a pas les moyens d’accommoder tous les enfants. Une infime quantité de ceux qui ont la chance de fréquenter l’école arrive à boucler leur cycle classique. Une étude menée par le professeur Nesmy Manigat, ex-ministre de l’Education nationale, publiée dans Le Nouvelliste, informe qu’en 2020, ils (les écoliers haïtiens) 108 326 à se présenter aux examens de fin d’études secondaires.
« Mais ces bacheliers sont les rescapés d’une classe d’âge d’environ 1 500 000 enfants ayant débuté leur scolarisation une quinzaine d’années plus tôt. Avec un taux d’achèvement aussi faible de moins de 10%, on comprend mieux la situation de fragilité des 90-95% de jeunes avec un avenir professionnel incertain», a observé M. Manigat.
Cette situation de fragilité des 90-95% des jeunes que l’école haïtienne n’a pas su retenir au cours des années précédentes, elle se manifeste clairement aujourd’hui dans notre quotidien. Car c’est dans ce vivier très fourni que les gangs armés viennent s’approvisionner pour en agents qui deviendront soldats, éclaireurs, ou espions. Au fil des jours, avec la dégradation accélérée des institutions de protection, de socialisation ou de formation du pays, on voit de plus en plus de jeunes se réclamer du banditisme.
Quand le besoin se fait sentir, ces derniers prennent plaisir à se balader un peu partout dans la capitale haïtienne et même dans certaines villes de province. Fiers comme Artaban, ils exhibent leur gros calibre à la face de tout le monde. Ils arnaquent, tuent, cassent, incendient, kidnappent n’importe qui et n’ importe où. Même l’église n’est pas épargnée.
Des scènes de lynchages perpétrées en pleine rue et filmées par les bourreaux n’échappent pas aux enfants de tous les âges. Au fil des jours, des mois et des années, ces derniers ont vécu ces scènes comme une pratique normale dans un pays ou l’Etat n’existe que dans les manuels de droit. Loin de condamner les exécutants de ces basses œuvres, ils sont plutôt honorés par certaines franges des élites politiques et économiques faisant d’eux des héros adulés par des enfants plus jeunes qui rêvent de devenir les héros de demain.
Voilà comment Haïti est en train de s’enfermer dans une spirale de violence nourrie au quotidien par des acteurs sociaux au dessein inavoué. Qu’est-ce qui est fait jusqu’à présent pour freiner cette descente aux enfers ? Pas grand-chose. Au contraire, l’industrie du crime se renforce de plus en plus. Un jeune délinquant a plus de chance de faire embaucher actuellement qu’un jeune professionnel diplômé
Plus d’armes et de munitions arrivent sans cesse dans nos ports. Les rares interventions des autorités concernées consistent à montrer des armes saisies mais très rarement les trafiquants sont mis aux arrêts. Est-ce une volonté affirmée de l’Etat de réduire les chances du pays de se relever en offrant à la jeunesse aucune perspective d’avenir ou plutôt sommes-nous descendus trop bas dans l’échelle de la déchéance qu’il nous est impossible de remonter la pente ?
A cette dernière, je réponds par la négative. Il n’est jamais trop tard pour un peuple désireux de décider de son destin. Nous irons aussi loin que notre motivation nous emmène moyennant que nous choisissions nos priorités et que nous nous attelions a les mener à terme. Pour Haïti, une des principales priorités devrait être la relève de nos institutions à commencer par la famille.
La famille est la cellule souche de la société. Toute transformation en profondeur de la société doit tenir de la famille comme élément fondamental de la société. A cote de l’école, la famille est le premier instrument de socialisation de l’individu. Les chefs de familles sont responsables avant tout autre autorité de la direction que leurs progénitures devraient suivre pour pouvoir maintenir l’équilibre social. Et l’Etat s’assurera que la famille est dotée des moyens pour lui permettre d’élever dans les meilleures conditions ses membres.
Si la famille et l’Etat haïtiens ne font pas en sorte d’accorder leur violon pour permettre une interaction plus harmonieuse du social, la situation de fragilité socio-économique dans laquelle pataugent 90 à 95% des jeunes du pays risque de compromettre l’existence même de la société toute entière dans un avenir pas trop lointain. Car, comme une arme à double tranchant, cette fragilité peut rendre les jeunes disponibles tant pour les meilleures opportunités professionnelles que pour des activités criminelles, selon le mot de M. Mesny Manigat.