Les choix du cabinet Lescot irritent l’opposition qui se montre noire de colère. Des professeurs du Lycée Pétion qui font état de « ségrégation » demandent aux élèves d’en prendre note pour leur propre avenir.

Les choix du cabinet Lescot irritent l’opposition qui se montre noire de colère. Des professeurs du Lycée Pétion qui font état de « ségrégation » demandent aux élèves d’en prendre note pour leur propre avenir. Le professeur de mathématiques Daniel Fignole, chef de file de cette opposition et qui habite au Bel Air, promet de soulever la ville si cette politique est maintenue.

 

Daniel Fignole dénonce ce qu’il appelle une « privatisation » du palais par une classe sociale et par un Président qui nomme à des postes clés également des membres de sa famille. Le nouveau Président Elie Lescot, informé des propos « incendiaires » du professeur Fignole ordonne a Auguste Fabius, le Directeur    du lycée de le révoquer sans délai . Fabius hésite.
Le Palais National fait délivrer au Lycée Pétion, une injonction de la Police, signalant a Daniel Fignole qu’il n’est « plus autorise à mettre les pieds au Lycée Alexandre Pétion sous peine d’être arrêté » et de plus qu’il n’est « plus autorisé de circuler à Port-au-Prince, ses limites s’arrêtant à son quartier du Bel-Air ».

 

LA GUERRE COMMENCE
La guerre commence. Elle devient une affaire de peau comme aux temps de Borno qui pour les mêmes raisons a du chasser Dumarsais Estimé de son poste de professeur du Lycée Pétion. Les promotions d’élèves ayant constitué le Mouvement « Les Griots » et le groupe « Les Authentiques » se solidarisent à Daniel Fignolé.

Ils se retrouvent chez lui au Bel-Air pour s’organiser vers la prise démocratique du pouvoir, un jour, au nom des masses noires. Ces jeunes radicaux voient venir solidaires de nombreux autres anciens élèves des Frères de l’Instruction Chrétienne et qui dans le sillage de Jacques Roumain, Anthony Lespes, Max Hudicourt se situent à gauche, ont rencontré Trosky, Staline ou lisent Karl Marx avec passion.

La jeunesse patriotique se montre plurielle et quelle que soit la couleur de la peau veut mettre en valeur l’identité haïtienne contre l’occupation, la ségrégation raciale, la division du pays entre paysans et citadins, entre noirs et mulâtres entre chrétiens et vodouisants. Le noirisme à nouveau (comprenant des défenseurs mulâtres) se dévoile à la face du pays.
Des intellectuels mulâtres tels l’idéologue révolutionnaire Etienne Charlier, l’officier Paul Laraque (ex élève du Lycée Pétion), Christian Beaulieu, Carl Brouard, Anthony Lespes se positionnent aux cotes des révolutionnaires noiristes avec un slogan : « Pour le pays, pour la patrie, marchons unis ! »

LES AUTHENTIQUES SE METTENT A NU
Les ultranationalistes de cette époque qui veulent se faire entendre au nom de l’idéologie noiriste et qui se bousculent au Bel Air pour aller voir Daniel Fignole sont pour la plupart des anciens du lycée Pétion :
François Duvalier, Lorimer Denis, Louis Diaquoi, Carl Brouard, Clément Magloire fils, J.C. Dorsainville, Catts Pressoir, Henry Terlonge, Constantin Dumerve, Klebert Georges Jacob, Franck Legendre, Léonce Viau, Frank Durant, Philippe Thoby Marcelin, Mesmin Gabriel, Etienne Charlier, Jean Price Mars, Arthur Bonhomme, René Victor, Lamartinière Honorat, Jean Baptiste Roumain, René Piquion etc.

 

Depuis 1938 cette jeunesse rassemble des idées valorisant les masses populaires, scandalisant les curés ou mettant en valeur l’identité vodou : « remettre en honneur l’assotor et l’acon » écrit le jeune mulâtre Carl Brouard en juillet 1938, ajoutant : « au génie de notre race, naquit une civilisation intégralement haïtienne. Mais cette civilisation ou pouvons-nous la trouver si ce n’est dans le peuple ? » (Revue les Griots, juillet 1938).

Les idées portent aux nues la race noire, l’Afrique ancestrale, le folklore, la blancophobie et la francophobie. Elles prônent la révolution à tous les niveaux au nom du peuple.  Des noirs radicalisés se déclarent Authentiques tels un Windsor K. Laferriere (le futur père de Dany Laferriere), ou un Roger Dorsainville qui déclare publiquement « je peux discuter ou négocier une gifle d’un nègre mais d’un mulâtre jamais, je le tuerais ! ».

UN NOUVEAU DIRECTEUR AU LYCEE PETION : ULRICK DUVIVIER
Pendant que les langues se colorient, le Directeur    du Lycée, Auguste Fabius démissionne. Il est accusé, a tort, d’avoir voulu réserver le lycée Pétion aux enfants mulâtres et d’avoir écarte les noirs brillants de cet établissement scolaire.

Le Lycée Pétion ne semble pas le regretter. Lescot le remplace le 10 juillet 1942 par Ulrick Duvivier II. Fils de l’ex ministre de l’Instruction Publique, Ulrick Duvivier 1er (un ancien du Lycée Pétion) du temps de Vilbrun Guillaume Sam, le nouveau Directeur du Lycée né en 1899 a grandi sous l’occupation. Il enseigne au Lycée depuis 28 ans.

Ulrick Duvivier jr partage les positions nationalistes de son père et établit un pont entre noirs et mulâtres, entre riches et pauvres, entre citadins et « nègres en dehors ». Il introduit au Lycée des aspects sociaux qui le font aimer dès sa première semaine :
Installation de tuyaux d’eau potable à l’intention des élèves
Etablissement de toilettes modernes bien entretenues
Inspection hygiène journalière
Distribution d’ouvrages scolaires aux plus pauvres ou à des prix battants toute concurrence
Programmes de visites du palais national et du parlement
Conférences débats sur le nazisme et la guerre
Visites dans les églises catholiques, protestantes et vodouisantes du pays
Tournées de chasse
Organisation de la salle de musique
Réunions des comités de classe dans l auditorium
Pratique de sports
Modernisation de pension des étudiants

Duvivier ouvre les portes du lycée Pétion aux jeunes de toutes les classes sociales
Il intervient auprès du président pour le retour de fignolé parmi les professeurs, ce qui lui est refusé.

Duvivier doit reprendre le programme des premières communions, exiger des certifications de mariage religieux des parents d’élèves et interdire aux professeurs de parler politique dans l’établissement.

Ulrick Duvivier est le seul autorisé à expliquer aux élèves ce que c’est que la politique.
Il présente un cours d’histoire et de géographie aux élèves des classes terminales.
Il encourage la formation des cénacles littéraires etc.

Le professeur Duvivier de 1942 à 1946 se montre dévoué à ses élèves.
Il visite les pensionnaires du lycée une fois par semaine, change les lits, les draps et améliore les conditions de vie au pensionnat sans arrêt.

Parfois, il rencontre des élèves qui viennent dormir par terre, secrètement le soir au Pensionnat et il s’arrange toujours pour leur fournir un lit tel ce jeune écolier de Jacmel, sans parents à Port-au-Prince, qui après des nuits à la belle étoile au Champ de Mars retrouve furtivement ses camarades la nuit au Lycée Pétion.

Surpris sur une natte à 2h du matin par Ulrick Duvivier, il explique sa situation et s’apprête à quitter dignement les lieux avec son baluchon quand Duvivier le prit par les épaules et lui dit : 
« Tu m’insultes en voulant partir à cette heure, rester ici est un ordre désormais, à partir de demain tu fais partie de la famille du pensionnat et je t’apporte un lit en bonne et due forme ! Bonne nuit mon gars ! » 

Ce petit plus tard deviendra l’un de nos plus grands écrivains, et poète national il s’appelait Roussan Camille.
Le gouvernement tient à l’œil ce Directeur débonnaire qui remplit le lycée Pétion d’enfants noirs, qui va parfois les chercher sur les trottoirs ou en province pour les inviter à venir fréquenter l’école.

Parti en mission pour le Lycée Pétion en juin 1944 aux USA, Duvivier est remplacé durant un mois par le professeur, Charles de Catalogne (d’origine française, né au Cap Haïtien).
Durant ce mois le Lycée Pétion entre à nouveau en ébullition. Des vacarmes partent souvent d’une classe et se répandent d’une salle à une autre aux cris de « Haïti ! Haïti ! Koupe tète ! Boule Kay ! » Créant un désordre incroyable. Au retour d’Ulrick Duvivier, le Lycée Pétion retrouve son calme.

LA RÉFORME DE L’ÉDUCATION DE LESCOT
Entre temps le Ministre de l’Instruction Publique, Jean joseph Maurice Dartigue s’acharne à accomplir un formidable mouvement de réforme durable pour Haïti appuyé par son journal « La Nouvelle Haïti ».

Le secteur des affaires appuie Dartigue mais surtout Duvivier qui devient de plus en plus un rassembleur. L’industriel Oswald Brand en particulier décide d’offrir 10 000 dollars US chaque année désormais au Lycée Alexandre Pétion pour la modernisation des laboratoires de chimie et de physique. Un beau geste que le Lycée Pétion n’a jamais oublié.

De son côté, le Président Elie Lescot articule sa réforme autour des stratégies suivantes :
Confier aux Frères de l’Instruction Chrétienne, la rédaction des livres scolaires à l’intention de tout le pays (Lycées, écoles nationales, privés, presbytérales etc.) leur accordant désormais la possibilité d’unifier leur enseignement sur tout le territoire de la République
Conserver la discipline scolaire dans les écoles d’expérimentation agricole, rurale et professionnelle, comme Dartigue l’a vécu personnellement à Damien ou il travaillait durant l’occupation. Lescot construit 20 nouvelles fermes écoles opérationnelles.

Le Président multiplie la création d’écoles. Il établit 380 nouvelles écoles urbaines, 631 écoles rurales avec 73 196 inscrits dont 55 762 élèves réguliers
Il maintient d’étroites relations avec les 56 écoles congréganistes qui décident sous sa gouverne de réaliser une profonde réforme basée sur la religion et non sur la laïcité
Maurice Dartigue ayant été boursier aux Etats Unis renforce la formation des maîtres, tente de concilier les pratiques d’éducation aux USA aux habitudes classiques d’Haïti en créant notamment le championnat sportif interscolaire avec un cérémonial américain
Dartigue introduit la dissertation dans les écoles, les présentations par les élèves de leurs idées et rejette le « parcœurisme »ancré dans la tradition scolaire locale depuis la période de Soulouque. Selon Dartigue, « le point de départ de la nouvelle conception est que l’enfant ne peut être considéré comme une unité isolée renfermée en elle-même et qui peut être traité séparément en dehors de son milieu. Le fait important est que le milieu social détermine les dispositions mentales et émotionnelles de l’individu. On peut dire que l’homme est, en grande partie, le produit de ses expériences. Par conséquent, l’école doit être un « milieu » qui fournit aux enfants les activités auxquelles ils participent et qui seules leur permettent d’entrer en contact avec des situations, d’avoir des expériences vitales et variées ».

Dartigue réorganise les différents services du Ministère et la formation des Directeurs d’écoles. Il multiplie les stages en Haïti et à l’étranger pour les cadres du gouvernement en insistant sur une formation générale qui permette à chaque haïtien de bien représenter son pays. Il sanctionne par le Décret-loi du 16 Novembre 1943 les fonctionnaires relevant du Département de l’Instruction du Service National de la Production Agricole et de l’Enseignement Rural et les membres du personnel des écoles publiques ou privées qui avaient semble-t-il reçu des dons pour fausser le résultat des examens et concours officiels
Il établit un curricula pour 7 ans de classes primaires, 7 ans de secondaires et 5 ans universitaires, de manière détaillée, plaçant des rails solides pour le train éducatif.

Le Président Elie Lescot soucieux d’une éducation chrétienne interdit les fêtes religieuses du vodou notamment la fête des guèdes, le rara, les pratiques vodouesques devant les églises lors des fêtes patronales, la fête de St Jacques Majeur imposant des bains dans la boue dans le Nord, décrète l’inquisition sous le nom de « campagne des rejetés », entrainant des massacres de prêtres et prêtresses du vodou.

LA GUERRE DE RELIGION DÉRANGE TOUT
Le Président Lescot, irrité par les appels à la renaissance identitaire vodou, décide de réussir là où Boisrond Canal a échoué. Des bandes de pillards au nom de l’Eglise catholique et du Pape, envahissent les péristyles, emportent des objets sacrés qu’elles vont jeter dans la cour des presbytères, bruler ou vendre à des touristes éberlués.

 

Le clergé catholique le 2 février 1942, officiellement, ordonne de détruire Satan, d’aller dans toutes les villes en finir avec le vodou et les pratiques superstitieuses. La réaction ne se fait pas attendre. La Cathédrale du Souvenir des Gonaïves est envahie le 3 février 1942 par des centaines de vodouisants et pillée.  Les houngans volent et emportent la lourde statue de St Borromée qu’ils appellent Wangodo, du nom d’un loa vodou africain.

A l’Église Notre Dame d’Altagrâce à Delmas, le 22 février 1942, la messe est interrompue par des coups de feu tirés par des vodouisants aux cris de « Vive papa Legba ! À bas le Pape ! A bas Lescot ».

Le Lycée Pétion ne reste pas indifférent à ce mouvement. Dès le 23 février 1942, inspirés par des professeurs vodouisants, des élèves jettent des tracts dans les rues à leur sortie de l’établissement, sur lesquels il est inscrit : « Vive Baron Samedi ! Vive Erzulie ! A bas Lescot ! ».

D’autres tracts font leur apparition à la capitale, cette fois annonçant un mouvement Socialiste Populaire prêt a prendre le pouvoir en respectant les traditions vodous, tandis que des leaders communistes tels Félix d’Orléans Juste Constant, Juvigny Leroy et Roger Mercier, des anciens du Lycée Pétion, tentent de recruter de jeunes écoliers dans le parti communiste haïtien.

Les manifestations reprennent dans les rues mais le plus inquiétant est le soulèvement de plusieurs militaires qui, au nom du vodou, tentent un coup d’Etat, attaquent le Palais le 10 mars 1942 et sont vaincus par la garde présidentielle. La plupart des putschistes sont arrêtés, fusillés et enterrés au Fort National. 

LA GOUTTE D’EAU
La goutte d’eau qui fait renverser le vase est l’interdiction d’une revue d’élèves et d’étudiants « La Ruche » de Théodore Baker, animée entre autres par des élèves du Lycée Pétion dont René Dépestre, Georges Beaufils, Gérard Gourgues, Calixte Delatour, Gérard Chenet etc. qui, à la Noël en 1945, réclament le respect des libertés publiques et la chute du gouvernement.

Accusés de délits de presse certains d’entre eux sont arrêtés dont René Dépestre et Georges Beaufils. Un mot d’ordre de grève est lancé par des professeurs du Lycée Pétion, la Chambre de Commerce et plusieurs organisations civiques exigent la fin de l’arbitraire. Le Lycée Pétion en entier, avec des écoliers des classes primaires et du secondaire prennent les rues en criant « Justice ! Vive la liberté ! Libérez nos camarades ! ».

Entourés par une population grandissante du Bel Air, les élèves de St Louis de Gonzague, du Petit Séminaire viennent aux renforts. La Garde militaire qui reçoit l’ordre de briser les manifestations, reste dans ses casernes. Les radios locales (MBC, Radio Port-au-Prince, radio Haïti) félicitent le Lycée Pétion d’avoir encore une fois montré le chemin de la liberté.

Depuis la fin de la 2e guerre mondiale, les conférenciers internationaux tels André Maurois ou André Breton ne cessent de rentrer en Haïti et organiser au Lycée Pétion des conférences sur le nouvel ordre mondial.

La pensée socialiste revient en force au Lycée comme aux temps de Sylvain Salnave. Washington juge nécessaire d’envoyer une délégation de la CIA dirigée par James Montlor qui se charge d’une mission double : surveiller cette nouvelle jeunesse marxisante du Lycée Pétion et activer une révolution populaire contre Lescot.

Lescot sans aucun allié international, sauf la France, affaiblie par la guerre, s’en prend aux américains depuis un certain temps. Il engage un cabinet d’avocats newyorkais accusant le gouvernement du président Harry Truman d’exiger des taux d’intérêts criminels sur les emprunts effectues par Haïti de 1915 à 1946. Lescot demande aux américains de rembourser des indemnités à Haïti.

Les leaders de la gauche communiste Jacques-Stephen Alexis et Gérald Bloncourt sont devenus membres de La Ruche Le 3e numéro du journal démolit le régime de Lescot qu’ils qualifient de « traitre ». Le Ministère de l’Intérieur ordonne l’arrestation des journalistes fautifs y compris les écoliers du Lycée Pétion trempés dans cette affaire.

Le pays en entier se met en grève. Le vent de Janvier 1946 finit par emporter Lescot et sur ses pas arrive un ancien du Lycée Alexandre Pétion, qui se considère comme un sauveur, un fils de paysan, le professeur Dumarsais Estime, celui-ci remplace Duvivier par Aocles Vieux.