Enfant des tropiques

Fille d’esclaves suis-je

Ce n’est pas une plainte

Ni une lamentation

 

Enfant des tropiques
Fille d’esclaves suis-je
Ce n’est pas une plainte
Ni une lamentation
C’est un cri

Un cri 
Pour que survive la mémoire
Pour que reste l’image 
Des chaînes
Que j’ai cassées de ma poésie
Brisées de mes peurs
Arrachées de mes limitations
Abolies de mes discours
Pour que les chaînes soient symboles
De ce qui ne sera jamais plus

Enfant des tropiques
Fille d’esclaves
Mon pays s’inscrit en lettres de feu
Dans des yeux d’enfants
La mer emporte les soupirs

Mon grand-père
S’était lacéré les mains
Sur les feuilles de cannes à sucre
Grand-mère
D’une goutte de clairin sur ma langue
Me souhaita la bienvenue 
le jour de ma naissance

Haïti
Caraïbe de mes afflictions
Identité rebelle

Aïeux des horizons lointains
Je vous berce encore 
Par les mélodies de ma mémoire

Sur ce bateau
Dont le nom m’est devenu hostile
Le destin 
Vous avait déjà emboîté le pas
Sur cette terre aux parfums d’épices
La vie s’était figée
Et belle fut-elle au soleil
Somnolant à la tombée du jour
Colorée fut-elle de créoles
À la peau de toutes les nuances

Ma mémoire me frappe la poitrine
Elle la gonfle de fierté
J’associe le sang à la canne à sucre
Celui de mon grand-père que je n’ai pas connu
Grand-père 
Écroulé sous le fouet du colon

L’Afrique et sa brousse
Me sont resté cloîtrées dans l’âme

Je change de peau
Je change de couleur
Au gré de ma mémoire
Qui se veut histoire
Qui se veut avenir

Dans mes yeux
Une larme salée

Haïti
Bleu fantasme
Le passé nous ficelle l’âme
Le cri revient
Toujours en force
À me péter la gorge
Le sang de mon grand-père
Versé pour rien ?
La chair broyée des nègres
Mélangée à la poussière

Mon pays se meurt
L’indépendance a l’air d’une farce
L’homme semble perdre la mémoire
L’homme
À quatre pattes
Lèche les bottes des colons modernes

Je hurle 
À me briser la corde vocale
L’honneur se vend
Par poignées de mains vertes
L’honneur s’échange
Contre un Nike un Armani un Dior

L’identité créole vilipendée
Mon grand-père assassiné
Une seconde fois

Non !
Je ne retournerai pas aux champs de cannes
Je deviendrai Gouverneure Générale
Comme Michaëlle Jean
Je deviendrai président
Comme Obama
Pour diriger les colons
Pour éduquer les colons
Le rêve devient réalité
Ainsi soit-il !
 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédit Photo*Artist-AtOme

A propos de

Jeanie Bogart

 Jeanie Bogart est née aux Cayes, une ville pluvieuse du sud d’Haïti. Elle commence à écrire des poèmes à l’âge de quatorze ans. La jeune fille traîne autant que possible sur les plages et sur le vieux port où elle puise son inspiration. Elle continue ses études secondai…

Biographie