Le texte qui suit est un extrait du livre d’Eddy Cavé intitulé Haïti : Extermination des Pères fondateurs et Pratiques d’exclusion publié chez Kiskeya Publishing Co et disponible sur Amazon.
Bien que le nom de Catherine Flon (photo ci-contre) soit sur toutes les lèvres chaque année, au mois de mai, quand vient le temps de célébrer la Fête du Drapeau, il retombe dans l’oubli dès le lendemain des commémorations. À part quelques articles de journaux et les beaux discours de circonstance des personnalités politiques du jour, personne ou presque ne parle vraiment du personnage. On se contente de souligner l’importance du geste qu’elle a posé en confectionnant le premier drapeau du pays. Qui était Catherine Flon ? Qu’a-t-elle a fait d’autre par la suite ? De quoi et comment a-t-elle vécu ? C’est bien triste à dire ! Ces questions intéressent très peu de gens.
Dans les faits, personne ne s’est vraiment donné la peine d’aller sur les traces de cette figure historique pour en établir une biographie crédible. C’est ainsi que l’historiographie officielle ne donne ni la date de sa naissance, ni celle de sa mort, ni même le lieu où elle a été inhumée. Elle se contente de souligner que Dessalines avait, d’un geste vif, déchiré un drapeau français pour en enlever la bande blanche et qu’il a fait coudre les parties bleue et rouge par Catherine Flon. Pour compléter l’histoire du drapeau et lui donner une touche de romantisme, certains ajoutent que, n’ayant pas de fil à coudre, Catherine Flon utilisa, pour réunir les deux bandes, ses propres cheveux qui tombaient très bas sur ses épaules.
Face à l’indifférence de la postérité à l’endroit de ce mystérieux personnage de notre histoire, l’auteure de best-sellers jeunesse Marlène Roy Étienne publiait en 2004 un merveilleux petit livre intitulé La légende de Catherine. Préfacé par nul autre que Gaétan Mentor, ce livre est beaucoup plus un hommage à notre héroïne qu’une œuvre historique. Comment pourrait-il en être autrement puisque l’héroïne est totalement ignorée de nos premiers historiens? Seul Joseph Saint-Rémy a laissé quelques bribes de renseignement indirectement liées à son nom.
À partir du passage où Saint-Rémy fait état de la participation au congrès de l’Arcahaie d’un certain nombre de chefs de bandes venus de Léogâne sur des barges, Mentor se demande si Catherine Flon n’aurait pas fait la traversée avec eux. Et si elle n’aurait pas péri en mer avec certains d’entre eux au retour à Léogâne, car on a perdu ses traces par la suite.
Toujours dans sa préface, Gaétan Mentor écrit qu’« on a retrouvé sous l’empire dessalinien les traces d’un certain Jacques Flon, employé des domaines de l’Ouest », et il pose la question d’un probable lien de famille entre Catherine et lui. Le chercheur a également trouvé dans la section rurale de Petite-Rivière, rattachée à Léogâne, une habitation Flon avec laquelle les deux auraient peut-être eu des liens. Ce faisant, il évoque la possibilité que Catherine soit originaire, non pas de l’Arcahaie, comme on l’a longtemps cru, mais de Léogâne.
De son côté, le documentaliste de terrain Jacques René a effectué plusieurs séjours dans la région de l’Arcahaie et a interrogé divers descendants indirects des Flon et certains détenteurs de la tradition orale de la région. Il a ainsi noté que Catherine aurait été la filleule de Dessalines et de la prêtresse Grann Guitonn dont nous avons parlé à la page 168 et qu’elle était une modeste couturière du quartier défavorisé Nan Mérotte.
Jacques René a réalisé sur ce sujet diverses entrevues qu’il a intégrées à son documentaire La mort de Dessalines, une vérité bafouée, disponible sur YouTube. Il a également entendu que Catherine Flon aurait été la sœur d’un haut fonctionnaire du nom de Jacques Flon disparu dans la mémoire collective. Ce personnage a laissé certains souvenirs à Mérotte, même si le nom Flon a disparu dans la région et dans l’ensemble du pays.
Jacques Flon étant mort à 72 ans en 1805, on voit mal comment sa jeune sœur aurait pu être la filleule de Dessalines, mort à 48 ans en 1806. L’hypothèse la plus probable qui se dégage des conversations avec les résidents de Nan Mérotte, c’est que Catherine aurait été initiée au vodou comme hounsi kanzo adobweso par Grann Guitonn et Dessalines, qui en seraient ainsi devenus la marraine et le parrain.
Pour commémorer le bicentenaire de la création du drapeau en mai 2003, le gouvernement Aristide érigeait à l’Arcahaie la place Catherine Flon mentionnée précédemment et au centre de laquelle se trouve une statue de l’héroïne. Comble de déshonneur, le terrain attenant à cette place a été acheté, comme le site de la cérémonie du Bois-Caïman, par une secte protestante qui est en train de détruire des lieux importants de la mémoire collective. Ainsi, on voit, en regardant la photo ci-contre, que la Place Catherine Flon est carrément adossée à une chapelle identifiée par la pancarte « ÉGLISE DU NAZARÉEN ».
Bref, on ne connaît ni la date de naissance ni celle du décès de l’héroïne. Il se répète à Léogâne qu’elle s’embarqua de l’Arcahaie au lendemain du Congrès de 1803 avec d’autres délégués sur une des nombreuses barges qui avaient fait la traversée et qu’elle aurait péri en haute mer. Cette hypothèse est très plausible, car on n’a guère de témoignages sur la vie qu’elle a menée pendant que l’Armée indigène à qui elle a remis son premier drapeau fonçait vers les Cayes pour la conquête du Sud. Pendant également que son prétendu et illustre parrain s’installait à Marchand-Dessalines comme premier chef d’État du pays.
Dans ce pays de népotisme où les dirigeants s’entourent traditionnellement de proches et de membres de leur clan, il serait étonnant, si elle était vraiment la filleule de l’Empereur, qu’elle ait simplement continué jusqu’à son décès la vie d’une petite couturière occasionnelle de Mérotte.
Selon quelques sites de langue anglaise consultés, Catherine Flon aurait été une infirmière, information que Jacques René rejette de façon catégorique. Il soutient que non seulement cette affirmation ne correspond pas aux témoignages de la famille ni à ceux des détenteurs de la tradition orale de la région, mais qu’elle est invraisemblable. Où aurait-elle appris cette profession et où pratiquait-elle ? Catherine Flon n’était pas Claire-Heureuse qui avait déjà été mariée à un affranchi, a laissé des traces sur les champs de bataille et a continué son sacerdoce par la suite.
Mentionnons enfin que de nombreux peintres haïtiens et étrangers, dont Guerdy Préval, ont réalisé des portraits de Catherine Flon et des toiles illustrant la création du drapeau. Une bonne façon d’honorer sa mémoire !
Grann Guitonn, qui aurait été la marraine de Catherine Flon et la prêtresse de Dessalines est un personnage omniprésent dans la petite histoire, la culture populaire et les traditions de Nan Mérotte. Son nom revient plusieurs fois aux pages consacrées à l’Empereur. Si l’orthographe Guitonn est la plus courante, on trouve aussi Guiton et Guitonn. Toujours est-il que dans le portail en fer forgé de son lakou, c’est cette graphie qui identifie ce lieu historique.
De leur côté, les peintres de la région ne sont pas restés, les bras croisés, à regarder passer le train de l’histoire. Ils ont imaginé une Grann Guitonn vêtue de blanc, interpellant les dieux tutélaires de la Nation.
Note de la rédaction : Quel meilleur choix pouvait faire notre magazine pour ouvrir la saison des fleurs et le mois du drapeau que celui de cette héroïne disparue de notre histoire aussi mystérieusement qu’elle y était entrée.